Par Frédéric Magellan.
Voici dans JSF, une première lecture – alléchante – du dernier Houellebecq. Il y en aura d’autres. Y compris la nôtre, bien-sûr. Celle-ci est parue dans Causeur le 7 janvier, jour de parution du livre – dont tout le monde parle sans, pour la plupart, l’avoir (encore) lu. Tout Houellebecq suscite le débat. Il n’écrit ni comme Balzac, ni comme Proust, ni comme Bernanos, Céline, Aragon ou Mauriac. Rares sont ceux qui acceptent de le lire au-delà du 1er degré. Et d’en retirer le meilleur. La critique que Frédéric Magellan donne ici est, pour le moins, digne d’intérêt. Attendons la (les) suite.
Le nouveau roman de Michel Houellebecq, Anéantir, est publié aujourd’hui. Causeur l’a lu et a trouvé dans ces 735 pages des choses bien réjouissantes.
« Anéantir » est le dernier roman-évènement de Michel Houellebecq (Flammarion).
C’est devenu une habitude. Comme le touriste un peu misanthrope qui place ses vacances le plus loin possible des chassés-croisés et des enfants qui crient à la plage, le nouveau livre de Michel Houellebecq, Anéantir sort aujourd’hui, sur l’autoroute plus dégagée de la rentrée littéraire de janvier. Pas très loin non plus du Blue Monday¸ jour le plus déprimant de l’année, troisième lundi de janvier, concept inventé par une compagnie de voyages britannique pour vendre des vacances aux Canaries. Il n’y a pas de round d’observation. Dès les premières lignes, on comprend que l’on a bien mis les pieds dans le dernier livre de Houellebecq :
« Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort. Les vacances d’été sont depuis longtemps oubliées, la nouvelle année est encore loin ; la proximité du néant est inhabituelle. »
Le personnage principal est Paul, fonctionnaire à Bercy. Il vit dans un duplex et dans un quartier « plus que génial » ; après que ses fromages, saucissons et tajines de volaille Monoprix ont perdu la guerre de tranchées dans le réfrigérateur contre les algues et le soja germé de son épouse Prudence, leur relation va se distendre – les circonstances de leur rencontre font d’ailleurs saliver : « Leur accord sur la taxation des plus-values avait d’emblée été total, et ils étaient l’un comme l’autre si peu aptes à sourire de manière engageante, à parler avec légèreté de sujets variés, en un mot à séduire, que c’était probablement cet accord qui avait permis la concrétisation de leur idylle, au cours de ces interminables réunions qu’organisait la Direction de la législation fiscale, tard dans la nuit, le plus souvent dans la salle B87 . »
La relation bizarrement sexuelle de la France avec l’Allemagne
Avec tels personnages, Boris Vian aurait apporté comme éléments perturbateurs des têtards et un maître-nageur. Chez Michel Houellebecq, c’est le ministre des Finances, Bruno Juge, qui va jouer ce rôle, semble-t-il inspiré par Bruno Le Maire, « probablement le plus grand ministre de l’Economie depuis Colbert » (on jette un œil sur la page Wikipedia dédiée, on voit défiler les têtes d’Antoine Pinay, Raymond Barre, Balladur, et l’on se demande si ce n’est pas un peu flatteur ; mais il faudrait creuser sérieusement la question). Le roman se déroule en 2027 et Bruno Juge est pressenti pour succéder au président sortant. Bruno Juge a alors réussi à redresser l’économie française en s’asseyant « sur les réglementations de libre concurrence européennes, que ce soit pour l’attribution des marchés publics ou pour l’instauration de droits de douane quand ça l’arrangeait, sur les produits pour lesquels ça l’arrangeait, il s’était en cela comme en tout, et depuis le début, comporté en pragmatique pur, laissant au président le soin de déminer, de réaffirmer chaque fois que possible son attachement à l’Europe, et de tendre ses lèvres à toutes les joues de chancelières allemandes que le destin lui donnerait à baiser. » Houellebecq ajoute : « C’était sexuel, quand même, entre la France et l’Allemagne, c’était bizarrement sexuel, et depuis pas mal de temps » ; certains esprits mal placés repenseront à Brasillach, en 1944 : « Les Français de quelque réflexion, durant ces années, auront plus ou moins couché avec l’Allemagne, non sans querelle, et le souvenir leur en restera doux ».
Jadis, chaque sortie d’un livre de Michel Houellebecq était accompagnée d’un attentat. Maintenant, il y a un article de Mediapart, signe de temps peut-être plus apaisés qu’on ne le dit, malgré tout. Ainsi, nos confrères Joseph Confavreux et Lise Wajeman écrivent : « Manquerait-on de sens de l’ironie ou attentera-t-on à la liberté de la littérature en relevant que le roman de Houellebecq déborde moins de « bons sentiments » que de l’ensemble des lieux communs réactionnaires de l’époque, qu’on trouve régulièrement en couverture de Causeur ou Valeurs actuelles ? ». En 2015, lors de la sortie de Soumission, Edwy Plenel face à Patrick Cohen, déclarait pourtant : « Nous sommes dans un pays où les écrivains ont le droit d’écrire ce qu’ils veulent et les éditeurs de publier ce qu’ils veulent. Je ne parlerai pas du roman de Houellebecq, je ne suis pas critique littéraire, je suis journaliste ». On eût aimé que ses épigones en fissent autant.
Zemmourisation des esprits
Peu importe si Houellebecq est lu et admiré partout dans le monde, si les lecteurs allemands nous l’envient, s’il est reçu en grande pompe au Danemark et en Argentine ; ce que retiennent nos deux journalistes de Mediapart, c’est le prisme franco-français, les accueils dithyrambiques dans les colonnes du Monde et de Libé, signe de la zemmourisation des esprits, jusque dans les journaux de gauche, jusque dans les hotels Kyriad.
Les journalistes nous racontent qu’ils n’ont pas eu la chance de recevoir un exemplaire. Ils se sont visiblement contentés du PDF ; à la chasse aux dérapages, ils ont visiblement fait une recherche par mots-clés (Contrôle + F sur les claviers) : « Noirs » et « Arabes », et ont trouvé des choses.
Et l’on trouve des choses. Il faut dire qu’Indy, la « conne de belle-sœur » de Paul, a eu l’idée de recourir à la GPA pour faire un enfant et de choisir « un géniteur de race noire ». Paul a beau se défendre en lui-même d’être raciste, il a beau n’avoir « jamais ressenti de répulsion, ni d’attraction particulière pour les personnes de peau noire ; mais là, quand même, il y avait quelque chose qui n’allait pas ». En plaçant la caméra dans le for intérieur de ses personnages, Houellebecq capte leurs pensées les plus inavouables, le droit que tout un chacun a de trouver son petit neveu, sa petite nièce, moche. Il est vrai qu’en entrant par effraction dans les têtes (et les ordinateurs) des gens, on trouve de drôle de choses. Dans Sérotonine, le personnage principal avait découvert les photographies de sa compagne en plein ébat avec un doberman et un fox-terrier. Cette fois, on croise une médecin-chef d’un hôpital, amoureuse « grave » de Bernard Kouchner, ce qui avait « pesé lourd dans sa décision d’entreprendre des études de médecine, elle avait même le demi-souvenir un peu honteux de s’être, le soir de son inscription à la fac de médecine, masturbée devant une affiche de Bernard Kouchner en meeting qui décorait sa chambre, ce n’était pourtant qu’un meeting du parti socialiste, il n’avait même pas de sac de riz ». Oui, vraiment, on trouve de drôles de choses dans les livres de Michel Houellebecq.
De la même façon que la Russie alterne, depuis 1825, entre un chef d’Etat chauve et un chef d’État chevelu, Michel Houellebecq alterne grosso modo depuis le départ entre un grand roman et un chef-d’œuvre. Sérotonine était dans la première catégorie. Anéantir fait partie du haut du panier, avec Soumission et Les Particules élémentaires. Alors qu’il faut au sociologue lambda des mois d’enquête, d’échantillonnage, de pondérations pour produire une demi-assertion prudente, Houellebecq brosse à coup de « constats désillusionnés » (l’expression apparaît page 110) un tableau précis de l’état physique et moral de la France et de l’Occident. ■
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il y a bien longtemps que je pense que Michel Houellebecq est (avec Patrick Modiano, dans un tout autre genre), le plus grand écrivain français d’aujourd’hui ; et sans doute de beaucoup plus qu’aujourd’hui. Le maître déconstructeur de la modernité 68, l’entomologiste le plus pertinent. Il dissèque l’anatomie de notre pauvre monde.
Que propose-t-il ? Est-ce son rôle de proposer ? Il diagnostique, il ne donne pas la thérapeutique. N’empêche que, pour qui le suit depuis 25 ans (« Extension du domaine de la lutte » où toute la « pensée 68 » est décortiquée et enterrée), depuis 25 ans, donc, il avance, il progresse, il vient vers la réalité que nous sommes.
Catholique ? il n’en est pas si loin que ça ; monarchiste ? ah, ça, il nous faudrait faire un effort de crédibilité.
Découvert hier l' »audio » complet d’Extension du domaine de la lutte. Pour une découverte, un avant-goût ou plus … si affinités :
https://www.youtube.com/watch?v=HmHIalXa54s