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Ce sont des extraits exclusifs du dernier ouvrage de Bérénice Levet que FigaroVox vient de publier. Nous l’avons déjà dit : Pour Bérénice Levet dont nous suivons depuis assez longtemps la réflexion et les remarquables travaux, la crise que nous vivons est bien davantage qu’une crise sanitaire, économique ou même seulement politique. Il ne faut donc pas manquer de lire ces lignes qui traitent de l’écologie dans sa réalité politique d’aujourd’hui mais aussi dans son fond véritable qui relève d’une pensée de l’enracinement et de la Tradition, que nous partageons pleinement. Bien entendu, il n’est pas interdit d’en débattre. [FigaroVox 11 janvier].
EXTRAITS EXCLUSIFS – Dans son nouvel essai, L’Écologie ou l’ivresse de la table rase (Éditions de l’Observatoire), Bérénice Levet s’interroge : comment expliquer que l’écologie, censée être guidée par le souci de la préservation, soit devenue l’étendard des progressistes les plus acharnés ?
« L’amoncellement des ruines les grise et il ne s’agit surtout pas de rebâtir, mais de vivre dans un monde où rien jamais ne se fixe ».
Bérénice Levet, déjà remarquée, notamment, pour Le Musée imaginaire d’Hannah Arendt (Stock, 2011) et La Théorie du genre ou le monde rêvé des anges (Livre de poche, 2016), analyse le lyrisme révolutionnaire d’une idéologie qui a pris le relais du marxisme et met en procès la culture occidentale. Reprenant à son compte le vocabulaire de l’intersectionnalité, de l’inclusivité et du refus des frontières, l’écologie progressiste promeut la table rase et la déconstruction.
Selon la philosophe, une autre écologie est possible, qui ne serait pas une machine de guerre contre l’héritage occidental, mais puiserait dans notre culture les ressources pour contrer les dérives du productivisme et qui s’attacherait à la préservation de la beauté. Le Figaro publie en exclusivité de larges extraits de cet essai limpide, subtil et élégant.
Une nouvelle idéologie
Est-ce à dire que là où une idéologie s’effondre, fatalement une nouvelle doit se lever? (…) Ce que nous aurions pu prendre pour la fin de la pièce en 1989, après la chute du mur de Berlin, ne fut, pour paraphraser Tocqueville, que la fin d’un acte. Sur les ruines du marxisme, de nouveaux messagers d’un monde radicalement nouveau se sont constitués, aux récits moins charpentés sans doute, mais enfin, tout aussi systématiques, dogmatiques, aveuglants.
Voici venu le temps de la Grande Marche sous la bannière de l’écologie, de la lutte contre «le réchauffement climatique», contre «la sixième extinction de masse» et, rien de moins, pour «le sauvetage de la planète». «Réinventer» nos sociétés, nos villes, nos vies. Le lyrisme révolutionnaire tourne à plein régime.
«Ce qui fait d’un homme de gauche un homme de gauche, décrivait Milan Kundera dans L’Insoutenable Légèreté de l’être, ce n’est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n’importe quelle théorie dans le kitsch de la Grande Marche.» Et c’est ainsi que des données factuelles qui, dès la fin des années 1960, venaient inquiéter le modèle de développement que nous avions adopté depuis la révolution industrielle, et plus résolument encore après la Seconde Guerre mondiale, se transformèrent en moteur d’une nouvelle «aventure», ferment d’un énième cheminement vers une humanité unie, non seulement réconciliée avec elle-même mais avec l’ensemble des vivants.
L’obsession de la démolition
«Nous n’avons pas peur des ruines, nous qui portons dans nos cœurs un monde nouveau.» Rien ne résume mieux l’état d’esprit des écologistes et de leurs satellites, Anne Hidalgo la première, que cette citation de l’anarchiste espagnol Buenaventura Durruti que le secrétaire national d’EELV, Julien Bayou, avait choisi de placer en exergue de son ouvrage En vert et avec tou.tes. Le philosophe Günther Anders distinguait entre deux formes de cynisme, un cynisme à la manière des Anciens qui s’épuise dans la formule «Tout peut être anéanti» et un cynisme à la manière des Modernes qui peut s’énoncer sous la forme du «Tout peut être reconstruit, dès lors l’anéantissement n’est pas si grave et peut même être une chance». Plus de perte, plus de deuil – ce mot si «humain», ainsi que l’observe magnifiquement Anders. Il semble bien que, tout à l’ivresse de la déconstruction, nos écologistes ajoutent une troisième modalité de cynisme, l’amoncellement des ruines les grise et il ne s’agit surtout pas de rebâtir, mais de vivre dans un monde où rien jamais ne se fixe. Le slogan de campagne de Sandrine Rousseau à la primaire d’EELV pour la présidentielle de 2022, en est l’expression achevée: «Oui, les temps changent», proclamait triomphalement la candidate.
Comble du progressisme qui regarde le changement en soi, quel que soit son sens, comme une heureuse nouvelle, mais plus profondément conviction que le monde change dans «notre» sens. Une manière de dire: de votre vieux monde, de vos attachements, de vos fidélités, il ne restera rien.
Un gigantesque enlaidissement
«France, ta beauté fout le camp!», avertissait-on dans les années 1970. Hier, le saccage de la France se faisait au nom de la modernisation, aujourd’hui c’est au nom de l’écologie. Après les lotissements standardisés, les zones commerciales, les panneaux publicitaires à l’entrée des villes, les ronds-points défigurant notre pays, voici venu le temps des bornes pour les vélos, les scooters et les voitures électriques, le temps des trottinettes jonchant le sol des villes, de la végétalisation anarchique des rues, chacun étant exhorté à jardiner dans l’espace public, et à devenir «acteur» de la lutte contre le réchauffement et du sauvetage de la biodiversité – sauf que le jardinage est un art – et, naturellement, le temps des éoliennes.
Et c’est ainsi que, à l’abri de la cause du dérèglement climatique, les écologistes travaillent au «dérèglement esthétique», selon l’expression inspirée d’Alexandre Gady, professeur d’histoire de l’art à la Sorbonne, spécialiste du XVIIe siècle. Le grand paradoxe de notre présent tient à ce que, après les promoteurs qui ont œuvré à la bétonisation de la France, dans les années 1960-1970, ce sont les écologistes qui se comportent en «maîtres et possesseurs de la nature», autrement dit selon le credo de la modernité technicienne hautement compromis dans la dévastation de la Terre et des terres. La France et les villes dont ils sont les maires ne sont aux élus EELV et apparentés que de vastes terrains à «réinventer» dans une indifférence parfaite à leur physionomie propre, historiquement constituée.
L’écologie, prétexte commode
Les écologistes sont comme des poissons dans l’eau dans un monde régi et réglé par les identités. (…) «Pas de justice climatique sans justice de genre!» proclamait-on au cours des «marches pour le climat», en 2018 ; en novembre 2019, le secrétaire national d’EELV, alors porte-parole du mouvement, Julien Bayou, Sandra Regol et la sénatrice EELV, Esther Benbassa, participaient «au nom du Parti» à la «marche contre l’islamophobie» organisée par le Comité contre l’islamophobie en France (collectif dissous en 2020). Quant au programme des Journées d’été d’EELV 2021, les propositions de rééducation des esprits foisonnent: «atelier ludique créatif» pour «apprendre à parler épicène et lutter contre la domination patriarcale par le langage ; un autre pour «déconstruire la colonisation patriarcale des imaginaires», ou encore un «Boot Camp écoféministe» «en non-mixité» consacré à l’«Empouvoirement, les femmes aux responsabilités». La liste est loin d’être exhaustive. (Photo : Yannick Jadot se recueille dans l’église Saint-Pierre de Calais en mémoire des migrants morts en mer)
La perplexité nous gagne: quel lien peut-on bien établir entre la crise écologique et la société patriarcale? Entre le réchauffement climatique et le colonialisme? Entre la disparition de certaines espèces vivantes et l’esclavagisme ou le racisme? Il est cependant inextricable dans l’esprit des écologistes.
La nature, les bêtes, les femmes, les minorités sont toutes et chacune victimes de l’homme occidental. Féministes, indigénistes, décoloniaux, associations LGBT et écologistes communient dans le Grand récit de l’intersectionnalité ; celui d’un Occident regardé et présenté comme une vaste fabrique de victimes. (…) Vous pensiez qu’être écologiste c’est avoir le souci de conserver, de préserver ce qui nous a été confié et dont la vie sur Terre dépend. Détrompez-vous: être écologiste, militant ou politique à la manière d’EELV et de ses satellites socialistes, c’est d’abord être en guerre, et en guerre contre la domination, toutes les formes de domination.
Une conception de l’homme
C’est un des points qui m’a le plus frappée au cours de mes recherches: l’incrimination systématique de l’homme. «Tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme», écrivait Rousseau. Tel est en somme le refrain dont on nous tympanise à longueur de temps. Certes, on accuse d’abord l’homme moderne, l’homme de la révolution industrielle. Un mot a même été forgé à cet effet: «anthropocène». Mais bientôt le propos se fait plus général et c’est l’homme et ses activités en tant que tels qui se retrouvent inculpés. Le sort, funeste, de la Terre aurait été scellé en quelque sorte avec la sédentarisation de l’humanité, au néolithique.
(…) L’homme des écologistes est sans histoire, sans épaisseur temporelle, sans sédimentation historique ; créature naturelle aplatie, aplanie sur le présent, voyageur sans bagages. D’où leur défense d’une politique d’immigration de l’accueil inconditionné, ainsi qu’on l’a vu, et d’une société dite «inclusive». Le citoyen à la EELV peut invoquer avec emphase notre responsabilité envers les générations futures, mais leur sens de l’histoire s’arrête là: ils ne se reconnaissent aucune implication dans l’héritage du passé. Or, la diffraction du temps en présent, passé et futur n’appartient qu’à l’homme, fait l’homme. La mémoire, l’entretien du souvenir, la fidélité sont de l’homme et de lui seul.
L’Occident en procès
Notre architecture conceptuelle serait à l’origine du mal que nous avons fait à la nature. Philippe Descola, Bruno Latour, chacun fredonne la ritournelle, convenue et lassante, d’un Occident qui aurait voulu «réduire» le monde – le mot est de Latour – à de grandes oppositions: l’homme et la nature ; l’artifice et le vivant ; le rationnel et l’irrationnel ; l’individu et le collectif.
Le dérèglement écologique viendrait rendre éclatante l’inanité de ce que l’auteur de Nous n’avons jamais été modernes appelle le «Grand Partage» et vérifierait que l’homme n’est pas séparé de la nature, mais «immergé» en elle. Le rapport occidental à la nature n’est assurément pas celui des peuples animistes, totémistes, analogiques pour reprendre les catégories établies par Descola, mais il n’est pas sans vertu. Et ce sont ces vertus qu’il nous faut donner à connaître et à aimer.
Contre la modernité occidentale, on ne joue pas d’autres civilisations, on joue l’Occident. Les écologistes et singulièrement leurs penseurs se refusent à voir quoi que ce soit de précieux dans la forme d’humanité que nous incarnons, et prennent prétexte de l’inquiétude écologique pour alourdir le dossier de notre culpabilité devant l’éternel. Or, les ressources contre les dévastations induites par la logique productiviste et le règne de l’individu délié, autrement dit par la coalition de l’ultralibéralisme économique et du libéralisme sociétal, se trouvent dans nos civilisations.
Longtemps, nous avons cultivé une idée plus noble de l’homme que celle d’homo œconomicus et du sujet de droits. La forme de vie occidentale s’offre comme une voie médiane et qui n’a pas toujours démérité – témoins nos civilisations qui ne se sont pas construites exclusivement contre le donné naturel, contre les bêtes, mais avec elles, et singulièrement en France, civilisation rurale par excellence.
Le refus des limites
Paradoxalement, ou plutôt force et poids du préjugé, l’écologie se refuse à penser et à légitimer la notion de limites. Sans doute répète-t-on en boucle que les ressources de la planète ne sont pas illimitées, mais c’est seulement pour multiplier les interdits les plus arbitraires – limiter la vitesse de circulation parce que l’on a décrété que les voitures devraient disparaître du paysage des villes.
Dans une négation obstinée de la finitude humaine, l’écologie travaille au contraire à l’effacement de toutes les frontières: frontière entre les espèces et, frontières honnies entre toutes, les frontières nationales. (…) Les écologistes sont et demeurent des «mondialistes». Comme les impérialistes du XIXe siècle, ils s’orientent à l’échelle de la Planète. Pour les écologistes, la notion de peuple, cet intermédiaire entre l’individu et l’humanité, cimenté par des souvenirs communs, n’a ni réalité ni légitimité.
Une autre écologie est possible
Si l’«urgence» écologique devait avoir quelque vertu, ce serait celle de nous rappeler à nos possibilités les plus élevées, nous remémorer, je l’ai déjà dit, que l’homme est voué à de plus nobles tâches que celles de consommer et de consumer, d’épuiser et de détruire ce qui lui est confié.
Quand l’homme érode les sols ou transforme les vaches en machines à produire de la viande, il porte atteinte à la nature, au vivant certes, mais d’abord, si j’ose dire, à lui-même. «Un homme, ça s’empêche», disait Camus. Là est sa noblesse.
Je ne milite pas pour la décroissance, je milite pour un homme qui se fixe à lui-même des limites. Il n’est rien de plus grotesque et de plus insupportable que d’entendre les écologistes pourfendre le consumérisme quand, avec toute la gauche, ils l’ont introduit dans le domaine de la culture – qui doit être ludique, vivante, désacralisée, bref aisée à consommer – ou dans le domaine de la vie, où la PMA et bientôt, à n’en pas douter, la GPA doivent satisfaire au «désir d’enfant» de chacun.(…)
Une écologie conservatrice, c’est ainsi au contraire une écologie qui prend appui sur ces dispositions humaines. Partant, qui ne sépare pas la nature de la culture, et encore moins ne joue la première contre la seconde. Comme la nature, les trésors de la civilisation, à commencer par la langue, sont périssables, et ensemble ils doivent pouvoir compter sur un être capable de prendre soin de ce qui est confié à sa garde.
Modelé d’écologie conservatrice, on lira l’admirable plaidoyer en faveur des arbres que le président Pompidou adressa à son premier ministre Jacques Chaban-Delmas, en juillet 1970: «La France, argumente ainsi magnifiquement Pompidou, n’est pas faite seulement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l’importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. (…) La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes – et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes – est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d’un milieu humain.» (…)
Et l’on se prend à rêver d’un président capable aujourd’hui d’une telle liberté à l’endroit des lobbys des énergies renouvelables et d’une telle profession de foi dans la beauté, interrompant impérieusement sa ministre de la Transition écologique entraînée dans une course effrénée à l’implantation de ces redoutables mâts. ■
Eugénie Bastié
* Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie. Elle a fait paraître Libérons-nous du féminisme ! aux éditions de l’Observatoire, 2018. Elle avait publié précédemment « Le Crépuscule des idoles progressistes » (Stock, 2017) et « La Théorie du genre ou Le Monde rêvé des anges », préfacé par Michel Onfray (Livre de poche, 2016).
Toujours plus facile de détruire que de construire alors qu’on a l’impression qu’en ce qui concerne peinture architecture et art de vivre on était arrivé à un sommet qui n’autorise plus au mouvement moderniste qu’une chute vertigineuse. On ne sait plus améliorer alors on détruit pour faire de la nouveauté et autre chose et ça commence par un lavage de cerveau.
L’inclusion à tout prix des handicapés dans les logements a complexifié et augmenté le coût du logement.
Les cuisines intégrées à la salle de séjour , les salles de bain incluant les WC , les halls d’entrée de plein pied, les ascenseurs démesurés, partent certes d’un bon sentiment, toutes ces normes qui s’accumulent par strates rendent la construction de plus en plus difficile, de plus en plus chère, de plus en plus lente, acrobatique, et c’est la majorité qui paye la note. C’est tout le problème actuel: la dictature des minorités pousse la majorité à l’inquiétude et même au désespoir.
Au nom de la non discrimination, on crée artificiellement des places , des quartiers de LGBT avec plots et drapeaux peints au sol, ou aux fenêtres . Cela rappelle les maisons closes en 1945 ( Marthe Richard n’a agi que: le 6 novembre 1946) où sur le mur d’accés, l’Armée US marquait en blanc au pochoir: » Off limits to US forces ! ». Au train où nous allons, nous aurons aussi à l’entrée de certains quartiers: » Interdits aux mineurs, interditx aux hétéros, aux mâles, interdits aux chrétiens, interdits aux blancs, aux blonds, … » j’en passe… Tout cela se terminera mal.
Excellent travail de Bérénice Levet, qui est à la fois d’une grande lucidité par la justesse de son constat , mais aussi encourageante de par les solutions qu’elle met en lumière .
Eugénie Bastié , Mathieu Bock-Côté et des bien des intellectuels courageux réalisent un travail admirable : ce sont les résistants d’aujourd’hui , qui inlassablement , grâce à leurs écrits et à leur vulgarisation via des journaux ou CNews , parviennent à ouvrir petit à petit les yeux des français assoupis depuis trop longtemps ; il parviennent à initier une prise de conscience vitale , et à susciter un désir croissant de nécessaire Reconstruction , face à cette idéologie déconstructrice et mortifère qui sévit depuis quelques décennies, et dont la France n’a que trop souffert .
Cette idéologie, un peu plus démasquée jour après jour , est devenue d’autant plus agressive et caricaturale, qu’il est permis d’espérer ! Cet espoir ne se concrétisera peut-être pas aux prochaines élections , mais une grande volonté est bien là , et un mouvement semble bien en marche .