Par Frédéric Rouvillois.
Cette tribune de Frédéric Rouvillois a naturellement retenu notre attention. (FigaroVox, 24 janvier). Elle traite de l’affaire des parrainages du point de vue du Droit public, le domaine universitaire de son auteur. Raison de plus d’être attentifs à son analyse. On peut en débattre.
TRIBUNE – Le professeur de droit public explique pourquoi la règle des 500 parrainages d’élus pour se présenter à la présidentielle est indéfendable dans son principe comme dans sa pratique.
La règle actuelle institue une oligarchie de fait – celle des personnes susceptibles de parrainer un candidat, seules appelées à participer à ce qui constitue désormais un premier tour de l’élection
Frédéric Rouvillois, professeur de droit public
Comme la chute des feuilles, le risque de neige et la canicule, la question des parrainages revient à dates fixes durant les mois qui précèdent les élections présidentielles – et, avec elle, la charge rituelle contre les candidats accusés à tort ou à raison de crier au loup alors qu’ils seraient certains d’obtenir les 500 précieuses signatures.
Il n’empêche: que penser d’une règle qui, loin de rationaliser le jeu politique, entraîne des perturbations répétées, suscite dans l’opinion un sentiment de malaise et fait planer un risque non négligeable, celui du «séisme», réel ou supposé, qu’entraînerait la non-candidature d’une voire de deux personnes pour qui, assurent les sondages, souhaitent voter 15 ou 20 % du corps électoral? Il faut donc prendre du champ – pour constater que la règle actuelle relative aux parrainages est insoutenable, dans son principe comme dans sa pratique.
En 1962, au moment où l’on instaure l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct, un système de filtrage avait été établi afin d’empêcher que n’importe qui puisse se présenter – ce qui aurait eu pour effet de discréditer cette élection, ses résultats et l’autorité du président élu. Il faut bien, explique alors de Gaulle, «éviter l’énergumène qui jettera le trouble». C’est suivant cette perspective qu’après avoir songé d’abord au chiffre de 50 parrains, qui lui semble suffisant, il accepte d’aller jusqu’à 100. En revanche, de Gaulle refuse de suivre Georges Pompidou, qui suggère de monter jusqu’à 1000, 2000, voire 5000 parrains, ce qui eût limité les candidatures aux représentants des deux principaux partis, et assuré leur mainmise sur une élection qui visait précisément à limiter leur influence.
La loi organique du 18 juin 1976
C’est pourtant ce qui va arriver au début du septennat du président Giscard d’Estaing, la loi organique du 18 juin 1976 relevant la barre à 500 parrainages provenant d’au moins trente départements. Si l’on ajoute que ces parrainages sont uniques, publics et qu’ils doivent être recueillis dans un délai très bref, on comprend pourquoi il est désormais impossible de se présenter à la présidentielle si on ne dispose pas, sur l’ensemble du pays, d’un réseau dense et bien implanté au niveau local.
La règle actuelle institue une oligarchie de fait – celle des personnes susceptibles de parrainer un candidat, seules appelées à participer à ce qui constitue désormais un premier tour de l’élection. Où l’on retrouve la logique du vote censitaire, pourtant aboli en 1848, avec l’avènement du suffrage universel.
Le suffrage censitaire «ancienne manière», pratiqué sous la Restauration et la monarchie de Juillet, consistait à distinguer deux catégories de citoyens, les passifs et les actifs, en se fondant sur le montant de l’impôt acquitté, et donc sur l’importance de la propriété détenue. L’idée qui sous-tend ce mécanisme, c’est que la richesse est considérée comme une présomption de capacité: comment celui qui n’a même pas réussi à s’enrichir ou à conserver son patrimoine, c’est-à-dire à satisfaire rationnellement son intérêt privé, pourrait-il sérieusement participer à la détermination de l’intérêt collectif et au gouvernement de la cité? Avec le système actuel de parrainage, la distinction ne se fonde plus sur la possession de biens, mais sur celle d’une fonction élective qui, elle aussi, vaut brevet de capacité pour celui qui la détient – et en fait un citoyen actif, membre de la minuscule minorité appelée à sélectionner les candidats au premier tour de l’élection.
Le parrainage citoyen en attente d’une loi
La loi électorale de 1817 octroyait la citoyenneté active à environ 100.000 personnes ; la loi organique de 1976 la limite à environ 42.000 élus. Dans les deux cas, cependant, c’est une même logique qui est à l’œuvre: un système de double présomption, de capacité pour ceux qui figurent sur la liste, et d’incapacité pour les autres, en somme, pour le peuple.
Au regard de la théorie démocratique, cette solution est inadmissible dès lors qu’elle porte atteinte au droit présumé souverain de chaque citoyen, mais aussi – autre ressemblance peu flatteuse avec la monarchie de Juillet -, parce que plus de la moitié des parrains potentiels sont maires de communes de moins de 1000 habitants: autrement dit, pointait la commission Jospin en 2012, les élus «les plus susceptibles de subir des pressions contradictoires, soit de la part des candidats déclarés eux-mêmes, soit de la part de partis qui souhaitent favoriser la démarche de tel ou tel candidat ou, au contraire, y faire obstacle», soit (eût ajouté Stendhal) des préfets et autres représentants locaux de l’État.
En définitive, le seul mécanisme défendable serait un parrainage citoyen: pourraient être candidats tous ceux se prévalant du soutien d’un certain nombre d’électeurs, suivant des modalités déterminées par la loi, incluant notamment l’anonymat des parrainages. Alors seulement, disparaîtrait la distinction entre «citoyens actifs» et «citoyens passifs», inconcevable dans un système qui se prétend démocratique.
Pourquoi cette réforme – que prônait déjà le comité Balladur dans son rapport de 2007, puis la Commission Jospin en 2012 – est-elle toujours en attente, alors qu’il suffirait d’une simple loi ? ■
Délégué général de la Fondation du Pont-Neuf (think-tank) et auteur de nombreux ouvrages remarqués, Frédéric Rouvillois a notamment publié Histoire de la politesse de la Révolution à nos jours (Flammarion, 2006), Histoire du snobisme (Flammarion, 2008), L’Invention du progrès, 1680-1730. Aux origines de la pensée totalitaire (Éditions du CNRS, 2011) et Liquidation. Emmanuel Macron et le saint-simonisme. (Éditions du Cerf, 2020). Pour s’informer de ses travaux et publications, suivre le lien ci-dessous.
Frédéric Rouvillois
Et pourquoi pas, aucun parrainage, mais obligation pour les candidats de faire parvenir profession de foi ( feuille A recto verso) et l’obligation de fournir le nombre de bulletins de vote suffisant, soit envoyés avec l’ensemble des professions de foi de tous les candidats, ou remis dans les bureaux de vote, celà permettrait de limiter les candidatures fantaisistes, en attendant BIEN SUR le retour du ROI, dont la présence éviterait cette grotesque kermesse électorale