Par Solange Bied-Charreton.
Cette intéressante tribune est parue hier 26 janvier dans FigaroVox. Elle mérite d’être lue et l’on peut en débattre.
TRIBUNE – – Le ministère des Armées a pressé le directeur de campagne d’Éric Zemmour, Bertrand de la Chesnais, ancien numéro 2 de l’armée de terre, de prendre sa retraite. Cette demande correspond à une interprétation étroite du devoir de réserve, selon Solange Bied-Charreton. (Photo ci-dessus : le général Bertrand de La Chesnais).
« Qui imagine un seul instant le général de Gaulle, alors militaire d’active, renoncer à lancer son appel à la résistance en juin 1940 au nom du devoir de réserve ? »
Marronnier des relations entre politiques et militaires, ce devoir de réserve a encore été mis en lumière au printemps dernier par l’affaire de la « tribune des généraux ». Cette tribune, signée par un millier de militaires dont une vingtaine d’anciens généraux avait d’abord été publiée sur le blog Place Armes, puis reprise sur le site de Valeurs actuelles le 20 avril 2021. Ravivant le souvenir du Putsch des généraux d’Alger d’avril 1961, même si la référence avait été contestée par ses auteurs, celle-ci avait inquiété l’exécutif. Le rappel à l’ordre de Florence Parly, ministre des Armées, évoquant des « sanctions » prises à l’encontre des militaires d’active, pointait le caractère contraignant de leur statut, malgré l’assouplissement introduit par le nouveau statut général de 2005. Dès l’article 4, cette loi (n 2005-270) évoque « la réserve exigée par l’état militaire », que l’on retrouve dans l’article L.4121-2 du Code de la défense. L’article L.4121-3 expose même que les militaires en activité doivent se garder « d’adhérer à des groupements ou associations à caractère politique », bien qu’ils puissent par ailleurs être candidats à une élection. Quant au principe général, on le constate, il peut donner libre cours à l’interprétation : « l’état militaire exige en toutes circonstances un esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité ». Une boîte à Pandore jurisprudentielle.
D’abord, parce qu’aucun texte de loi n’entérine le concept juridique de « devoir de réserve » s’appliquant aux fonctionnaires. Tout juste note-t-on que, pour les militaires, l’accent sera porté sur la loyauté et la défense des intérêts du pays. Que le général Bertrand de la Chesnais ne considèrerait-il pas que son engagement auprès du candidat Zemmour y est fortement imbriqué ? Lui, qui a quitté le service actif en 2017 pour la création d’une société de conseil en stratégie, avait déjà brigué la mairie de Carpentras sans étiquette lors des élections municipales de 2020. Il avait, en outre, affiché son soutien à la liste RN conduite par Thierry Mariani en PACA aux élections régionales de 2021, sans en être inquiété par le ministère. Tout porte à croire que son ralliement à Éric Zemmour, d’abord comme conseiller en charge de la défense puis comme directeur de campagne n’est pas du goût de la macronie. Le porte-parole du ministère des Armées, Hervé Granjean, a beau rappeler que l’injonction formulée à Bertrand de la Chesnais à se mettre à la retraite est « un message très clair » en justifiant : « Ce que je dis là, c’est le Code de la Défense, c’est donc la loi », le devoir de réserve en tant que tel est un fruit de la jurisprudence. Consécutivement, il autorise une marge d’appréciation importante et qu’on ne saurait nier.
Plus que le devoir de réserve, c’est l’expression « mise à la retraite » qui nous interroge. Après les années de service, un officier général se retrouve en 2e section. En sortir (en être sorti) est une sanction disciplinaire – celle, par exemple, que l’on a imposée aux généraux 2S signataires de la tribune du printemps 2021, au nom de la violation de ce devoir, de leur engagement en politique. On se souvient toutefois du général Philippe Morillon, commandant les forces armées de l’ONU et pénétrant à Srebrenica (Bosnie-Herzégovine) en mars 1993 après le massacre. À partir de 1997, il s’était investi dans la vie civile, d’abord dans le cadre des Journées mondiales de la jeunesse à Paris, ensuite comme élu UDF au Parlement européen de 1999 à 2004. Un positionnement politique qui n’aura gêné personne. Pas plus que celui du général Jacques Pâris de Bollardière qui, après la guerre d’Algérie, avait poursuivi des activités militantes contre la torture. Figure de la non-violence, Bollardière incarne sans doute la bonne violation du devoir de réserve.
Plus historiquement, plus fondamentalement, qui imagine un seul instant le général de Gaulle, alors militaire d’active, renoncer à lancer son appel à la résistance en juin 1940 au nom du devoir de réserve ? Reductio ad absurdum, cette tournure rhétorique, antienne initiée par François Fillon et depuis usée à l’envi, nous permet à tout le moins de mettre en relief le caractère remarquablement politique de l’avertissement du ministère de la Défense à l’encontre du Général de La Chesnais. Interrogeons, encore, la situation de 1958, celle du retour au pouvoir du Général : De Gaulle s’est retiré depuis 1952 et nous ne sommes plus en guerre. Quelles sanctions pour lui ? S’il ne s’agit pas de comparer le directeur de campagne du candidat de Reconquête à l’homme de la Résistance, la rigueur de l’option retenue par le pouvoir envers La Chesnais est celle d’une conception du devoir de réserve qui frappe par l’étroitesse de son interprétation.
Longtemps la France s’est méfiée de la concentration du pouvoir dans les mains d’un seul homme. Vichy mis à part, c’est le parlementarisme qui régissait, qui rassurait une France traumatisée par l’avènement au pouvoir d’un Mac-Mahon en 1873. C’est même au nom de l’idéal républicain qu’on a longtemps fustigé les dispositions de la Constitution de la Ve République. Ironie historique, la position de l’exécutif à propos de La Chesnais vient comme un écho à la conception gaullienne, autoritaire, du pouvoir, celle du président monarque absolu, prompt à faire tomber « des sanctions », figure impériale telle qu’ambitionnée par la Constitution de la Ve République et dont Emmanuel Macron a souhaité, à travers son ambition jupitérienne, restituer la grandeur. C’est elle dont il s’empare lorsqu’il s’impose au CEMA Pierre de Villiers à l’été 2017 ou, par le biais de sa majorité, rappelle à l’ordre La Chesnais pour sa participation à la campagne présidentielle. C’est la position d’un général face à ses subalternes.
Mais en réalité, la République française n’a jamais grandi loin de la Grande Muette. Lorsqu’il fit paraître Le coup d’État permanent en 1964, François Mitterrand pointait le danger de la confusion entre légitimité et légalité émanant de la figure de De Gaulle. Dévoyée par le maréchal Pétain, cette République fut rétablie par un général… Et, il n’y a que les tartuffes pour l’oublier, les noms de Leclerc, de Lattre de Tassigny, de Juin, furent associés à la IVe République, pour les rôles de premiers plans, équivalents à ceux des ministres, qu’ils y jouèrent. ■
Solange Bied-Charreton est écrivain et journaliste. Son dernier ouvrage paru : Paris sous la terre, Le Rocher (octobre 2021).
On peut lire aussi l’analyse de Yann Sinclair sur sa page Facebook.
Rappel historique :les futurs maréchaux de Lattre,et Juin,furent fidèles au maréchal
Pétain, jusqu’en novembre 1942 !avant de rallier de Gaulle .
« Plus historiquement, plus fondamentalement, qui imagine un seul instant le général de Gaulle, alors militaire d’active, renoncer à lancer son appel à la résistance en juin 1940 au nom du devoir de réserve ? »
Je n’y étais pas mais les historiens disent que De Gaulle, présent à Bordeaux le 16 juin, , a regardé la liste que détenait le Maréchal Pétain et où il ne figurait pas , et constatant cela, il partit et fut récupéré par le général Spears à qui il déclare: » « C’est bon, ils ne veulent pas de moi ! Dans ces conditions je fous le camp à Londres ». . Il existe de plus une lettre de De Gaulle depuis Londres à Weygand du 20 juin, où il se déclare prêt à revenir :Le 20, de Gaulle adresse au général Weygand, par l’intermédiaire de l’attaché militaire de France à Londres, la lettre suivante :
« Mon Général,
J’ai reçu votre ordre de rentrer en France. Je me suis donc tout de suite enquis du moyen de le faire, car je n’ai, bien entendu, aucune autre résolution que celle de servir en combattant.
Je pense donc venir me présenter à vous dans les vingt-quatre heures si, d’ici là, la capitulation n’a pas été signée.
Au cas où elle le serait, je me joindrais à toute résistance française qui s’organiserait où que ce soit. A Londres, en particulier, il existe des éléments militaires, – et sans doute en viendra-t-il d’autres, – qui sont résolus à combattre, quoi qu’il arrive dans la métropole.
Je crois devoir vous dire très simplement que je souhaite pour la France et pour vous, mon Général, que vous sachiez et puissiez échapper au désastre, gagner la France d’outre-mer et poursuivre la guerre. Il n’y a pas actuellement d’armistice possible dans l’honneur.
J’ajoute que mes rapports personnels avec le gouvernement britannique – en particulier avec M. Churchill – pourraient me permettre d’être utile à vous-même ou à toute autre personnalité française qui voudrait se mettre à la tête de la résistance française continuée.
Je vous prie de bien vouloir agréer, mon Général, l’expression de mes sentiments très respectueux et dévoués. »
Le 25 juin , il n’y a pas de « capitulation » mais une « armistice » . Rappelons que le 18 juin, nous sommes encore en guerre, que le Général De Gaulle est encore soumis à un ordre militaire, une hiérarchie, que reconnait De Gaulle en écrivant à Weygand, et que le terme « devoir de réserve » ne peut donc avoir cours. En cas de désaccord, on ne peut que se soumettre ou entrer en rébellion ou déserter. C’est ce qu’a fait De Gaulle et ce qui s’est passé en 1961 lors de l’échec du Putsch.