PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce samedi 29 janvier. Mathieu Bock-Côté y traite d’un sujet souvent évoqué dans JSF, notamment dans les éditoriaux de Louis-Joseph Delanglade écrits dans un esprit de réalpolitique – dont Jacques Bainville fut l’un des experts les plus reconnus. Avec Mathieu Bock-Côté, sur ce sujet, comme bien d’autres, nous sommes sur la même ligne.
« Un monde multipolaire où les États renouent avec la volonté de puissance et où les exigences géopolitiques pèsent plus lourdement que les querelles de doctrines. »
Pour peu qu’on la regarde sans passion militante, la crise ukrainienne se présente aujourd’hui à la manière d’un incroyable révélateur de visions contrastées de l’ordre international et de la manière de s’y projeter. Surtout, elle dévoile le conflit entre deux imaginaires politiques contradictoires, hostiles, même, entre deux manières de voir la scène mondiale. Entre les rodomontades guerrières des nostalgiques de la guerre froide qui rêvent de reprendre une grande croisade démocratique contre des Russes grimés en méchants de jadis, et la fascination d’un trop grand nombre pour le virilisme poutinien, l’Europe peine à trouver sa voix, et plus encore, sa politique.
Les premiers se soumettent à une forme de réflexe pavlovien qui ne correspond plus aux réalités internationales des temps présents. La prétention qu’ont les Américains d’être les leaders du monde libre ne va plus autant de soi qu’auparavant. Les seconds révèlent sans même s’en rendre compte une forme de dégoût de soi qui pousse à se tourner de manière fantasmatique vers un sauveur extérieur. Nos démocraties faibles en viennent quelquefois à rêver d’un homme fort, d’un homme à poigne qui viendrait les sortir de leur torpeur. Il y a quelque chose d’étonnant dans la passion de certains souverainistes pour Moscou, comme s’ils se cherchaient à l’extérieur de leurs frontières une référence manquante chez eux.
Comment jeter un regard critique sur la Russie de Poutine sans reproduire servilement celui des États-Unis, qui ne peuvent s’empêcher de toujours étendre leur zone d’influence et qui, objectivement, rêvent d’enserrer et d’encercler la Russie, sans se rendre compte qu’on n’humilie pas un grand pays sans en payer le prix? On pourrait se demander si les Américains ont un souci minimal de la psychologie des peuples, ou s’ils continuent, étrangement, à croire que la planète entière rêve de les imiter, pour reproduire leur modèle de société, comme le croyaient encore au début des années 2000 ceux qu’on appelait alors les néoconservateurs.
L’image est souvent utilisée: comment réagiraient les États-Unis si le Canada envisageait de s’éloigner d’eux et de rejoindre une alliance militaire pilotée par Moscou? On se souvient de leur réaction au moment de la crise des missiles en 1962. À chaque grande puissance sa prétention à sa zone d’influence naturelle, à chaque empire sa conception de l’étranger proche. Certains pays, quoi qu’on en pense, et même si on s’en désole, sont condamnés à une forme d’équilibrisme géopolitique et culturel et doivent gérer comme ils peuvent leur pesant voisin, sans servilité ni hostilité déclarée. C’est même la condition de leur indépendance.
Être voisin immédiat de la Russie condamne à une vocation d’équilibriste diplomatique. On comprendra naturellement la méfiance naturelle des pays au pourtour de la Russie envers un empire qui les traite comme tout autant de dépendances, et qui voit dans leur aspiration naturelle à l’indépendance la velléité dérisoire de provinces rebelles condamnées à l’insignifiance par l’histoire. L’histoire de la liberté des peuples, depuis un siècle, pourrait s’écrire à partir de l’expérience des Baltes, de la Pologne et de tous les pays coincés entre la Russie et l’Allemagne, à la recherche d’un chemin étroit vers la souveraineté nationale.
Les Européens sont-ils encore conscients de leur propre géographie? On en doutera, tellement l’Union européenne elle-même tend à se définir exclusivement par une référence exclusivement à des principes, des valeurs et des normes, sans jamais vraiment s’appuyer sur ce qu’on appellera un substrat identitaire civilisationnel. Il y a dans la construction européenne telle qu’elle s’est réinventée depuis le début des années 1990 quelque chose d’impolitique et d’ahistorique. La crise ukrainienne, de ce point de vue, force chaque pays à renouer avec un certain sens des réalités, comme on le voit avec l’Allemagne, qui, à travers le constat de ses besoins énergétiques, découvre qu’elle ne peut plus se comporter simplement comme le 51e État américain.
Ceux qui veulent voir dans la crise ukrainienne un simple conflit entre la démocratie et l’autoritarisme sont prisonniers de schémas mentaux périmés. L’idéologisation de la politique internationale convient mal à la description d’un monde multipolaire où les États renouent avec la volonté de puissance et où les exigences géopolitiques pèsent plus lourdement que les querelles de doctrines. L’Occident n’a plus les moyens de traduire l’ordre du monde dans ses propres catégories. D’ailleurs, les deux rives du monde occidental s’éloignent toujours davantage. De ce point de vue, la crise ukrainienne représente probablement un moment de mise à jour des représentations de l’ordre international hérité de l’après-guerre froide. ■
Mathieu Bock-Côté
À lire dans JSF
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques(éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
bonjour
a lire
cordialement
« Dans l’ordre du réel », comme le dit Maurras, il nous faut refuser catégoriquement de « mourir pour l’Ukraine ». Et de nous engager au service du bellicisme de l’OTAN. Au temps de l’URSS, personne ne s’indignait que l’Ukraine lui appartienne ! Ni la IIIe République au temps des tsars…
Mathieu Bock Côté puis-je vous suggérer d’écouter les propos sidérants, prononcés lors d’une conférence en 2015 par George FRIEDMAN (STRATFOR) dont on peut comprendre la proximité avec la CIA. Ces propos révèlent ce qui sous-tend la stratégie géopolitique des USA par la divulgation des plans et des moyens mis en œuvre pour créer un cordon sanitaire entre Baltique et Mer Noire afin de contrer la Russie. Il cite notamment le général HODGES se rendant en Ukraine pour annoncer l’arrivée, cette fois-ci officielle, de nouveaux conseillers militaires américains, lequel décore des soldats ukrainiens, bien que ce soit contraire au règlement de l’armée US, pour signifier par ce geste que l’armée ukrainienne est une armée américaine.
https://youtu.be/qM8nYBnlBmU : une vidéo absolument passionnante relative à un personnage charismatique …
Bonne écoute !
Dans le même sens de cet article qui fait de la crise ukrainenne un révélateur de nos contradictions et de nos impuissances, la relecture des secousses qu’ont été, de 1933 à 1939, la guerre d’Ethiopie et surout la guerre d’Espagne montre la complexité des idéologies et des réalités humaines au sein même des partis. Les variations au sein de la SFIO face à la montée de Hitler, à la personnalité de Mussolini qui fut le premier à s’opposer à Hitler et surtout face à la guerre d’Espagne , les discours étonnants de Léon Blum pacifiste à tout crin et Paul Faure l’autre leader bien oublié depuis, les « je t’aime moi non plus » entre la dite SFIO et le parti communiste, tout cet imbroglio éclaire les discours autour de la volonté soudaine de Poutine . Pourquoi ? Que veut-il en réalité ? Est ce de la gesticulation ? Quel est notre intérêt ? Pouvait on faire tuer 120.000 hommes dans une guerre préventive en 1935 pour éviter 40 millions de morts en 1945 , comme cela a été chiffré après coup ? Cela parait simple après mais avant ? La bombe atomique retient encore la main qui appuiera sur le bouton rouge, mais jusqu’à quand ?
En réponse à Monrose :
Un militaire haut gradé américain ose 7 questions sur la folle accélération des dépenses militaires américaines depuis le discours d’adieu de IKE, le 17 janvier 1961. Ces questions mettent en lumière les risques accrus pour la planète que fait courir un « Complexe Militaro-Industriel » plus fort que jamais, dictant ses besoins financiers au Sénat américain, et qui apparaît comme étant incontestablement une mécanique diabolique, une menace pour la paix, et le ressort essentiel qui sous-tend et explique toute la géopolitique des Etats-Unis à la recherche constante d’ennemis d’une taille suffisante pour justifier tout et n’importe quoi, notamment le principe de la guerre préventive, parfois fantasmée, tout le reste n’étant qu’écran de fumée et littérature!
Ce serait une grave erreur de ne pas faire le parallèle avec l’offensive actuelle d’un « Complexe Pharmaco-Industriel » en phase d’éruption, ce dernier semblant évoluer sur un mode discontinu de fonctionnement tandis que le mode d’évolution du précédent s’apparenterait plutôt à l’expansion de l’univers.
Des questions véritablement cruciales impliquant des centaines de milliards, voire des milliers de milliards de dollars des contribuables américains passent largement inaperçues, écrit William J. Astore.
Source : Consortium News, Wiliam Astore Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le « Complexe militaro-industriel » est un terme qui fait florès depuis 1961. Il est relayé actuellement par un terme similaire à la fois esotérique et secret: « Big Pharma ». Il permet ainsi de désigner des firmes plus ou moins cachées qui feraient notre malheur. « Une main cachée dirige’ et c’est commode. Il est étrange de constater que c’est depûis 1961, justement, que les USA reculent sur tous les fronts et accumulent les échecs. Que ce soit en Corée, au Vietnam, en Somalie, en Irak, en Syrie, en Afrique même où la Chine et un peu la Russie s’implantent à qui mieux mieux, les USA maléfiques sont bloqués. Ont-ils mis la main sur Cuba comme Poutine l’a fait sur la Crimée où pourtant il régnait en maitre avec sa flotte ? Ont-ils liquidé Maduro qui les insulte et fait le malheur de son peuple, alors que le gentil Poutine intervient directement en Georgie, au Kazakhstan ou en Syrie ? Visiblement le fameux « complexe militaro- industriel » n’a pas tous les pouvoirs ou a des ratés.
De même, le commode « Big Pharma » permet d’accabler de tous les maux de la planéte, quelques grosses firmes pharmaceutiques qui ne nous veulent, évidemment, que du mal. Pourquoi ont elles mis 10 ans à trouver la bi-therapie pour dompter le VIH qui décimait nos boites de nuit branchées ? Pourquoi ont elles trouvé le vaccin pour la polio ou ces horribles antibiotiques qui ont fait disparaitre le Rhumatisme articulaire aigu, la méningite tuberculeuse et vidé les Sanas.? Quel besoin avaient-elles d’inventer le stent, ce ressort qui débouche nos coronaires et nous permet de survivre quelques années de plus.? Pourquoi « Intuitiv Surgical » a-t-elle conçu le Robot dal Cin qui raccourcit de moitié le temps opératoire et limite les suites ? Décidemment , ces US se croient tout permis. Ils en ont même le quasi monopole ….
Par chance, si je comprends bien le « Complexe militaro industriel » fonctionne de façon discontinue alors que le géopolitique US agirait de façon continue que ce soit sous Obama, Trump ou Biden… Etrange ! Espérons que « Big Pharma » va donc aussi se calmer , et nous laisser claquer prématurément au lieu de prolonger inutilement notre durée d’existence si triste, à l’ombre du parasol US troué.