Par Dominique Jamet.
Tribune publiée dans Valeurs actuelles hier, 7 février.
Le temps de l’élection présidentielle est l’occasion exceptionnelle pour les médias et les journalistes de se rappeler que c’est aussi et surtout une rencontre “entre un homme, ou une femme, et le peuple tout entier”, analyse de Dominique Jamet.
« Nous entrons en période électorale, dans l’un de ces brefs intervalles de l’histoire où même le politicien le plus arrogant se garderait bien de dire, persisterait-il à le penser, qu’il y a des gens « qui ne sont rien ».
Lorsque revient en France, tous les cinq ans désormais, le temps de l’élection présidentielle, l’ensemble des médias ne manque pas de souligner rituellement que ce scrutin, depuis 1958, est la clé de voûte de nos institutions. Puis, dans la foulée, et avant même qu’ait commencé la campagne, avec son déluge d’analyses, de commentaires, de sondages, de prévisions, de portraits, d’interviews, de meetings, de déclarations, de programmes, de coups fourrés, d’alliances, de ruptures, de ralliements, de trahisons, il nous est rituellement rappelé, comme une formule sacramentelle, que cette consultation, mère de toutes les batailles, est l’occasion exceptionnelle d’une rencontre “entre un homme, ou une femme, et le peuple tout entier”.
“Le peuple” ? Au seul énonce de ce mot, dans toutes les rédactions, presse écrite, radio, télévision, les responsables des services politiques, les rédacteurs en chef, les directeurs de la rédaction se frappent le front – c’est là qu’est leur génie – et l’idée, l’idée nouvelle et féconde, jaillit soudain. Le peuple ? Bon Dieu, mais c’est bien sûr, comme disait le brave commissaire Bourrel dans une série télévisée légendaire. Justement, ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas mis à la “Une”, longtemps qu’on n’avait pas ouvert sur lui, longtemps qu’on ne lui avait pas rendu visite, longtemps qu’on n’avait pas pris des nouvelles de sa santé, qu’on ne s’était pas enquis de son moral, des conditions dans lesquelles il vit, de ses soucis, de ses difficultés, de ses colères, de ses espoirs, de ses frustrations, de ses craintes, de ses obsessions, de ses sujets de plainte ou de mécontentement, qu’on ne lui avait pas demandé son avis pour de bon (quitte à ne pas en tenir compte), qu’on ne l’avait pas consulté. Longtemps ? Cinq ans tout juste, comme ça tombe bien.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Comme un vol de gerfauts hors de la capitale, là où tout s’imprime, où tout se passe et se fait – les modes, les lois et les carrières – les journalistes par dizaines ont pris l’air (du large) et sont partis à la rencontre des Français. Pas de ceux sur qui se braquent d’ordinaire les caméras, vers qui se tendent les micros, dont on recueille pieusement les propos, pas de ceux qui ont habituellement droit aux attentions, aux ménagements, aux sollicitations des puissants. Nous entrons en période électorale, dans l’un de ces brefs intervalles de l’histoire où même le politicien le plus arrogant se garderait bien de dire, persisterait-il à le penser, qu’il y a des gens « qui ne sont rien ». Il importe d’aller au contact de la majorité silencieuse, d’écouter ceux que l’on ignore, de faire parler ceux qui se taisent. Les indigènes, les aborigènes, les naturels, les autochtones, les “vraies gens”.
Sur les pas des grands explorateurs, des grands anthropologues, des grands ethnologues dont l’histoire a retenu les noms, de jeunes et dynamiques reporters n’ont pas hésité à traverser les déserts médicaux de la ruralité, à s’aventurer bien au-delà du boulevard périphérique, dans le grand Nord (et le Pas-de-Calais) dans le Grand Est, jusqu’à Vesoul, sur nos lointaines terres australes, en dehors des lignes du TGV. Ils ont, nouveaux Rouletabille, tenté de démêler le mystère des Gilets jaunes, ils ont, modernes Albert Londres, porté le fer dans la plaine et ouvert le dialogue avec la tribu des Bonnets rouges, ils ont même pu pénétrer sur le territoire inviolé de la féroce peuplade des antivax mangeurs de médecins qui refusaient jusqu’ici tout contact avec le reste de l’humanité.
Pas plus tard que la semaine passée, des envoyés spéciaux de notre confrère Libération ont ainsi séjourné plusieurs heures à Lure (Haute-Saône), Héricourt et Denain, (Hauts-de-France) ou Fayence (Var). Ils y ont approché et interviewé plusieurs représentants authentiques de nos peuples premiers. Le dossier qu’en a tiré le quotidien dessine un Tintin au pays des Français qui n’a rien d’une bande dessinée pour enfants.
À leur indicible surprise, les enquêteurs de Libération ont en effet découvert que la France, pays riche et développé, est aussi un pays où des centaines de milliers, voire des millions de citoyens vivent ou plutôt survivent, les uns en dessous du seuil de pauvreté, aux marges de la communauté nationale, les autres partagés entre la défiance, le dégoût, le rejet, la révolte, avec le sentiment d’être délaissés, ignorés, abandonnés par ceux d’en haut, les uns si désespérés qu’ils ont renoncé à participer à la vie politique et ne voteront pas, les autres, si encolérés qu’ils s’apprêtent à donner aux extrêmes une représentativité et une légitimité qu’ils n’avaient jamais connues dans notre pays. Nos peuples premiers se sentent sacrifiés. Quel qu’il soit, notre prochain président ne sera pas l’élu du peuple tout entier. ■
bonjour
nous habitons en province , petite ville de 15000 habitants on constate tous les jours que la misere avance
cordialement
thizy