Dans son édito de ce lundi 14 février sur C New, Paul Sugy, journaliste au Figaro, revient sur l’utilisation de l’expression « grand remplacement » par Valérie Pécresse dimanche lors de son meeting au Zénith de Paris. Sur l’opportunité électorale de la chose, pour Valérie Pécresse, tous les avis et toutes les contorsions de l’esprit sont possibles. Sur la réalité du Grand remplacement en cours de se faire et / ou sur le risque qu’il s’accomplisse, nous n’avons pas de doute quant à nous. Ne s’agirait-il que d’un risque, que nous n’aurions pas le droit de le faire courir à la France.
Texte de cet édito
C’est un mot transgressif, et Valérie Pécresse le sait, elle l’a parfaitement calculé. C’est un mot qui à lui seul vous vaut une excommunication immédiate, prononcée latae sententiae dans la minute même qui suit l’instant où il a été prononcé, sur toutes les chaînes d’info du pays. D’ailleurs Valérie Pécresse le prononce avec un geste de défi, et une intonation assurée dans la voix qui a dû faire s’étrangler plus d’un ténor du parti dans les tribunes.
Alors on pourra toujours faire l’exégèse du passage et tenter de souligner la distance que prend la candidate LR avec le concept, puisqu’elle semble répondre à Éric Zemmour en disant que ni le grand remplacement, ni le grand déclassement ne sont des fatalités, reste que reprendre à son compte le mot sans souligner immédiatement après qu’il s’agit d’une théorie complotiste d’extrême-droite, c’est un marqueur politique qui suffit à vous classer aux yeux de la plupart des éditorialistes comme étant en dehors du champ des opinions admissibles. Il faut parier que dans les prochains jours, c’est le prétexte que choisirons ceux à droite qui ne croiront plus dans les chances de succès de Valérie Pécresse, pour justifier leur ralliement à la candidature de Macron.
Le « grand remplacement » est un concept forgé par l’écrivain Renaud Camus, qui est à la base un chevènementiste, qui a ensuite lentement basculé dans le camp identitaire, et dont l’œuvre est notamment marquée par une critique féroce du multiculturalisme et des conséquences de l’immigration de masse.
Il emploie l’expression de « grand remplacement » dans un de ses livres en 2010, qu’il ne présente d’ailleurs pas comme un concept mais comme un concept, frappé du sceau de l’évidence : « Un peuple était là, stable, occupant le même territoire depuis quinze ou vingt siècles. Et tout à coup, très rapidement, en une ou deux générations, un ou plusieurs autres peuples se substituent à lui. Il est remplacé, ce n’est plus lui. »
C’est en effet Éric Zemmour qui a introduit le mot dans la campagne alors que Marine Le Pen se refuse à l’employer, mais avant Zemmour, beaucoup de personnalités politiques de la droite nationaliste l’avaient repris, de Jean-Marie Le Pen à Robert Ménard en passant par le député Jacques Bompard, et plus récemment, Jordan Bardella et Éric Ciotti. D’ailleurs quand on l’interrogeait sur l’emploi de ce mot par Ciotti, Pécresse répondait en novembre « Je déteste cette expression, mais elle renvoie à une réalité vécue dans un certain nombre de quartiers où on a ghettoïsé et pratiqué le séparatisme urbain ».
En employant ce terme, la candidate a commis une maladresse. D’une part car Valérie Pécresse donne l’impression d’être à la remorque d’Éric Zemmour, et avalise la crainte selon laquelle son parti est en état de mort cérébrale. Les soutiens d’Éric Zemmour l’ont invité à rallier le candidat à l’issue de son meeting…
Ensuite parce que le « grand remplacement », c’est une expression ambigüe, et qu’a minima en l’employant il faut apporter quelques précisions. Et en même temps, je comprends qu’on ait envie de l’employer, parce que pour les électeurs c’est un mot devenu synonyme simplement d’immigration de masse. Il vient illustrer en tout cas l’impression, très largement partagée, que l’immigration n’affecte pas seulement les conditions de vie socio-économique en France mais qu’elle a des conséquences sur le destin du pays.
Sauf qu’avec le « grand remplacement » on ne sait pas très bien de quoi on parle. Le mot flirte avec une conception ethniciste du peuple, et peut rappeler des théories racistes. Ensuite il laisse sous-entendre que l’immigration de masse n’est au fond que l’instrument d’un projet intentionnel d’annihilation du peuple français. D’ailleurs Renaud Camus avait imaginé le mot en référence à la phrase humoristique de Bertolt Brecht : « ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple ? »
Et c’est là qu’il faudrait préciser quelle est cette intentionnalité. Ce qui est vrai c’est que l’immigration est un phénomène voulu et organisé, par les milieux politiques et économiques, que ce soit pour pallier la démographie faiblissante ou même pour peser à la baisse sur les salaires. Et ce qui est vrai aussi, c’est que cette immigration est accompagnée d’un renoncement civilisationnel, c’est le refus de défendre un modèle d’assimilation républicain tel que ce fut longtemps le cas.
Mais cela, Valérie Pécresse ne le dit pas, et pire encore, rien dans son discours ne permet de penser qu’elle va jouer sur ces ressorts qui rendent justement l’immigration de masse inéluctable.
Et du reste, tout ça ne permet pas de parler du remplacement de peuple par un autre. L’immigration de masse me semble plutôt relever d’un phénomène incontrôlé, chaotique, qui désolidarise le peuple et le dissout dans un magma où se confondent pêle-mêle les chapelles et les communautés, mais il n’y a pas un nouveau peuple, c’est peut-être même tout le drame : un peuple c’est « un ensemble d’êtres humains vivant en société, formant une communauté culturelle, et ayant en partie une origine commune ». Valérie Pécresse, qui défend une « nouvelle France », ferait mieux d’expliquer dans ses discours comment elle va ressouder culturellement les communautés disparates qui forment aujourd’hui le vaste archipel français.