PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro d’hier samedi 19 février. Nous ,’avons rien à y ajouter. Comme sur bien des sujets, avec Mathieu Bock-Côté, nous sommes sur la même ligne. Et sur ce sujet précis, nous revenons souvent dans JSF. C’est un combat à mener sans cesse. Nos lecteurs le retrouveront demain lundi sous la signature de Louis-Joseph Delanglade.
CHRONIQUE – Il n’est pas inintéressant de suivre l’évolution du franglais au Québec, dans un environnement géopolitique bien différent, pour voir de quelle manière il peut disloquer la structure intime d’une identité collective.
Il n’est pas inintéressant de suivre l’évolution du franglais au Québec
La mise en garde de l’Académie française contre le progrès du franglais en a fait sourire plusieurs, et de vilaine manière, à travers le rictus déformant de la condescendance mondaine. Elle témoignerait d’un purisme linguistique forcément réactionnaire, et peut-être même nationaliste, pourquoi pas, qui n’aurait rien à voir avec l’évolution naturelle d’une langue, faite d’emprunts au vocabulaire des autres, sous le signe du métissage universel et de l’interpénétration des cultures. C’est le parti du « circulez, y a rien à voir », qui devant chaque transformation sociale, nous explique tout à la fois que rien ne se passe et que ce qui se passe est merveilleux. Comme quoi l’orthodoxie progressiste existe en linguistique comme ailleurs, et vient annihiler toute réflexion possible sur l’esprit d’une langue et son génie propre.
Pourtant, l’Académie française vise juste. Elle ne se désole pas d’emprunts occasionnels à l’anglais et n’entend pas mettre la langue française dans un bocal. Elle se désole de la dénaturation d’une langue qui, pour nommer la modernité, l’intensité, le mouvement, qui pour embrasser la nouvelle époque, autrement dit, ne croit pas possible de ne pas faire appel, et cela, de manière souvent ridicule, à l’anglais.
Qu’on ne se trompe pas: il y a derrière le franglais un fascinant snobisme. On ne compte plus dans les publicités des entreprises, et même dans le vocabulaire ordinaire des uns et des autres, ces termes franglisés, censés éveiller le désir. On ne sait jamais exactement à quoi ils se réfèrent, et on se demande à bon droit si celui qui les utilise les comprend lui-même.
Mais le franglais n’est pas qu’une mode: c’est aussi un révélateur de la puissance de l’anglais. Qui emprunte ses codes envoie surtout un signal ostentatoire d’appartenance à la nouvelle bourgeoisie mondialisée, pour faire savoir qu’on appartient aux gagnants de l’Histoire, dont on suit le sens fièrement, d’ailleurs. Inversement, les défenseurs du français et, plus largement, des langues nationales, sont rangés parmi les vaincus des temps nouveaux. Dans un monde au seuil d’une grande mutation, ils s’accrocheraient, d’après leurs détracteurs, à leur identité culturelle à la manière de Vendéens déclassés et périmés, sous la Révolution, et n’entretiendraient plus qu’un rapport folklorique avec la langue française, au nom d’une fidélité patrimoniale incapable d’embrasser de manière dynamique le mouvement du monde. On connaît cette rhétorique par cœur. Elle sert à désarmer mentalement les peuples devant un processus historique conduisant à leur effacement.
Il n’est pas inintéressant de suivre l’évolution du franglais au Québec, dans un environnement géopolitique bien différent, pour voir de quelle manière il peut disloquer la structure intime d’une identité collective. On le sait, mais peut-être ne le sait-on plus, la Conquête anglaise de 1760 a placé les Québécois dans une situation d’extinction nationale programmée: ils devaient disparaître, s’angliciser, changer de personnalité collective. Ils se sont pourtant accrochés à leur culture, mais dans un environnement où les forces dominantes ne cessaient de leur expliquer qu’ils se mettaient à l’écart de la modernité en conservant leur langue et leur identité. Plus les Québécois demeuraient Québécois, et fidèles à leur identité, plus ils se condamnaient à la misère économique et historique. Ils résistèrent néanmoins comme ils purent, même s’ils étaient anglicisés de l’intérieur.
Mais le franglais était considéré, avec raison, comme un signe d’aliénation identitaire. Avec la Révolution tranquille, qui se vécut d’abord comme une entreprise d’émancipation nationale, les Québécois entreprirent la reconquête de leur propre langue. Il fallait nommer le monde en français, qu’il s’agisse de l’univers de la haute technologie, de l’automobile, des communications, de l’ingénierie ou de la finance. Ce qui restait du franglais survivait à la manière d’un stigmate rappelant la domination anglaise de jadis. Cette renaissance linguistique fut un authentique succès. Toutefois après l’échec – de justesse – du référendum sur l’indépendance, en 1995, le franglais a peu à peu regagné du terrain, mais cette fois chez les élites et dans la jeune génération. Et c’est au nom de la mondialisation qu’on justifie ce retour au franglais, qui passe désormais non plus pour une langue abîmée, mais pour une langue sophistiquée. Il s’impose comme un symbole de désaffiliation nationale.
On y revient: une France franglisée est une France moins française, qui ne cherche plus à faire valoir sa langue dans les institutions européennes ni à imposer ses propres mots, composés à partir de sa propre logique pour nommer la nouvelle époque. Et, derrière cette complaisance pour l’anglais, on trouve moins une capacité d’adaptation au mouvement du monde qu’un consentement enthousiaste à une forme nouvelle de domination culturelle, qui efface progressivement la personnalité d’un peuple en s’emparant de son esprit un mot à la fois. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques(éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Surtout que beaucoup de français ne parlent ni comprennent l’anglais avec en plus un anglissisme qui prend de plus en plus de place dans la publicité, ou dans toutes sortent d’informations notamment par les mairies des grandes villes pour être tendance !!!
« Le monde s’uniformise, il s’américanise » disait Henry Kissinger en 1956.
Nous pouvons le constater au quotidien en tout lieu à chaque instant dans l’expression orale du peuple. Mais à y porter un regard plus pertinent, plutôt qu’une expression populaire ne s’agirait-il pas plus exactement du mode de communication de populations vivant sur notre sol, encouragées par une classe dirigeante sans caractère et de culture de plus en plus pauvre ?
A mon avis,certes l’expression orale de maniére générale,s’est peu à peu encombrée de franglais,mais le plus malheureux,c’est lemanque de vocabulaire,la banalité des propos,l’oubli complet desvieilles expressions populaires,des proverbes qui etaient simples et eloquents