Par Aristide Renou.
Le propre des analyses d’Aristide Renou est d’aller chercher sous la surface des choses, ce qu’il y a « de plus intéressant et de plus profond ». Ce qu’il fait ici, sur sa page Facebook, le 17 février dernier, à propos du cas de Valérie Pécresse. L’effondrement de cette dernière dans les sondages est l’un des « événements » de l’étrange campagne électorale que nous vivons, d’assez loin, d’ailleurs, l’Histoire s’étant déployée sur un autre terrain.
Par curiosité, peut-être un peu perverse, j’ai commencé par regarder le fameux discours prononcé par Valérie Pécresse dimanche dernier au Zénith, à Paris. C’était pire encore que ce que j’attendais. Tout était épouvantable : le ton, la diction, la gestuelle, les mimiques, tout sonnait faux, tout tombait à plat, même les silences.
J’aurais pu m’arrêter au bout de quelques minutes mais j’ai cependant continué jusqu’au bout (mais oui), taraudé par cette question : comment peut-on être une oratrice aussi catastrophique lorsqu’on est une professionnelle de la politique avec presque vingt-cinq ans de carrière derrière soi ? Parler en public n’est-il pas ce que sont censés faire constamment les hommes politiques ?
Bien sûr l’art oratoire n’est seulement quelque chose qui s’apprend par la pratique, c’est aussi un domaine dans lequel le talent joue un grand rôle. On peut parfaitement comprendre et admettre que Valérie Pécresse n’ait pas un tempérament de tribun. Mais il y avait, me semblait-il, dans cette prestation désastreuse quelque chose de plus que le simple manque de talent, quelque chose de plus intéressant et de plus profond.
La forme, dit-on souvent, c’est le fond qui remonte à la surface. Et on sentait bien, en effet, qu’il y avait quelque chose de cet ordre-là qui se jouait. Ce que m’a confirmé la lecture du discours (car oui, je l’ai lu aussi…). Le problème le plus évident est que Valérie Pécresse y tenait des propos qu’elle aurait jugé « intolérables » ou « nauséabonds » il y a quelques années seulement. Comme beaucoup l’ont fait remarquer, elle s’est essayée à braconner sur les terres de cette « extrême-droite » qu’elle avait toujours auparavant condamnée sans appel comme « pas républicaine ». Il aurait fallu un talent d’acteur beaucoup plus considérable que celui que possède manifestement Valérie Pécresse pour faire passer en douceur ce reniement flagrant. Valérie Pécresse, pourrait-on dire, n’a pas su jouer la sincérité. Elle mentait et ça se voyait.
Mais il y avait davantage que cela. En dehors même du fait que ce discours faisait employer sans vergogne à la candidate LR les mots de l’ennemi, il était un salmigondis indigeste de propositions empilées sans ordre apparent et de formules toutes faites, dont certaines d’ailleurs dignes du maire de Champignac, comme ces « étincelles qui sortent des sentiers battus » ou cette « « France capitale » où chaque ville, chaque département, chaque région est une pépite. » Et cela aussi disait quelque chose de Valérie Pécresse, quelque chose de plus révélateur que le portrait qu’elle a dressé d’elle-même à la fin de son discours, et qui sonnait tout aussi faux que le reste de l’exercice.
Valérie Pécresse est le prototype de la technocrate, pas seulement dans son parcours universitaire, mais dans sa personnalité même. C’est d’ailleurs ce qu’elle considère comme son atout principal dans l’actuelle compétition électorale : sa « compétence », sa « maitrise des dossiers ». Mais la compétence technocratique est bien différente de l’art politique. Considérer une question sous l’angle technocratique c’est la considérer comme relevant d’une certaine sorte de savoir : le technocrate est celui qui connait les règles juridiques, les procédures administratives, les normes comptables et les statistiques et qui pense qu’un problème se résout en appliquant de bonnes règles et en faisant de bons calculs.
Considérer une question sous l’angle politique, c’est au contraire l’aborder sous l’angle de l’insuffisance du savoir. L’action politique se déroule en situation de double d’incertitude, d’une part parce que tous les éléments pertinents pour prendre la meilleure décision sont très rarement disponibles au moment où on en aurait besoin, et d’autre part parce que les effets escomptés de l’action sont tout au plus de l’ordre du probable. Et si l’homme politique se meut dans le domaine de la probabilité, c’est notamment parce que la rationalité n’est pas la chose la mieux partagée du monde.
La raison de l’être humain est étroitement mêlée à son imagination et à ses passions, en sorte que c’est un chef-d’œuvre de bonne éducation que de parvenir à harmoniser ces trois facultés et à faire en sorte que la raison domine les passions sans les écraser. Mais ce qui est possible chez quelques rares individus est impossible dès lors qu’il s’agit de peuples. Comme le dit l’auteur du Fédéraliste, dans une nation de philosophes le respect pour les lois serait « suffisamment inculqué par la voix d’une raison éclairée. Mais une nation de philosophes n’est pas moins impossible que la race philosophique de rois désirée par Platon. Et dans toute autre nation, le gouvernement le plus rationnel ne regardera pas comme un avantage superflu d’avoir les préjugés de la communauté de son côté. »
Le grand problème, et le grand mystère, en politique, c’est celui de la persuasion : comment obtient-on l’adhésion et l’obéissance de ses semblables ? Qu’est-ce qui fait qu’un homme est capable de commander aux autres, c’est-à-dire de leur faire accomplir des choses qu’ils n’auraient pas faites spontanément (sans quoi le commandement est inutile) ? La raison seule est insuffisante et la contrainte n’est pas davantage la réponse parce qu’un homme, par lui-même, n’a pas la capacité de contraindre un grand nombre de ses semblables. On ne commande jamais uniquement par la force, il faut toujours, en quelque manière, obtenir la coopération volontaire de ceux qui emploieront la force en votre nom.
Dans un régime tyrannique, le problème est circonscrit au relativement petit nombre organisé et déterminé qui opprime le grand nombre désorganisé. Mais dans un régime démocratique, où la capacité de contraindre est, normalement, très limitée, le problème est particulièrement aigu. Comme le faisait remarquer Abraham Lincoln : « Dans les communautés politiques comme celle-ci, l’opinion publique est tout. Avec l’opinion publique, rien ne peut échouer ; sans elle rien ne peut réussir. Par conséquent celui qui façonne l’opinion publique, agit plus profondément que celui qui fait des lois ou prend des décisions. Il rend les lois et les décisions possibles ou impossibles exécuter. »
Pour un pur technocrate, une telle réflexion est scandaleuse et presque incompréhensible. La technocratie existe précisément pour évacuer le problème de l’opinion publique, le problème de la persuasion et du consentement d’un grand nombre d’individus très imparfaitement rationnels. Le gouvernement des hommes doit être remplacé par l’administration des choses. La décision doit être réservée au petit nombre de ceux qui connaissent les règles et qui appliquent les règles par pur respect pour la règle. La technocratie est une sorte de kantisme administratif. En ce sens Valérie Pécresse a entièrement raison de déclarer qu’elle est « européenne », car l’Union Européenne est le prototype le plus achevé de cette « gouvernance » technocratique qui s’arrange pour contourner systématiquement la question du consentement à la loi qui vous gouverne.
Un technocrate n’a pas besoin de persuader des foules, qui sont composées d’individus très différents de lui par leur tempérament, leurs capacités, leurs connaissances. Il n’a pas besoin d’obtenir la confiance de ses semblables. Il n’a pas besoin de susciter l’enthousiasme et même il se défiera de l’enthousiasme. Par conséquent, un technocrate n’a pas besoin d’être un orateur. Mieux, il ne peut pas, en tant que technocrate, être un orateur, car ce serait abandonner le terrain de la « connaissance rationnelle » qui est censé être le sien.
Valérie Pécresse n’est pas sans avoir vaguement conscience qu’une campagne électorale oblige précisément à sortir de cette sphère qui est son domaine pour s’aventurer sur le terrain glissant de la persuasion démocratique. Elle a essayé de le faire, mais sans comprendre, apparemment, que le fond devait être en accord avec la forme. Elle a essayé de concilier une forme éloquente avec un fond technocratique et cette impossible conciliation est, à mon avis, la raison la plus décisive du désastre qui nous a été donné à voir et à entendre.
Son discours a consisté, pour l’essentiel, à nous indiquer comment, si elle était élue président de la République, elle traiterait chaque « dossier » qui lui semble important, car c’est ce que font les gens « compétents » : ils traitent des « dossiers ». Mais gouverner ne consiste pas simplement à traiter une série de dossiers. Gouverner démocratiquement suppose d’abord d’obtenir la confiance et l’adhésion de vos concitoyens et pour cela il est nécessaire d’être capable d’expliquer, en des termes susceptibles de frapper le plus grand nombre, dans quelle situation nous nous trouvons et quel cap nous devrions suivre. Il faut être capable de présenter une image aisément compréhensible de l’état de la nation, de ses besoins et de ses aspirations. Bref, il faut être capable de lier les innombrables « dossiers » dont se compose l’action quotidienne d’un gouvernement en un tout intelligible, accessible, et séduisant.
C’est ce qu’ont bien compris et ce que savent faire, par exemple Eric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon. C’est aussi ce que savait faire le Front National il y encore quelques années. Et c’est ce qui manquait totalement dans le discours de Valérie Pécresse. Son discours était un immense et informe marais technocratique, dans lequel l’auditeur pataugeait péniblement au milieu des coassements abrutissants d’innombrables « dossiers » pustuleux, et d’où émergeait, çà et là, quelques formules censées être frappantes mais qui frappaient surtout par leur caractère artificiel et qui, pour tout dire, semblaient avoir à peu près la même fonction que les rires enregistrés dans les séries « comiques ».
Certes, l’art de la persuasion et la maitrise de la rhétorique délibérative sont inégalement nécessaires suivant les circonstances. Il peut parfois suffire à un homme politique, pour se faire élire, de n’être pas son adversaire si ce dernier a suscité une détestation suffisamment puissante de la part de suffisamment de ses concitoyens. Demandez à Joe Biden ou à François Hollande ce qu’ils en pensent. En des temps paisibles, lorsque l’obéissance parait aller de soi et que la nation parait loin de tout péril existentiel, la grise maitrise des « dossiers » et l’ennuyeux « sérieux » peuvent également vous mener loin. Malheureusement pour elle, Valérie Pécresse ne se trouve pas dans une telle situation. Macron est détesté, sans doute, et détestable assurément, mais elle n’est pas la seule à pouvoir capitaliser sur cette détestation. Et les Français, dans leur très grande majorité, pensent que la France est un vaisseau perdu dans la tempête, sur lequel la mutinerie menace et qui risque à chaque instant de se fracasser sur quelque récif. Ils attendent, avec une anxiété croissante, un capitaine qui saura saisir fermement la barre, ramener l’équipage à l’obéissance et diriger le navire vers des eaux plus calmes.
Peut-être un tel homme ou une telle femme n’est-il pas disponible actuellement sur le vaisseau France, mais ce qui est hors de doute, c’est que Valérie Pécresse n’est pas cette personne, sa prestation de dimanche l’a cruellement mis en lumière.
Valérie Pécresse, nul ne l’ignore, n’écrit pas elle-même ses discours. En cela elle est très loin d’être la seule. En fait, écrire des discours semble devenu la moindre activité des hommes politiques de premier plan : tous, ou presque, ont des « plumes » pour le faire à leur place tandis qu’ils se consacrent à des activités qu’ils pensent plus importantes. Pourtant, en un certain sens, parler en public, parler au public, est nécessairement la fonction la plus importante de l’homme d’Etat et leurs actions les plus mémorables sont souvent leurs discours.
Abraham Lincoln commençait ainsi le discours célèbre qui devait marquer son ascension vers la présidence des Etats-Unis : « Si nous pouvions d’abord savoir où nous sommes, et vers quoi nous tendons, nous pourrions mieux juger de ce qu’il faut faire, et comment le faire. » Mais comment un homme politique pourrait-il savoir cela et comment pourrait-il l’expliquer à ses compatriotes s’il n’a pas d’abord pris la peine de s’asseoir à une table pour méditer, seul, dans le silences des passions, et de mettre en ordre ses pensées en les couchant sur le papier ? ■
Qui sait si Valérie Pécresse n’est au mieux qu’ enfermée dans un bureau au milieu de piles de papiers , de dossiers à « traiter » ?
Son « meeting » ? — Du théâtre amateur !
Valérie Pécresse est un pure produit technocratique mondialiste, pro immigration, progressiste telle la young leader quelle est. Son discourt était pathétique, elle jouait un rôle et cela se sentait comme les faux décors de ces séries à petit budget. Rien d’humain (puisqu’elle deteste le peuple comme Macron) ni de sincèrité, pas de tripes, tout est factice pas réel. Elle ment et c’est donc mensongé. Jamais dans le doute mais toujours dans l’erreur. Bref, rien à voir avec cette grande dame qu’est Marie France Garaud!!!!!
Et si elle manquait tout simplement d’âme ., comme Macron , si elle manquait d’enthousiasme de flamme et de convictions. Tout ce que fait passer un Zemmour dans ses prestations .
Il ne suffit pas de potasser les dossiers, encore faut – il savoir les vendre .
C’est Douglas qui ne sera pas content 😀 😃 😄 😌 🥲
Cincinnatus résume parfaitement ce qui est commun à Monsieur Macron et à Dame Pécresse ; à mes yeux, cette carence-là , loin d’être accessoire , est tout simplement rédhibitoire !!!
Et cela , même les gens simples le perçoivent aisément .
Cordialement .
Madame Michèle Le Floch