Par Pierre de Meuse.
On remarquera que sur la carte ci-dessous, la partie sud et est de l’Ukraine actuelle, y compris tout le littoral de la Mer Noire sur une profondeur de 400 km, n’est pas possession polonaise. Le sud est occupé par les Tatars et l’est par les Turcs et les Russes. Le terme Ukraine, à rapprocher de la Krajina serbe, signifie : « province frontière ».
La présence polonaise sera sérieusement amputée par une série de révoltes paysannes, menées contre leurs seigneurs. Une partie de la classe serve s’enfuit d’abord dans les plaines de l’est et s’organise en communautés autonomes : les cosaques (errants), avant de culbuter le pouvoir polonais. En 1654, le territoire est partagé : l’ouest reste polonais, tandis que l’est passe sous autorité cosaque dirigée par un Hetman élu par les chefs de clan, sous un protectorat russe. Cet état durera jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Il est ensuite intégré à l’Empire tsariste, en même temps que la rive nord de la Mer Noire, et on l’appelle alors « Petite Russie », comme Belarus signifie « Russie blanche ».
Paradoxalement, c’est au XIX° siècle, à l’époque où les trois nations issues de la Rus se trouvent enfin réunies que le nationalisme ukrainien va s’affirmer dans sa différence. Il ne faut guère s’en étonner au demeurant, car à cette époque et partout en Europe, l’idée nationale soulève les esprits. C’est à ce moment que l’on commence à parler d’Ukraine et non plus seulement de Ruthénie ou de Petite Russie. Le pouvoir tsariste s’oppose à cette floraison littéraire et linguistique, mais de manière réflexive et sans véhémence.
C’est après la déroute militaire russe face aux armées allemandes en 1917 que les choses vont changer radicalement avec la révolution de février. En effet, la fin de l’autorité charismatique de l’empereur laisse le champ libre à tous les projets, même les plus irréalistes, au premier rang desquels celui d’une Ukraine indépendante, avec son assemblée constituante, la Rada, alors que le territoire est déchiré entre les occupants allemands, les armées blanches et les occupants bolcheviks. Bien entendu, ces protagonistes des conflits vont chercher à instrumentaliser le nouveau pouvoir à leur profit.
Le premier d’entre eux, qui joue un rôle fondateur, ici comme sur la Baltique, c’est l’armée impériale allemande. Profitant de l’effondrement de l’armée russe, les allemands du corps von Linsingen occupent toute l’Ukraine dès fin février 1918. Leur but est exclusivement logistique : obtenir le maximum de ravitaillement pour les arrières. Du reste, chaque fois qu’ils constatent que les ponctions se font plus maigres, ils font pression sur les autorités et les remplacent le cas échéant. Ainsi en avril, ils permettent l’instauration d’un pouvoir plus autoritaire avec la désignation d’un Hetman, Pavlo Skoropadsky, (À droite sur la photo ci-dessus) en même temps qu’ils patronnent un mouvement islamo-tatar en Crimée. Après l’armistice, les Allemands abandonneront d’ailleurs à leur triste sort tous ceux qu’ils avaient séduits et manipulés, situation qui n’est pas tout-à-fait sans rapport avec ce que nous voyons aujourd’hui.
Ne parlons pas du rôle des armées blanches d’Ukraine. Elles ne pouvaient pas gagner parce que leurs chefs, Wrangel excepté, n’avaient pas de véritable projet politique.
C’était en revanche le cas des Bolcheviks, qui mirent en application en ce qui concerne l’Ukraine un programme conforme à leurs argumentaires idéologiques. Ce programme reposait sur la contradiction dialectique entre deux tensions :
• D’abord la libération totale des peuples précédemment « écrasés » par le pouvoir tsariste, avec la création d’instances locales dotées (théoriquement) de tous les pouvoirs.
• Ensuite la mobilisation tout aussi totale de ces peuples au service de la lutte du prolétariat, concrétisée par la ligne du Parti communiste.
Toute l’histoire de l’Ukraine de 1920 à 1992 se résume à cela : on massacre et affame les paysans ukrainiens qui ne se soumettent pas à l’injonction révolutionnaire, notamment par la fameuse famine de 1936 organisée par Staline avec cinq ou six millions de morts. Tout en couvrant de fleurs la patrie ukrainienne en lui attribuant des attributs fantoches, comme un siège à l’ONU, une représentation diplomatique, des provinces supplémentaires, tout cela n’étant que faux-semblant puisque c’est en fait le Parti Communiste qui gouverne sans partage. Ne nous moquons pas, car la grille de lecture de l’idéologie libérale est tout aussi artificielle. (À suivre) ■
À noter que sur cette carte, les frontières en rouge sont les frontières actuelles, de même que les noms de pays, dont beaucoup n’existaient pas au XV° siècle, ou se trouvaient ailleurs.