PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro d’avant-hier, samedi 19 mars. Pour une fois, nous aurions envie de faire reproche à Mathieu Bock-Côté de s’en tenir à la surface électoraliste des choses et d’ignorer la grande question de la légitimité qui est son vrai sujet. La Ve république ne fut pas fondée pour que le système des partis fonctionne correctement mais pour le juguler. De Gaulle savait que ce que les Français appellent « légitimité ne procède vraiment ni des partis, ni même de la seule élection du Chef de l’État au suffrage universel. La légitimité véritable est d’un autre ordre et De Gaulle le marque royalement, lorsque, revenant aux affaires en 1958, il se targue de « la légitimité nationale que j’incarne depuis 20 ans », comme si la IVe république n’eût pas existé. Emmanuel Macron savait aussi cela lorsqu’en 2015 il déclare à L’Un qu’il manque un roi à la France. C’est à dire une légitimité historique qui ne dépende ni d’un parti, ni simplement d’une élection, contestée sitôt tenue, ni d’une création médiatique parachevée par une coalition d’intérêts privés. Nous sommes en période électorale, et poser cette grande question n’est sûrement pas facile et, peut-être même, à court-terme, peu efficace. Mathieu Bock-Côté ne s’y risque pas. Pourtant, face aux crises qui s’annoncent, il se pourrait bien qu’il finisse par se révéler bien dérisoire de spéculer sur la recomposition annoncée du Système des partis, ou sur la question de savoir qui, de Marine Le Pen, Valérie Pécresse, Jean-Luc Mélenchon ou Éric Zemmour affrontera Emanuel Macron au second tour, afin d’assurer en toute hypothèse sa réélection. Quant à cette dernière, d’assez bons esprits s’accordent à penser qu’elle pourrait bien ouvrir sur une situation des plus troubles, périlleuses et agitées. Le Kairos qu’il lui plaît souvent d’évoquer à son profit, semble s’être posé de nouveau sur son épaule en cette phase électorale. Il n’est pas sûr du tout que ce soit pour bien longtemps. Passé le saint, passée la fête.
CHRONIQUE – Ce n’est pas le régime de la Ve République qui est aujourd’hui déréglé, mais le système des partis. Et ce depuis un bon moment.
Ils ont été nombreux, cette semaine, à s’étrangler d’indignation suite à la déclaration de Gérard Larcher s’inquiétant de la « légitimité » d’un président reconduit dans ses fonctions sans avoir mené les débats nécessaires avec les autres candidats. Gérard Larcher fut présenté au mieux comme un mauvais perdant cherchant dès maintenant à gâcher le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, au pire comme un crypto-putschiste prêt à saboter la République parce qu’il est condamné à l’opposition.
C’était pourtant faire preuve d’une grande mauvaise foi que de lire ainsi les propos du président du Sénat, qui s’inquiète de la reconduction d’un président triomphant et impuissant, dans un pays traversé par des tensions de plus en plus vives et porteur d’une tradition insurrectionnelle. On pourrait pousser plus loin l’analyse, en se demandant si la France n’est pas au seuil d’une crise de régime que peut engendrer un dysfonctionnement du système de représentation des différents courants politiques à travers lesquels s’exprime la volonté populaire. Le débat, en démocratie, n’est-il pas producteur de légitimité? Car que se passe-t-il quand une partie significative de la population se retrouve condamnée à l’opposition structurelle ?
Tout régime s’appuie sur un système de partis, qui institutionnalise la contradiction des visions du monde s’y affrontant. 1981, on l’a souvent oublié, représente un moment de consolidation paradoxale dans l’histoire de la Ve République, dans la mesure où la gauche, en accédant au pouvoir, en venait à légitimer un cadre institutionnel dont elle n’avait cessé de faire le procès. L’opposition, dans un régime, prend le visage de l’alternance ou s’affaisse dans la fonction tribunitienne. Dans le premier cas, elle est en situation d’accéder au pouvoir et s’y prépare. Dans le second, elle est condamnée structurellement à l’impuissance et, presque inévitablement, à la radicalisation rhétorique.
Jean-François Revel, qui n’était pas tendre envers le général de Gaulle et le régime qu’il avait installé, s’inquiétait de ce qu’on pourrait appeler la tendance à la mexicanisation de la vie politique française. Il n’est pas interdit de croire que ce travers se réactive, avec un parti au pouvoir, représentant le pôle central politique et sociologique de la société, avec un président surplombant la population, en traitant entre ses doléances légitimes et celles qui ne le sont pas, sans s’attarder aux partis jappeurs qui le contredisent.
Ceux-là sont condamnés à la marge. Or ils représentent potentiellement la majorité de la population – on parle ici d’une majorité de désaveu. Chacun tendra alors à s’enfermer dans un système idéologique parallèle, forcément compensatoire.
Certains répondront que la recomposition du système partisan engagée en 2017 est en cours, et qu’elle ne peut pas ne pas prendre de temps. L’objection est à demi-recevable, car le système partisan français a été déréglé depuis un bon moment déjà par la théorie du cordon sanitaire, qui condamne au bannissement civique tout un courant politique assimilé sottement à l’extrême droite, terme confus servant surtout à transformer en proscrits ceux qui marquent franchement leur opposition au progressisme militant. On aurait pu croire qu’avec le temps cette théorie se relâcherait. Mais c’est plutôt le contraire qui est arrivé: elle se radicalise.
On le voit désormais avec la rhétorique sur les partis antirépublicains, que seraient La France insoumise, le Rassemblement national et Reconquête!. On oublie que ces partis, quoi qu’on en pense, rassemblent autour d’eux environ 45 % du corps électoral. Autrement dit, malgré leurs divergences idéologiques, près de la moitié des Français seraient désormais politiquement antirépublicains. Si tel est le cas, la Ve République n’est plus qu’une coquille vide. La République serait désormais assiégée par son peuple, qu’il faudrait mater. Il n’en est évidemment rien. Car ce n’est pas le régime qui est aujourd’hui déréglé, mais, comme je le disais, le système des partis.
De ce point de vue, la recomposition politique engagée en 2017 devra aboutir à la recomposition des deux autres grands pôles de la vie politique, soit le pôle national (écartelé entre ses tendances populiste et conservatrice) et le pôle de gauche décolonial et multiculturaliste. Que ces tendances soient incapables de se parler est un fait. Que les institutions d’un pays doivent contenir la tentation de la guerre civile en est un autre. Il ne s’agit pas de blâmer Emmanuel Macron pour la situation présente: en démocratie, chacun joue ses cartes de la plus avantageuse manière. Le président-candidat a tout intérêt à présenter ses adversaires comme des lilliputiens. Mais il s’agit de reconnaître, au-delà du jeu politique ordinaire, que ce sont les mécanismes producteurs de légitimité politique qui se grippent, et qui pourraient se gripper davantage. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
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