« Le romancier, poète, traducteur et philosophe français (titulaire de la chaire de métaphysique à la Sorbonne de 1976 à 1986), PIERRE BOUTANG (1916-1998), qui fut mon prof de philo en terminale, était venu déjeuner chez moi en automne 1976… Ma femme lui avait confectionné un osso bucco de veau, arrosé de Château-Neuf-du Pape, son vin préféré… »
Boutang, tel que nous l’avons connu, nous aussi, à Marseille et Paris, aux Baux de Provence, chez lui, à Collobrières, dans ses forêts de châtaigniers et de chênes-lièges.
Il fut aussi mon prof de philo en terminale en 69 à Turgot. Et j’en suis fier.
Bonjour
Il fut notre professeur de philosophie ,Français ,Latin et Grec en 1967 , en terminale au lycée TURGOT.
Un maître remplacé par des gauchistes , ce qui m’a incité à passer le baccalauréat par correspondance et m’a conforté dans le Royalisme.
PIERRE BOUTANG A RENNES
Pierre Boutang, alors qu’il était directeur de La Nation française, est venu trois fois donner des conférences à Rennes. Je n’ai aucune trace de la première et je ne sais pas quel en était le sujet, qui l’a présenté et ce qui a été dit. Par contre, j’ai une documentation complète sur ses deux autres interventions car c’est mon père qui a été désigné pour présenter les conférenciers : le 8 mars 1957 et le 9 mai 1958. La première fois Pierre Boutang était venu seul, la seconde fois il était accompagné de François Léger.
Elève de Troisième puis de Seconde, je n’ai pas été autorisé à y assister, le principe d’éducation de mon père étant qu’on ne sortait le soir en semaine que lorsqu’on avait obtenu son baccalauréat. J’avoue que j’y ai dérogé une fois en 1961, étant en math-élem, pour aller écouter Xavier Vallat avec le groupe de jeunes de La Restauration Nationale de Rennes. Suivant les bonnes vieilles méthodes, j’ai fait le mur en mettant un polochon dans mon lit. Or, contrairement à ses habitudes, mon père, ce soir là est venu embrasser…le polochon. Le lendemain, lors de l’explication de gravures, la remontée de bretelles a été atténuée quand j’ai avoué que j’avais commis cette infraction pour aller écouter Xavier Vallat que Prosper Jardin avait déjà rencontré et il n’y a pas eu de sanction.
En 1958, François Léger était logé chez nous. J’ai partagé avec lui le dîner familial et lui ai cédé mon lit. Le jour de la conférence, en me rendant au collège, je suis tombé dans l’escalier qui menait à l’appartement de mes parents nez-à-nez avec Pierre Boutang qui venait chercher François Léger.
L’image d’un grand et beau jeune homme blond et souriant, qui ne paraissait pas ses 42 ans, est resté gravé profondément dans ma mémoire.
La famille Jardin est une famille d’origine paysanne du pays de Fougères, pays des Chouans de Balzac. La famille était marquée à droite puisque mon grand-père Prosper Jardin (1866-1930), pharmacien à St-Brice-en-Coglès, candidat aux élections cantonales de 1920, trouva un beau matin, en guise de cadeau de ses adversaires politiques, dont le père du futur cardinal Honoré, un chat-huant cloué sur la porte de son garage.
Le royalisme de mon père fut réveillé à Louis-le-Grand par Robert Brasillach, Maurice Bardèche et Thierry Maulnier (alors Jacques Talagrand), lecteurs assidus de l’Action française.
Prosper Jardin était abonné à La Nation française. Il se sentait en accord idéologique et intellectuel avec Pierre Boutang et sa jeune équipe. C’est pourquoi les amis rennais de La Nation française demandèrent à Prosper Jardin de présenter Pierre Boutang.
Intéressé très jeune par la politique, je lisais aussi La Nation française mais j’avoue que j’avais quelquefois du mal à comprendre la chronique La Politique de Pierre Boutang, cet immense philosophe.
La première fois, le 8 mars 1957, Prosper Jardin s’exprima ainsi :
Mesdames, messieurs, chers amis,
Est-il utile de vous présenter Pierre Boutang, notre hôte de ce soir ?
Assurément non.
Outre que ce n’est pas sa première visite à notre bonne ville, nous connaissons et apprécions le créateur et l’animateur de La Nation française, cet hebdomadaire étincelant.
Lors de sa fondation encore récente, des esprits chagrins y ont cru voir je ne sais quelle tentative de division. J’y voyais pour ma part l’envol d’un essaim donc l’exploration de secteurs nouveaux de la pensée française et vous m’avez donné raison ce pourquoi je suis heureux de vous saluer ce soir. Les ouvriers du redressement national ne sont en effet pas assez nombreux pour avoir le droit de se déchirer.
S’il fallait une consécration officielle de vos qualités de leader, on vient, paraît-il, en haut-lieu, de vous créditer de comploter contre le système au pouvoir.
Laissez-moi hausser les épaules avec vous. Le complot, tous le connaissent, c’est celui permanent, spontané, légitime de ceux ouverts au bon sens et au patriotisme.
Si je crois bien inutile de vous présenter, il est par contre de mon devoir de vous remercier de nous apporter dans la chaleur de la vie que vous lui maintenez la pensée que nous a transmise le maître de Martigues.
Cette pensée revêt nécessairement chez vous les formes de la philosophie. Il pourrait arriver du même coup qu’elle vibre, malgré ou à cause de son intensité, dans sa longueur d’onde sur laquelle ne sont pas accordés ceux qui pratiquent des disciplines moins sublimées.
Mais vous acceptez de régler votre naturel sur le nôtre. Vous acceptez de descendre par amitié des hauteurs où Lucrèce vous situe :
« Munita philosophorum templa serena »
Et, comme j’ai parlé d’essaimage, je dirai que c’est pour nous apporter le miel que les abeilles delphiques ont butiné au pied des Phidriades sur les asphodèles du dieu Pythien.
Avec vous, en effet, c’est un fils intellectuel des Hélènes comme notre maître Maurras qui aborde aux rivages cimmériens et notre réunion de ce soir, c’est un peu le début du Protagoras. Rappelez vous :
« Tous s’accordent à louer l’homme et à le dire très sage en ses propos »
C’est tout à fait ce que disaient de vous nos journaux rennais.
Nous voici donc réunis pour vous entendre. J’ai voulu traduire pour vous la reconnaissance de nos amis et je préfère m’en être acquitté dès le début de cette réunion pour ne pas interférer ensuite dans les résonances harmoniques dont vous allez tisser le réseau entre vous et cet auditoire de choix où se mêlent ceux qui selon la magnifique expression de La Varende ont été nourris dans les ferveurs traditionnelles, ceux qui, comme vous, sont venus à la monarchie par l’étude et le raisonnement et ceux qui, s’interrogeant encore, ont en commun, avec les premiers, l’angoisse, noble entre toutes, des destinées de leur patrie.
On remarque, dans ces propos, baignés dans la culture gréco-latine, une évocation des querelles entre les lecteurs d’Aspects de la France et ceux de la Nation française, à une époque où les royalistes n’étaient pas encore divisés entre Légitimistes, alors très marginaux, et Orléanistes, pourtant tranché à la mort du comte de Chambord, et un appel à l’unité.
Prosper Jardin s’employa au moyen de ses relations et de sa plume à ce que la presse locale fasse un large écho de cette conférence :
« Pierre Boutang montra, avec toute la rigueur d’une dialectique irréprochable, les insuffisances de notre régime dans tous les domaines et indiqua, pour chacun des problèmes envisagés, les solutions raisonnables susceptibles de rallier tous les Français soucieux de l’intérêt national.
Tour à tour vigoureux et plaisant, il fit sur son auditoire une très forte impression. »
Le 9 mai 1958, Prosper Jardin fut plus bref et moins savant, mais assez percutant :
Mesdames, messieurs, chers amis,
Je n’ai pas à vous présenter Pierre Boutang qui nous honore pour la troisième fois de sa visite et qui retrouve à chaque fois un auditoire fidèle et passionnément attentif.
Il m’incombe seulement de le saluer et de lui redire notre active sympathie pour le combat qu’il mène.
Il le mène pour remettre en honneur les traditions de courage et d’intelligence qui semblent étrangères à notre présente démocratie.
De le saluer donc, lui et son ardente équipe de La Nation française qu’il est venu représenter à Rennes en compagnie de M. François Léger.
L’an dernier en recevant votre rédacteur-en-chef, je lui disais, monsieur Léger, que tournant hâtivement les pages du journal sitôt reçu, je me précipitais sur votre chronique que vous avez maintenant réduite-si l’on peut dire-à cette énorme tache en train de virer au rouge sur la mappemonde et qui s’appelle l’Asie.
Dans cette chronique, je retrouve la lucidité, la pénétration, l’élégance, l’ironie voilée de Jacques Bainville. Vous êtes son continuateur comme Pierre Boutang l’est naturellement de Charles Maurras, sans que vous ne perdiez ni l’un, ni l’autre de votre personnalité profondément originale.Votre clairvoyance et la sûreté de votre information vous permettent souvent d’anticiper sur l’événement.
Et vous voici tous les deux dans notre bonne ville pour nous parler du régime face à la nation alors que nous sommes au bord de la crise, consolés d’avance de la disparition du système si c’est la condition du maintien de la patrie.
L’histoire, que j’ai la charge d’enseigner, nous montre la France patiemment édifiée en neuf siècles d’ordre capétien, précipitée dans la Révolution et cherchant depuis lors son équilibre en seize constitutions ou régime de fait, et ce en un siècle et demi.
Il n’est pas trop certes d’un historien et d’un philosophe pour confronter les données du chaos et celles de l’harmonie…
Un long compte-rendu de la conférence rédigé par l’ami Job de La Tour, revu par Prosper Jardin et légèrement modifié par François Desgrées du Lou, directeur adjoint qui s’en expliqua ainsi : « la plus grande objectivité est de rigueur, ici elle se nuance de sympathie… » parut dans le journal Ouest-France du 13 mai 1958 :
Pour François Léger : « Le divorce entre le pays réel et le pays légal ne cessant de s’accentuer, il faut reconsidérer les données du problème et n’écarter aucune solution susceptible d’aboutir à la création d’un Etat moderne et équilibré. »
Pour Pierre Boutang : « Les considérations historiques et rationnelles s’unissent pour conseiller à notre pays l’instauration-et non la restauration-d’un régime calqué sur les réalités de la vie, où une famille incarne la nation…réalisant l’harmonie comme dans les monarchies européennes. »
En l’envoyant, le 16 mai, à Pierre Boutang, Prosper Jardin ne put s’empêcher d’écrire : « Les circonstances ont intensifié l’écho de votre conférence…qui a pris du même coup des allures prophétiques… ».
Et qui le sont toujours !
Pour remercier Prosper Jardin, Pierre Boutang lui remit son livre Les Abeilles de Delphes avec cette dédicace :
Pour monsieur et madame Jardin
A l’attention bienveillante de l’humaniste
Aux auditeurs patients et fidèles
Aux défenseurs de la cause royale
Ces Abeilles de Delphes
En respectueuse et reconnaissante sympathie
Patrick Jardin
PS La copie de la phrase en grec n’a pas fonctionné
Voilà du vécu, de l’historique. Merci pour ce témoignage documenté, très intéressant.