PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro d’avant-hier, samedi 26 mars. Nous n’y ajouterons rien, c’est à lire, c’est autosuffisant ! Et, au demeurant, cela rejoint les articles de Louis-Joseph Delanglade et Jacques Trémolet de Villers.
CHRONIQUE – Poutine serait parvenu à redonner une raison de vivre et de combattre à l’Otan, alors qu’on la croyait en situation de mort cérébrale. À tout le moins, c’est le récit officiel que se racontent les Occidentaux depuis un mois.
Alors qu’il s’imaginait trouver devant lui un Occident divisé, fragmenté, apathique et condamné à l’impuissance, Vladimir Poutine l’a découvert vigoureux, capable de se mobiliser et, surtout, de sanctionner sévèrement l’invasion de l’Ukraine. Il aurait réveillé une civilisation endormie, en la remobilisant contre un ennemi qui était parvenu à sournoisement l’amadouer, et qui se révélerait aujourd’hui sous son vrai visage. Il serait même parvenu à redonner une raison de vivre et de combattre à l’Otan, alors qu’on la croyait en situation de mort cérébrale.
À tout le moins, c’est le récit officiel que se racontent les Occidentaux depuis un mois. Il recoupe une part de vérité, assurément. Les Occidentaux sont les premiers étonnés de la vigueur de leur réaction contre Poutine. Ils s’étonnent de l’ampleur des sanctions qu’ils prennent contre lui, et s’admirent retrouvant une combativité dont ils s’étaient déshabitués. Des sanctions inimaginables le jour de l’invasion sont désormais considérées comme le minimum vital de la réaction occidentale contre le Kremlin, et on ne voit pas quand ni comment elles pourraient être levées. Le siècle vient de changer de visage.
On entend même, dans une partie du centre renouant avec l’esprit patriotique, un appel incandescent à la croisade qui semble confirmer que l’enthousiasme peut égarer même les meilleurs esprits. Car s’il importe de tenir tête à Poutine, on ne saurait voir de la lâcheté dans cette saine prudence voulant qu’on cherche autant que possible à éviter l’affrontement direct avec une puissance militaire agressive, qui a fait passer la bombe atomique du registre de la dissuasion à celui des armes offensives, utilisables pour atteindre certains objectifs de guerre.
Même les meilleurs esprits peuvent s’égarer. C’est avec beaucoup de légèreté que plusieurs parlent ainsi des sacrifices que devront faire les populations occidentales par solidarité avec l’Ukraine, en laissant entendre que ceux qui s’inquiètent des crises sociales à venir seraient dominés par l’esprit de jouissance. Ils ne résistent pas à l’envie de culpabiliser ceux qui s’inquiètent de la misère à venir. Comment ne pas y voir une forme d’ivresse de l’ascétisme, une passion spartiate s’emparant d’intellectuels convaincus que l’Europe doit désormais s’engager dans une lutte à finir contre Poutine ?
Et pourtant, l’Occident se ranime et ses ressorts se tendent à nouveau. Lesquels se sont activés et tendus? Quel Occident se réveille? La civilisation néo-soixante-huitarde et un peu décadente des dernières décennies, ou celui contre lequel le progressisme et l’idéologie postnationale s’étaient justement déployés? Qu’est-ce qui anime l’esprit de résistance d’une civilisation que l’on disait désormais étrangère, et même hostile au tragique et aux exigences éthiques et civiques qui l’accompagnent? D’où provient ce patriotisme de civilisation?
Irving Kristol disait du progressisme qu’il ne pouvait pas l’emporter mais qu’il pouvait tous nous faire perdre, en nous entraînant dans sa chute, avec ses fantasmes. De même, certains diront, sans se tromper, que les théories mondaines des dernières décennies qui déréalisaient le monde occidental pouvaient l’abîmer mais ne pouvaient rien construire positivement. Autrement dit, elles pouvaient le dénaturer, le rendre étranger à lui-même, le ligoter mentalement et institutionnellement, mais pouvaient-elles vraiment créer un monde neuf, avec sa propre puissance créatrice? Ce n’est pas la civilisation de la fluidité identitaire et du déracinement qui pousse à la mobilisation, mais ce qu’ils avaient étouffé.
On retrouve alors le fait premier de cette guerre, soit la résistance nationale ukrainienne, pour défendre l’indépendance du pays, pour défendre sa souveraineté, pour défendre l’existence étatique d’un peuple. Les Ukrainiens se battent pour leur nation, pour leur liberté, pour leur identité, pour leur terre. Une partie de l’intelligentsia les admire de manière plus conditionnelle qu’elle ne le confesse, en les transformant par sublimation idéologique et reconstruction mentale de leurs motivations politiques en combattants de l’Europe et de la démocratie, ce qu’ils sont assurément, mais indirectement.
Les Ukrainiens ne défendent pas une patrie désincarnée. Ils défendent une patrie retrouvée, qui plonge ses racines dans la longue histoire, mais qui a renoué avec la pleine existence politique il y a quelques décennies à peine. C’est un pays composite, certes, qui fait de son désir d’appartenance à l’Europe une composante de son identité, mais c’est une nation à part entière, et qui n’entend plus être traitée comme la simple partie d’un ensemble plus vaste. On parle du patriotisme ukrainien. On pourrait même parler de nationalisme ukrainien, si ce mot n’était pas frappé d’un opprobre irrationnel, condamnable en toutes circonstances. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Ce matin le New-York Times nous apprend que M. Zelinsky a offert le choix à ses soldats : si vous le souhaitez, (« si vous tenez à votre peau ») vous pouvez abandonner Marioupol. C’est ainsi qu’à l’ère de la communication gnan-gnan on annonce la chute d’une ville. C’était pourtant son Verdun et il se confirme que la ville était principalement défendue par des bataillons assez spéciaux, à l’inspiration assez peu droitdel’hommiste.
Certains font la guerre, d’autres jouent la comédie, pour la galerie, comme des enfants. Certains seront morts pour une politique, d’autres pour une « scénographie » irresponsable et inconséquente, applaudis pas les « parents », les parrains plutôt.
Nous découvrons ou redécouvrons à cette occasion la guerre économique, mais dans un monde totalement interconnecté que, selon Charles Gave, personne ne comprend. Simulant leur maîtrise de la guerre économique, les « parrains » décrètent, pour la galerie, des frappes chirurgicales contre des « proches de ». Bataille navale de super-yachts. On se croirait vraiment au cinéma. Qu’en pense Pierre Builly ?
Je crains que M. Bock-Côté s’illusionne quant au patriotisme ukrainien. Des dirigeants corrompus, manipulés par l’étranger, menant leur pays à la ruine et peut-être au démembrement ce n’est pas du patriotisme. Ce qui n’enlève rien à la sincérité patriotique des ukrainiens entraînés et sacrifiés par leur gouvernement dans cette comédie. Qu’ils reposent en paix.
Entièrement d’accord avec Marc Vergier et contre le kit « prêt à penser » qu’on nous vend actuellement. Les US vont se sortir à leur profit et sans trop de mal du blocus organisé dont l’Europe fera les frais , la cabale contre Poutine partant d’un bon sentiment en est l’illustration. Nous serons les dindons d’un jeu truqué dont le peuple ukrainien est l’otage.
@Marc Vergier : vous me faites l’honneur de m’interroger « cum grano salis » sur la capacité du cinéma à retranscrire ce qui se passe actuellement à l’Est !
Je ne doute pas que d’ici quelques mois, Hollywood sorte un puissant machin tout à la gloire de l’OTAN (et principalement de ceux qui la commandent !), mais je souhaite bien du plaisir au scénariste et je lui recommanderais, si cela était en mon pouvoir, d’attendre encore un peu avant d’écrire la première ligne de son texte !