Nous avons déjà signalé l’intérêt des articles de Didier Desrimais. C’est en particulier le cas de celui-ci paru dans Causeur le 13 avril. Un ami nous écrit : « Voilà qui me paraît autrement plus grave que l’imposition du pass sanitaire… ». Et, pour tout dire, nous partageons carrément son avis. Une fois encore, adressons un cordial salut à l’excellent Causeur et à ses rédacteurs amis.
Par Didier Desrimais*.
Paris, Lille, Le Havre… Où que le spectateur porte son regard, il ne peut que constater que l’opéra et le théâtre subventionnés sont grignotés par le militantisme le plus insupportable.
No go zones culturelles
Sophie de Menthon disait dernièrement dans ces colonnes son désarroi devant la récente « déconstruction » de Cendrillon, l’œuvre de Jules Massenet, à l’Opéra Bastille. La propagande wokiste campe dans les milieux artistiques, plus particulièrement dans ceux qui dépendent financièrement des deniers publics. Depuis des années, l’opéra et le théâtre subventionnés sont grignotés par le militantisme communautariste, Lgbtiste, néoféministe ou antiraciste, et se font plus ou moins subtilement les porte-voix de ces mouvements en substituant à l’art l’activisme politique. De la justice sociale à la fluidité sexuelle, de la dénonciation de la « suprématie blanche » à celle de l’hégémonie « hétéronormative », tout finit un jour ou l’autre dans le bouillon de la culture officielle. Tour d’horizon non exhaustif.
Jeanne Balibar, Abd al Malik, Ladj Ly…
En 2017, pour la deuxième saison de sa “3e Scène” (numérique), l’Opéra national de Paris proposait un film d’Abd al Malik intitulé… Othello. Dans cet Othello-là, pour éviter le grimage raciste d’un acteur blanc, le rôle principal est tenu par un comédien noir. La pièce de Shakespeare est revue et corrigée : « Après avoir passé un an en prison pour d’obscures raisons », Othello retrouve ses amis de la cité, dont Cassio et Desdémone, « son amoureuse », à laquelle il promet de changer de vie. Pour fêter ça, ses amis lui offrent une place à l’Opéra Garnier où il a toujours rêvé d’aller pour assister à une représentation de l’Otello de Verdi. Mise en abyme, paranoïa, l’Othello des cités étrangle sa Desdémone de bazar. Mais… ce n’était qu’un rêve absurde. Tout est bien qui finit bien. Le film est très mauvais mais ça a beaucoup plu aux administrateurs de l’Opéra de Paris sans doute enthousiasmés par les sous-entendus sociologiques de cet affligeant court-métrage, du genre « les quartiers c’est pas que des voyous qui vous maravent pour vous piquer votre portable, c’est aussi des jeunes issus de la diversité qui demandent qu’à aller à l’opéra pour sortir de la misère culturelle et de la délinquance inhérentes à la misère sociale ». Ça sonne archi-faux, personne n’y croit, mais ça soulage les consciences.
Il y a quelques semaines, le même Opéra national de Paris proposait de visionner sur son site un court-métrage intitulé “Ça passe” et réalisé par l’école de cinéma Kourtrajmé de Ladj Ly, le réalisateur des “Misérables” louangé par toute la bonne presse de gauche. Ce film d’une quinzaine de minutes raconte l’histoire d’un jeune « chouffeur » du 9-3 usant de sa voix magnifique pour prévenir les dealers de la cité de l’arrivée de la police – il ne hurle pas, il chante le fameux cri d’alarme : “Ça passe”.
L’artiste Isabelle, jouée par l’insupportable Jeanne Balibar, passe comme par hasard par là sur sa trottinette électrique. Non seulement elle ne se fait pas dépouiller par la racaille droguée jusqu’aux oreilles, mais même elle parvient à décider Amin, le guetteur à la voix d’or, de venir pour une audition dans son théâtre car elle voit en lui le futur soliste de l’opéra qu’elle est en train de mettre en scène. Je vous laisse deviner le sort de ce délinquant qui aurait pu devenir chanteur d’opéra mais que la société et la police s’acharneront à maintenir dans la misère.
Béatrice Dalle et Virginie Despentes dépêchées auprès de David Bobée, militant très actif dans le nord
Il n’y a pas de raison que les Lillois soient mieux lotis que les Parisiens. J’ai déjà eu l’occasion de parler du récent directeur du Théâtre du Nord à Lille, David Bobée. Plus militant « déconstructiviste » qu’artiste, ce metteur en scène se distingue surtout par son envie de « décoloniser les arts ». Pour sa première saison lilloise, il promet de revisibiliser les femmes, de démasculiniser le théâtre, de combattre les stéréotypes de genre, d’ouvrir son théâtre à la diversité, etc. Il a par conséquent invité « trois femmes engagées » à jouer un spectacle supposé battre en brèche « les certitudes d’une société hétéronormée » et intitulé “Viril”. « Au nom d’un féminisme révolutionnaire », la rappeuse Casey, Béatrice Dalle et Virginie Despentes, plus vulgaires que jamais, régurgitent sur scène des textes stupides, orduriers, faussement rebelles, réellement obscènes. Béatrice Dalle bafouille les textes d’une Virginie Despentes qui, à son tour, inonde les spectateurs d’une matière bileuse. De son côté, Casey « dézingue le colonialisme et le racisme mal digérés des institutions françaises », précise le site du Théâtre du Nord. Elle éructe des textes de Paul B. Preciado, philosophe transsexuel adepte des thèses foucaldo-butlériennes les plus crétines (pléonasme) dont le journal Libération reproduit parfois la bouillie intellectuelle dont voici un échantillon : « Les sculptures publiques […] désignent un corps national et pur, et déterminent un idéal de citoyenneté coloniale et sexuelle. L’exaltation publique des valeurs de suprématie blanche, masculine et hétérosexuelle par des statues ecclésiastiques, militaires, gouvernementales… fait de la ville moderne un parc d’attractions patriarco-colonial » (1). La prestation de ces « artistes » rongées par le ressentiment, la haine et la bêtise, justifie, me semble-t-il, le petit nom que certains Lillois de mes amis donnent au Théâtre de leur ville : Dépotoir du Nord.
Il n’y a pas plus conformiste que l’art qui s’auto-proclame subversif. Et il n’y a rien de moins artistique ni de moins subversif que cet art devenu propagande. Le texte de présentation de “Viril” n’est rien d’autre qu’un tract wokiste : « Peu à peu, la succession des voix et des textes dessine le paysage d’un féminisme révolutionnaire né de l’alliance des luttes minoritaires et des pratiques dissidentes lesbiennes, prolétariennes, trans et racisées. Choc esthétique pour celles et ceux qui ne connaissent pas les racines lesbiennes radicales et antiracistes du féminisme, exercice joyeux de détoxification face aux langages dominants et véritable injection d’énergie poétique et de joie politique pour toutes celles et ceux qui cherchent à collectiviser leur volonté de résistance. » Les petits-bourgeois rebellocrates lillois qui ne savaient pas comment participer à la grande fête transidentitaire, à la révolution lesbienne, au combat décolonial et aux luttes des minorités forcément discriminées, paient leur ticket de dissident d’un soir et s’ébrouent dans cette auge théâtrale en compagnie d’un nouveau public composé essentiellement d’étudiants en sociologie non-binaires, de militants trans-écolos, de privilégiés blancs repentants, d’universitaires mélenchonistes, de lycéens pansexuels, de féministes haasiens et de lectrices de Mona Chollet et de Virginie Despentes.
Au Havre, on bouscule les codes
On retrouve le même type de public au Havre où il se bouscule pour aller écouter “No(s) Dames”, un « spectacle lyrique qui bouscule les codes » et dans lequel le contre-ténor Théophile Alexandre et les musiciennes du quatuor Zaïde se proposent de « rendre un hommage dégenré aux héroïnes tragiques d’opéra » en interrogeant « la duplicité des rôles assignés aux femmes dans tous ces opéras composés par des hommes : célébrées mais caricaturées et corsetées, virtuoses mais déshumanisées, magnifiées mais martyrisées » (2). Peu importe la qualité des musiciens, ce gribouillis devrait suffire pour prendre la seule décision qui vaille, celle de ne pas foutre les pieds et les oreilles à ce spectacle dogmatique et rééducateur !
Partout où la moraline recouvre l’art de ses slogans modernes et inclusifs, partout où les messages dits progressistes gélifient l’art et boursouflent la bonne conscience de ce public qui ne sait plus faire le distinguo entre ce qui est beau et ce qui est laid, entre l’esthétique de l’art et la niaiserie de la propagande sociétale, l’art véritable disparaît. Le récent “Rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris” préconisant de créer un poste de responsable diversité et inclusion ou de « repenser l’unité chromatique » pour favoriser « la diversité mélanique », n’est que la partie émergée de l’iceberg wokiste et culturel. Là où il est question de diversité et d’inclusion, il n’y a plus de place pour le sublime, pour le tragique, pour le merveilleux, pour la magie, pour la beauté, en un mot, pour l’art. Nous ne sommes qu’au début du travail d’amnésie totale encouragé par l’école et la culture officielle. Si tout va bien, c’est-à-dire mal, il ne faudra pas cinquante ans pour que le répertoire classique du théâtre et de l’opéra ne soit plus du tout joué – pas seulement parce qu’il sera d’une manière ou d’une autre censuré ou interdit, mais aussi, mais surtout, parce qu’il n’y aura plus personne pour comprendre cet art ou pour même seulement imaginer le monde auquel il s’adressait… ■
(1) Libération, chronique du 3 juillet 2020.
(2) Site de la Scène nationale du Havre Le Volcan, présentation de la saison 21/22.
Didier Desrimais
* Amateur de livres et de musique, scrutateur des mouvements du monde.
Les gobeurs 20,00 €
Il faut lire le Petit Remplacement de Renaud Camus ouvrage qui fait le portrait de la dictature de la petite bourgeoisie progressiste, celle qui tient les médias, la « culture », l’école. C’est la classe déculturée, mais persuadée d’être l’incarnation du Bien, s’exprimant dans une langue ravagée par les stéréotypes du wokisme, ignorante de l’histoire, mais prétendant l’effacer au nom d’un avenir radieux. Tous les lieux-communs de ce progressisme halluciné ont été magnifiquement décrits et analysés dans le dictionnaire du progressisme de Frédéric Rouvillois, publié aux éditions du Cerf dont on ne peut que conseiller la culture. On y voit le même projet que chez les terroristes de 1793 qui imposaient le tutoiement obligatoire, débaptisaient les jours et les mois, inventaient une langue de bois traduisant leur volonté de la table rase et de la reconstruction du monde sur des bases purement idéologiques. Le wokisme ne coupe pas des têtes, du moins pas encore, mais il censure, interdit des conférences, empêche des enseignements de se dérouler normalement, lance des campagnes de dénigrement, fait appel à la délation. C’est un projet totalitaire mou, mais totalitaire cependant. Un État digne de ce nom supprimerait immédiatement toute subvention à ces idéologues fous.
Et bien……c’est du joli tout ça !
Un «phénomène» culturel n’a pas suffisamment retenu notre attention jusqu’ici et, soudain, cela me saute aux yeux dans toute l’étendue de son horreur : je veux parler des «mises en scène» et autres «interprétations» allégoriques qui ont progressivement déferlé comme une Marabounta sur le théâtre, et ce, dans le droit fil du brechtianisme obligé des années cinquante-soixante (j’excepte le grand Giorgio Strehler, lequel, tout «brechtien» qu’il eût été, sut rester un Italien inspiré et un artiste scrupuleux).
Après les dégénérescentes stupidités érotomaniaques des Living Theatre et autres compagnies infâmes, le terrain a été grignoté par les Patrice Chéreau (d’abord, talentueux mais, tant et plus obsédé sexuel pratiquant et gaucho tellement bien pensant qu’il est devenu pour ainsi dire illettré-rotomaniaque) et autres Olivier Py des avant-derniers temps. Or, très très très curieusement, c’est à l’opéra que la charge de ces brigades internationales s’est montré la plus lourde : aujourd’hui, on voit de plus en plus de drames en musique baroqueux dans lesquels des barbaques plus ou moins adipeuses secouent le croupion mis à poils sous le nez des spectateurs, d’ailleurs ravis. Lors des représentations de «L’Anneau des Niebelungen» par Chéreau-Boulez, l’extase «subventionnée» dégoulinait par tous les bouts, pourtant, des spectateurs de Bayreuth s’étaient indignés et, à l’époque, l’indignation n’avait pas été trop vilipendée ; mais il eut fallu poursuivre sévèrement, alors que les bonnes gens prochainement macroneux militaient en faveur d’un peu de «tolérance» – le bordel en cours d’institutionnalisation y appelait, d’ailleurs.
Après Chéreau-Boulez, le grand Georg Solti prit la baguette à Bayreuth et commença son travail en déclarant aux musiciens de l’orchestre : «À partir de cette année, nous allons rejouer du Richard Wagner.» Mais il ne suffit pas d’être un des plus inspirés chefs de tous les temps pour se faire bien comprendre des énergumènes musicastres !… Hélas ! Mille fois hélas ! Désormais, parmi les plus grands directeurs d’orchestre actuel, on trouve une grande majorité de «collabos», battant la mesure devant les plus ignobles mascarades d’abrutis enrégimentés. Je ne parle évidemment pas du «quota», obligé dans tous les cas, de frimousses basanées, entrelardées de «caillera» méchamment vicieuse… Je me rappelle un «Don Giovanni» – admirablement dirigé dans la fosse par l’excellent Jérémie Rohrer –, dans lequel, le héros, emporté aux Enfers, apparaît en «Crucifié», strictement ! Sans préjudice, évidemment, des innombrables grossièretés dont la scénographie avait précédemment dégorgé. Pour ces gens-là, il y a donc équivalence «esthétique» entre un libertin assassin et Notre Seigneur Jésus-Christ ! Et cela ne choque plus personne dans le «milieu»… Car il s’agit bien du Milieu, au sens gangstérique du terme.
Peut-on encore nourrir quelque espoir de voir l’art se recomposer ? Pas plus que l’on n’en peut mettre dans une politique salutaire.
Prions donc violemment le Seigneur Dieu qu’Il les vomisse de Sa bouche et que le Diable les patafiole !
J’aime ta prose David !
Oui, Michel Michel.