Par Jean-Paul Brighelli.
Cette chronique de Jean-Paul Brighelli parue hier dans Causeur est décidément d’un noir pessimisme. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, qu’il ait tort : Nous sommes en 1788, alors que le jeu démocratique est en phase terminale et que tout devrait donc s’achever dans la rue, pour des révolutions peu enviables, à l’issue desquelles ceux qui gagneront ne seront pas forcément les plus éclairés ! Selon Bainville, on le sait, « tout a toujours très mal marché » et Jean-Paul Brighelli est ici sur cette ligne que la situation conforte, à l’évidence. Toutefois, Brighelli le sait bien, si la rue manifeste, les solutions viennent d’ailleurs. Souvent mauvaises. Quelquefois miraculeusement bonnes et plus encore lorsqu’elles s’avèrent durablement bonnes, malgré les inévitables tribulations de l’Histoire. Les hauts et les bas. La trajectoire historique globale de l’ancien système monarchique avait porté la France très haut lorsqu’il s’est effondré. La dite trajectoire depuis cet événement jusqu’à nous est tout à l’inverse, on le sent bien, parmi les Français mortifiés de notre déclassement. Pourrons-nous, saurons-nous, retrouver, recréer les conditions sociales et politiques d’un nouveau grand cycle de renaissance nationale ou continuerons-nous, selon l’expression gaullienne, de rouler à l’abime ? Là est la question.
Que Macron soit reconduit ou Marine Le Pen par hasard élue, le pays se dirige vers une crise majeure dont on peut craindre la violence. La société est divisée en trois blocs difficilement conciliables, rendant tout futur gouvernement très difficile.
Trois France qui se regarderaient en « mexican standoff », comme dans « le Bon, la brute et le truand », dit Polony dans la dernière livraison de Marianne. Peut-être — mais elles ne sont pas réductibles à ces trois caricatures que sont Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
Parmi les innombrables causes de la Révolution française, la crispation des élites aristocratiques sur leurs privilèges joue un rôle éminent — si bien que pour moi la vraie révolution ne commence pas à la prise de la Bastille, mais à la nuit du 4 août. La caste qui entourait le roi (et surtout la reine) avait médit de Turgot, et exigé le renvoi de Necker. La coterie franc-maçonne du duc d’Orléans, le futur Philippe-Egalité, avait beau tenter de transformer la monarchie absolutiste en royauté constitutionnelle (le modèle anglais), rien n’y fit : les aristocrates ne voulaient pas renoncer à leurs privilèges, ils durent renoncer à leurs biens, et souvent à leur tête.
Face à cette oligarchie (ça y est, vous le voyez, le parallèle avec la présente situation ?), il y avait deux groupes. D’un côté une classe montante d’avocats (c’est ce que sont Danton et Robespierre) et d’entrepreneurs qui avaient le pouvoir économique et voulaient le pouvoir exécutif — ce sera chose faite après la Révolution de Juillet 1830 ; de l’autre la masse indistincte du peuple, très loin d’avoir une unité de pensée, pénétrée qu’elle était de principes religieux qui servaient les intérêts du clergé, main dans la main avec les aristocrates. Ce qui explique que la paysannerie bretonne, par exemple, qui aurait pu être excédée par 1200 ans de joug féodal, ait combattu corps et âme pour ses exploiteurs.
Une invective commode
Où en sommes-nous ? Quelques grands bourgeois ont tout intérêt à ce que Macron soit réélu — et si vous êtes banquier ou homme d’affaires, je ne vous en voudrai pas de voter pour lui. En face, un peuple divisé entre ceux qui en ont marre, sans parvenir toujours à mettre un nom sur leur ras-le-bol, et ceux qui craignent un « fascisme » dont ils n’ont au mieux que des connaissances scolaires : personne n’est assez vieux pour avoir ingurgité de l’huile de ricin sous la pression des milices mussoliniennes, et que je sache, ce ne sont pas les néo-nazis, en France, qui s’en prennent aux Juifs. Le reproche de « racisme » qui sert d’argument suprême aux imbéciles est éventé. L’enseignant que je suis n’en est plus à se demander qui est raciste, de ceux qui comme moi veulent l’intégration et l’assimilation, à terme, des étrangers, et ceux qui les parquent dans les ghettos des cités en leur refusant l’accès à un système éducatif digne de ce nom — ce qui fut la politique éducative constante des socialistes ces quarante dernières années. « Raciste » est une invective commode quand on ne veut pas réfléchir, ni, surtout, reconnaître ses torts. Mais ne vous en faites pas, les belles âmes savent dans quels établissements inscrire leurs enfants.
Dans une France qui a globalement peur — et l’épidémie de Covid a été sur ce point un formidable révélateur —, les retraités et un grand nombre d’enseignants, deux catégories traversées par la trouille, penchent pour Macron, sans voir que leur pouvoir d’achat, déjà malmené par des années d’austérité, sera éreinté par l’arrêt des politiques d’aide « quel qu’en soit le prix », et le renchérissement des denrées de base : spaghettis et couscous plus cher, la faute à Poutine ! La droite d’affaires prospère sur la capacité des cocus à s’illusionner.
Droite nationale et gauche communautariste
Quant au peuple, il se divise à parts égales entre ceux qui ont voté Marine Le Pen, qui tient le discours « national » des débuts de la Vème République, comme le remarquait récemment Marcel Gauchet, précisant que Marine Le Pen n’a rien à voir « avec ce qu’a été historiquement l’extrême-droite » ; et ceux qui ont voté Mélenchon, et qui eux-mêmes se subdivisent en islamistes pratiquant l’entrisme démocratique (plus de 65% du vote musulman) et idiots utiles et « intersectionnels » des communautaristes.
Ajoutez à cela que les médias se lèvent comme un seul homme pour soutenir Macron, et je n’ai aucun doute sur le résultat des élections. Le Monde publie une tribune de juristes fustigeant par avance toute modification de la Constitution permettant un recours plus simple au référendum. De toute façon, on sait depuis 2005 ce que les oligarques qui nous gouvernent font des résultats d’un référendum lorsqu’il leur est défavorable. Le Point tire à boulets rouges sur le programme économique de Marine Le Pen, opposant le « souverainisme européen » (un bel exemple d’oxymore), qui serait le Bien, au « souverainisme national », qui est le Mal. Que le populisme (c’est mal !) alimente la large réélection de Viktor Orban en Hongrie est un épiphénomène, et Ursula von der Leyen, qui a transvasé déjà pour 100 millions d’euros d’armes à l’Ukraine et ne cherche pas du tout à mettre de l’huile sur le feu, y mettra bon ordre. Qu’elle provoque à terme une partition Etats-Unis / Russie-Chine-Inde dont l’Europe sera le dindon, ou le doigt entre l’écorce et l’arbre, est un souci mineur. Le cochon de payant absorbera le choc d’une inflation artificielle qui permettra à certains d’augmenter leur marge, comme les restaurateurs l’ont fait quand on a diminué la TVA dans leur secteur en 2009.
Je maintiens donc ma prévision, réalisée en janvier 2021, d’une réélection d’Emmanuel Macron.
C’est après que ça se corsera. Le nouveau président dissoudra sans doute très rapidement l’Assemblée, de façon à provoquer des élections dans la foulée de son succès. La gauche et la droite traditionnelles, récusées l’une et l’autre aux présidentielles, se requinqueront aux législatives, où le RN, qui aura finalement rassemblé près d’un Français sur deux, aura ses sept ou huit sièges ordinaires.
Gare au troisième tour dans la rue
C’est ça, 1788. Un blocage institutionnel total. Et je crois qu’on en sortira comme en 1789 — dans la rue.
De toute façon, si par hasard Marine Le Pen était élue, ce serait aussi dans la rue que ça se passerait, le camp du Bien ne supportant le jeu démocratique que s’il lui donne raison. Ce pays s’oriente donc vers une crise majeure, violente, d’où sortira ou ne sortira pas une France nouvelle, mais qui en tout cas fera des dégâts — comme la Révolution française a fait des dégâts dans toutes les couches de la société. Mais nous n’avons pas un Bonaparte à sortir de notre chapeau.
Le jeu démocratique, dont je me moquais récemment, est arrivé à sa phase terminale. Ce pays qui aime les hommes providentiels, et qui comme sœur Anne n’en voit pas venir, se déchirera dans la rue. Et ceux qui gagneront ne seront pas forcément les plus éclairés. ■
La fabrique du crétin 2 (02) 18,00 €
Voir le livre paru en janvier 2022 :
L’ABOLITION des PRIVILÈGES
de Bertrand GUILLOT.
Il y fait un parallèle entre la NUIT du 4 AOÛT 1789 et la situation aujourd’hui en
2022 !
Avec les nouveaux privilégiés de l’Oligarchie
de l’Argent et du pouvoir mondialiste de
MACRON !!………….