Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Eric Zemmour a certes su imposer l’approche civilisationnelle du problème de l’immigration de sorte que plus personne ne devrait pouvoir à l’avenir en faire l’économie. Toutefois, il ne sera pas au second tour face au président sortant, nous donnant ainsi – bien malgré nous – un peu raison : « Peut-être […] verrons-nous sa « cote » s’effondrer, décevant tous ceux que sa fulgurante progression dans les sondages fait déjà rêver. » (« Le grand perturbateur », JSF, 4 octobre 2021). Très vite, le spectacle de sa campagne en a rappelé une autre, celle menée durant l’été 1965, contre De Gaulle, sur les côtes de la Méditerranée, par le brillantissime Jean-Louis Tixier-Vignancour, avocat qui avait défendu Céline et Salan mais surtout orateur aux inoubliables accents épiques et lyriques. Certains, jeunes à l’époque, y ont cru jusqu’au bout, d’autant que les sondages étaient alors plutôt rares et moins sûrs qu’aujourd’hui. Résultat : 5,2 %. Désillusion et consternation dans le camp national(iste). C’est donc en vain qu’Eric Zemmour flattait la foule immense du Trocadéro : « Vous êtes 100 000 ! 100 000 Français qui ne reculent devant rien ! 100 000 Français qui sont fiers de leur pays ! 100 000 Français qui veulent écrire l’Histoire ! » Oui, mais 100 000 militants et/ou convaincus : pour accéder au second tour, il lui aurait fallu plus de huit millions de bulletins déposés par cette masse d’anonymes qu’on appelle un électorat !
Eric Zemmour n’a réuni en fait que la fine fleur de « l’extrême-droite » française. Pourra-t-il maintenant atteindre son objectif de recomposition post-électorale à droite en faisant tomber les barrières politiciennes ? Ce sera vraiment difficile, d’autant que la prochaine assemblée sera encore élue au scrutin majoritaire à deux tours. De plus, cela présuppose plutôt la défaite finale d’une Marine Le Pen pour laquelle il a malgré tout appelé à voter, après avoir répété que, n’ayant gagné ni en 2012 ni en 2017, elle ne gagnerait jamais : ni en 2022, ni même en 2027 ou 2032 ! Arcanes de « l’extrême droite »…
C’est pourtant elle qui a obtenu les fameuses huit millions de voix. Comme en 2017 donc, ce qu’il a été si longtemps raisonnable de prévoir est donc advenu. Comme en 2017, cela a causé des manifestations hostiles et plus ou moins violentes. Comme en 2017, s’est affirmé le soutien explicite à M. Macron de la quasi-totalité des figures du monde politicien, mais aussi de la presse, des syndicats et des « associations ». Comme en 2017, s’arrogeant un insupportable magistère moral, de nombreux sportifs, artistes ou intellectuels ont signé tribunes et pétitions en sa faveur. Comme en 2017, etc. Est-ce à dire que le résultat, c’est-à-dire la réélection de M. Macron, est acquis ? Non, bien sûr, même si le bon sens incite à penser que, si la victoire de Marine Le Pen est forcément possible, davantage d’ailleurs qu’en 2017, elle demeure plutôt peu probable.
Peu probable d’abord en raison du front républicain même un peu mou auquel elle fait face. À force de (sur)jouer à se faire peur, les anti-Le Pen finissent toujours par semer le doute et l’inquiétude. Paradoxalement, même les sondages et analyses d’opinion qui semblent la conforter pourraient jouer contre elle en confortant davantage le doute et l’inquiétude : on nous dit que cette fois-ci pourrait bien être la bonne pour elle dont l’image personnelle se serait améliorée, elle dont les réserves de voix seraient importantes, elle qui devancerait même M. Macron sur certains points chers aux citoyens-électeurs (notamment les retraites et le pouvoir d’achat).
Peu probable ensuite parce qu’on peut se demander, à quelques jours de l’élection, si elle tiendra jusqu’au bout : son premier ennemi pourrait bien être elle-même. On pense ici au débat de mercredi. Celui de 2017 avait montré les limites de Marine Le Pen, lui faisant perdre de surcroît 6% d’intentions de vote. Sera-t-elle meilleure qu’elle-même en 2017 ? On peut quand même l’espérer. Mais meilleure que M. Macron en 2022, on n’ose l’espérer.
Les sondages lui font, c’est un fait, la part (un peu trop) belle : jusqu’à la situer au-dessus des 45 % ! 45% constituerait, malgré la défaite, une belle progression et un chiffre énorme pour une candidature qualifiée d’« extrême ». Marine Le Pen pouvait déjà s’enorgueillir d’avoir dépassé les dix millions et demi de suffrages lors du second tour de 2017. Atteindre la barre des quinze millions serait forcément un beau succès…comptable. Mais qui sait ? Elle fera peut-être mieux. Ou moins bien.
Tout cela dit « puisqu’il faut parler net », comme le baudet de la fable à qui cela ne porta d’ailleurs pas bonheur. ■
** Agrégé de Lettres Modernes.
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