Par Jacques Léger.
L’un de nos amis marseillais qui a bien voulu nous confier en exclusivité le fruit de ses recherches sur l’épopée de la duchesse de Berry, mère du duc de Bordeaux, futur Henri V, plus connu sous son titre de courtoisie de Comte de Chambord. Une suite en 12 épisodes, du 25 avril au 7 mai – sauf dimanches.
Le 13 juillet 1817, Marie-Caroline mit au monde une petite fille qui ne vécut que 2 jours. 14 mois exactement plus tard, le 13 septembre 1818, elle accoucha d’un garçon qui mourut au bout de deux heures. Un an après, le 21 septembre 1819, elle donna le jour à une fille, parfaitement viable, prénommée Louise, qui deviendra, par son mariage, duchesse de Bourbon-Parme. Mais, pour l’instant, ce n’était qu’une fille…
Quelques mois plus tard, en février 1820, Paris fêtait carnaval. Tout le faubourg Saint-Germain donnait des bals masqués. Marie-Caroline, qui adorait ces festivités, se rendit le samedi 12 à celui donné par la comtesse de Greffulhe. Elle y fit sensation en atours d’une reine du Moyen-Age mais demeura assise toute la soirée.
Elle n’en dit pas la cause, encore secrète : le docteur Deneux, son accoucheur (20), lui avait révélé une nouvelle grossesse et interdit de danser, et même de sortir. C’est pourquoi, le lendemain, dimanche 13 février 1820, son époux s’opposa à ce qu’elle aille à un autre bal masqué, donné pourtant à deux pas de l’Elysée. Pour la consoler, il lui proposa de l’accompagner à l’opéra où l’on donnait « Les noces de Ganache ».
Le spectacle commence à 20 heures. Dès la fin du premier acte, le duc de Berry suggère à Marie-Caroline de rentrer seule. Bien que le spectacle l’ennuie, elle refuse, craignant que le duc désire finir la nuit avec une actrice, – ce qui est en effet son projet.
Mais, après le deuxième acte, elle cède. Charles l’accompagne jusqu’à sa voiture et là, surgissant de la nuit, un homme se colle à son dos et, passant le bras par-dessus son épaule, le poignarde (21 et 22). Le prince arrache le couteau, le sang gicle, la robe blanche de Marie-Caroline se teinte de rouge.
On arrête l’agresseur, on porte le prince sur une banquette dans le vestibule du théâtre (23), alors que la représentation continue.
L’assassin, c’est Louvel (24-25). Un cordonnier, fanatiquement républicain. Depuis la chute de Bonaparte, il rêve d’éteindre la race des Bourbons, dont il sait, comme tout le monde, que seul le duc de Berry peut la perpétuer.
Les médecins affluent. On en compte 11, dont le célèbre Dupuytren. Leurs moyens sont dérisoires – l’aorte est touchée – et leurs efforts ne parviennent pas même à réduire les souffrances du blessé.
Les plus hautes personnalités accourent aussi. La plupart viennent des trois bals masqués qui se donnaient dans Paris et n’ont pas pris le temps de se changer. Ils encombrent les couloirs du théâtre où ils donnent un étrange spectacle.
La famille royale est naturellement au complet : le père Charles d’Artois, le frère, duc d’Angoulême et son épouse Marie-Thérèse en larmes. Un peu plus tard arrive Louis XVIII (26).
L’agonie dura toute la nuit. Après s’être confessé, le duc de Berry fit signe à Marie-Caroline de se pencher vers lui et aux autres de s’écarter :
– Ma femme, je dois te l’avouer, j’ai eu deux enfants avant de t’avoir connue. Permets que je les voie.
Elle n’hésita pas :
– Qu’on les fasse venir ! J’en aurai soin comme de ma propre fille.
Il fallut plus d’une heure avant que les deux petites filles (27) – 11 et 12 ans – arrivent, apeurées, pour recevoir la bénédiction de leur père.
Ces deux petites, Charlotte et Louise, étaient les enfants d’Amy Brown, l’épouse anglaise de Charles ; celle-ci l’avait suivi en 1814 et vivait discrètement à Paris où il allait la visiter presque chaque jour. Le roi Louis XVIII promit au mourant qu’il donnerait aux fillettes les noms de comtesse de Vierzon et comtesse d’Issoudun. Marie-Caroline devint une amie d’Amy et on peut dire que les fillettes eurent deux mères, la duchesse de Berry se chargeant même de leur faire faire de beaux mariages (Charrette et La Rochejaquelein).
À 5 heures du matin, Marie-Caroline se retira dans une pièce voisine, cédant aux instances du moribond qui, à ce moment, révéla publiquement son état : « Eloignez Caroline, elle est grosse ». Mais, après quelques instants, entendant le bruit du dernier râle et celui des sanglots libérés, elle se précipita en hurlant dans la pièce, se jeta sur le corps sans vie (28), puis aux pieds du roi qu’elle supplia :
– Sire, je veux retourner dans mon pays avec mon enfant. Accordez-moi cette grâce, je ne peux plus vivre ici !
A quoi le roi répondit royalement :
– La douleur vous égare.
Et il ordonna qu’on la reconduise à l’Elysée. Il fallut plusieurs hommes pour la forcer à quitter l’opéra et à monter dans sa voiture en compagnie de la duchesse d’Angoulême.
Au jour de cette terrible épreuve, elle n’avait encore que 21 ans et 3 mois. (À suivre, demain) ■
© JSF Peut être repris à condition de citer la source
J’avais lu avec grand plaisir l’histoire de Zarafa, la girafe de Charles X. Derrière la « petite histoire » se profilait la grande et c’était passionnant.
Ici, c’est de la grande histoire même si Marie-Caroline a échoué.
Bourbons ou Bourbons-Orléans, nos princes n’ont jamais renoncé.!