Par Jacques Léger.
L’un de nos amis marseillais qui a bien voulu nous confier en exclusivité le fruit de ses recherches sur l’épopée de la duchesse de Berry, mère du duc de Bordeaux, futur Henri V, plus connu sous son titre de courtoisie de Comte de Chambord. Une suite en 12 épisodes, du 25 avril au 7 mai – sauf dimanches.
On ne saurait ici entreprendre d’étudier sérieusement les causes de la révolution de 1830. L’évènement déclencheur est évident : ce sont les ordonnances de Charles X (dissolution de l’assemblée, rétablissement de la censure), mais ce coup de poker du roi et de son gouvernement n’était pas un caprice : un vaste complot menaçait de façon urgente la monarchie et, si on prend un peu de hauteur, on comprend que ce complot était implicitement soutenu par la bourgeoisie parisienne enrichie par la révolution (banquier Laffitte) et explicitement par ses enfants étudiants (Polytechnique en particulier) et une foule de journaux rivalisant de discours violents dont Balzac a décrit le cynisme et la vénalité dans Les illusions perdues.
Quoi qu’il en soit, en trois jours (27, 28 et 29 juillet : « les 3 glorieuses »), le roi et son fils Angoulême sont contraints d’abdiquer. Ils le font sans combattre alors que des troupes fidèles continuent de les entourer à Rambouillet. Il est vrai que le gros des troupes a franchi la mer pour conquérir l’Algérie.
Le roi a compris que sa seule chance de garder sa couronne est de retirer les ordonnances – ce qu’il fait – et d’accepter un régime dans lequel le roi règne et ne gouverne pas, ce qu’il exclut : « Je préfèrerais scier du bois que de gouverner à la mode du roi d’Angleterre ». Charles X abdique donc le 2 août, en laissant derrière lui un bilan honorable. On lui doit le rétablissement de la paix en Espagne (Cadix, le Trocadero, 1824), la participation de la France à la victoire navale de Navarin sur les Turcs (1827) qui a donné l’indépendance à la Grèce et enfin la conquête d’Alger (juillet 1830), mettant fin à des siècles de piraterie et offrant à la France sa plus belle et sa plus proche colonie. A l’intérieur, des finances publiques rétablies, la création des caisses d’épargne, les débuts du chemin de fer. Stendal, peu suspect de sympathie pour le royalisme, a lui-même admis que jamais les Français n’avaient été aussi heureux que sous son règne.
Ajoutons encore à sa gloire deux conquêtes pacifiques en Egypte : l’obélisque de Louxor qui orne la place de la Concorde, et la girafe Zarafa (50) qui débarqua à Marseille en 1824 et y séjourna 3 mois, au milieu d’une population en liesse, avant de rejoindre Paris à pieds. Versatilité et ingratitude sont décidément les caractéristiques les plus permanentes des peuples.
Louis-Philippe (51) est appelé au pouvoir en qualité de lieutenant général du royaume. Pourquoi ce titre ?
Parce qu’il y avait un héritier légitime, le petit Henri, âgé de 10 ans (52), ce qui ne lui permettait pas de régner, mais ce qui justifiait une régence. Les atouts de la situation n’ont pas échappé à Marie-Caroline, qui voulut se présenter devant l’assemblée nationale avec son fils. Mais Charles X s’y opposa. Son vœu était que Louis-Philippe reconnaisse Henri V et exerce la régence.
La chose parut possible l’espace d’une demi-journée, Louis Philippe acceptant de l’envisager. Mais deux femmes s’y opposèrent : Marie-Amélie, son épouse, qui le mit en garde : « Ne recevez pas cet enfant. S’il meurt de maladie, on dira que c’est vous qui l’avez tué ». L’autre femme, c’était Marie-Caroline : « On ne m’enlèvera pas mon enfant ».
Charles X emmena toute sa famille et ses derniers fidèles vers l’exil, escorté d’une centaine de soldats fidèles auxquels on permit de conserver jusqu’au bout la cocarde blanche. Procession lente et émouvante de Rambouillet à Cherbourg (53) avant un nouveau refuge en Angleterre. Tout au long du voyage, Marie-Caroline plaida pour que le cortège se déroute vers la Vendée afin d’y soulever les vieux chouans et leurs enfants. Mais le Roi ne voulait ni guerre civile ni guerre étrangère. Son discours était constant : si Henri doit régner, ce sera parce que les Français l’auront appelé. Il lui donna ce qu’on appelle un titre de courtoisie : celui de comte de Chambord sous lequel il sera désormais connu.
Pendant que le cortège fait étape à Argentan, le 9 août, Louis-Philippe est installé sur le trône par un vote de l’assemblée, avec le titre de roi des Français, le drapeau tricolore, la Marseillaise et un gouvernement bourgeois. On martèle partout les fleurs de lys. Un régime authentiquement nouveau est en place.
Le 15 août, après la messe de l’Assomption, ce fut à Valognes la cérémonie des adieux aux derniers fidèles. Le lieu était propice : Versailles normande, Valognes était, selon Barbey d’Aurevilly (ci-contre), la cité la plus aristocratique de France. Tous les officiers et les hommes les plus anciens des compagnies des Gardes du corps, en larmes, vinrent rendre leurs étendards au vieux roi. Celui-ci, très ému, leur déclara :
– Messieurs, je prends vos étendards, vous avez su les conserver sans tâches. J’espère qu’un jour mon petit-fils aura le bonheur de vous les rendre.
Le lendemain, 16 août, la famille royale et la Maison Royale (au total, une quarantaine de personnes) embarquaient à Cherbourg sur un bâtiment américain, le Great Britain, car le roi ne voulait à aucun prix voyager sous pavillon tricolore. Deux navires de guerre français les escortaient ; leurs commandants avaient reçu l’ordre de tirer si le navire s’écartait de sa route.
Le Roi ne s’était pas préoccupé de l’intendance. Il va bénéficier d’une maigre rente de la nation française et récupérer 200 000 francs qui avaient été déposés dans les banques anglaises par Louis XVIII lors du premier exil. Le premier refuge est un château féodal près de Plymouth qu’il faut quitter à l’automne car le château prend l’eau de toute part. Le gouvernement anglais offre aux proscrits le château d’Holyrood, à Edimbourg (ci-contre), refuge convenable où, alors comte d’Artois, le roi déchu a déjà séjourné et où il reçoit un accueil chaleureux de la population.
Chacun s’installe dans ses habitudes sauf la duchesse de Berry. Elle redevient la pétillante Marie-Caroline et n’a qu’une idée en tête : faire monter son fils sur le trône de France. Après avoir passé quelques mois à mettre son projet sur pied, elle décide de quitter secrètement l’Ecosse, en juin 1831. Charles X, informé, est resté dubitatif et ne lui a dit ni oui ni non. Elle laisse naturellement Henri à Holyrood, à la garde de son gouverneur. (À suivre, demain mardi) ■
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