Par Raphaelle Philli.
Un excellent article – un de plus – dans Causeur en date 25 avril dernier. Pour pointer les vices de la société moderne – ou postmoderne – en appeler à Molière aussi bien qu’à La Bruyère est un gage de goût et , au deux sens du mot, d’intelligence. À Marseille, l’un de nos lecteurs, collaborateurs et amis a vécu une expérience – assez comparable à celle qui est rapportée ici – dimanche 24 avril, comme simple bénévole pour le RN. Il ne saurait, dit-il, mieux la narrer. Bémol : il a été admis à partager le café. Il nous paraît judicieux d’ajouter qu’à Marseille, outre la morgue et l’insupportable bonne conscience, les « macronistes », tous fonctionnaires territoriaux, pouvaient considérer les « déplorables » bénévoles du haut de la rémunération de 350 € qui, selon certains, leur était consentie, comme l’an dernier dans le contexte du Covid. C’est un point encore à vérifier qui a été soumis à qui de droit.
Dans un bureau de vote parisien, la vie d’un assesseur de « Reconquête » n’est pas toujours facile.
« Nauséabond » : adjectif mâchonné comme du chewing-gum dans des bouches en cul-de-poule durant la récente campagne présidentielle.
Ce mot utile est habituellement convoqué dans les milieux autorisés quand on ne sait que dire mais que l’on veut dire bien. Petit raccourci cinglant à souhait, qui claque comme une bulle et que l’on balance à l’envi pour meurtrir et condamner d’emblée tout ce qui s’apparenterait à la vilaine « extrêeeeeme » droite.
Il suffit de le prononcer, de le murmurer, de le chuchoter, de s’en délecter (au micro de la matinale du service public, mais pas que) et l’on acquiert aussitôt de la hauteur, de la prestance, du panache. On s’inscrit comme par magie du bon côté, celui de la bienveillance, de l’intelligence, de la subtilité. Petit mot aux effets généreux, tel une petite pilule, qui soulage lorsqu’on le prononce et qui procure autosatisfaction immédiate et confort rassurant : le monde devient alors tellement plus simple ! Il y a nous d’un côté et eux, là-bas, les nauséabonds, les méchants, les mal pensants. Petit mot salutaire qui dispense de penser et justifie la dérobade; comme le mot d’excuse écrit par les parents et qui dispense l’élève paresseux le jour d’un contrôle. Petit mantra qui dédouane et réhabilite à peu de frais.
En somme, le mot « nauséabond » vient d’acquérir ses titres de noblesses dans les milieux autorisés. Ce n’est plus l’effluve toxique qui est ainsi désignée mais, par ricoché, la satisfaction jubilatoire que tire celui qui prononce le mot.
Et quoi de mieux qu’un bureau de vote, le jour d’une élection, comme mise en scène théâtrale de cette très distinguée nausésabond-ance ?
En ce 10 avril 2022, à 7h45 du matin, je me présente en tant qu’assesseur au bureau de vote n°37 de mon quartier, munie de mon attestation délivrée par « Reconquête » (premier parti de France, il est utile de le rappeler). La présidente, Mme X, me toise des pieds à la tête sans mot dire, puis adresse un signe discret à ses collègues. Tous les regards se braquent sur moi et je comprends que tout ce petit monde attendait avec impatience de voir la tête de la bête immonde et nauséabonde, dont la venue avait été officialisée à l’avance par « Reconquête ».
Mme X m’indique sèchement le bureau derrière lequel je dois m’asseoir pour tenir le registre des signatures et ne m’adressera plus la parole de la journée. J’obtempère et décide qu’à partir de maintenant je ne serai que sourires mielleux à son égard, histoire de l’agacer autant que je peux.
Mme X déclare alors solennellement le bureau ouvert et les électeurs affluent. Mme X se tient debout à ma droite, garante de la précieuse urne transparente. Les heures passent et sont rythmées par ses tonitruants « A voté ! ». N’est pas présidente qui veut, et Mme X tient à faire savoir à l’assemblée que c’est elle la patronne du temple de la République. Et pour parfaire sa position, Mme X se sent investie d’un devoir de logorrhée aux accents lyriques et ridicules. Elle ouvre grand sa bouche pincée, articule lentement, avec une laborieuse précision, le nom et prénom de chaque électeur, assène au passage quelques commentaires qui se veulent flatteurs sur l’origine ou l’âge des votants, et s’esclaffe de ses propres blagounettes.
Quand le flux d’électeurs ralentit, Mme X lance à la volée des bribes de sous-entendus à l’attention de ses collègues-collabos, et j’entends, par dessus mon épaule, leurs rires gras et complices. C’est l’heure du café et des croissants, mais la cheftaine ne m’en propose pas. Elle tient à bien me faire comprendre que je suis l’exclue, la paria, la « nauséabonde » et qu’on va me faire regretter mon outrecuidance d’être présente.
La journée fut longue, très longue ! Je suis partie ce soir-là en me disant avec amusement que j’avais assisté malgré moi à une scène de carnaval, unique moment de gloire et de consolation des petits qui se font grands et gras, des rejetons auto-proclamés rois et reines, des imbéciles qui se délectent en président d’un jour, des nullards déguisés en savants. Mme X est maintenant déchue, bien qu’elle rêve, j’en suis sûre, de son prochain couronnement éphémère qui ne saurait tarder, mais cette fois ce sera sans moi. Ce goût pour la très chic « nauséabond-ance », forte de ses fervents « followers », précieux ridicules qui se pincent le nez en signe de ralliement, aurait, je pense, en un autre temps, ravi Messieurs de Molière et de La Bruyère. ■