Par Jacques Léger.
L’un de nos amis marseillais qui a bien voulu nous confier en exclusivité le fruit de ses recherches sur l’épopée de la duchesse de Berry, mère du duc de Bordeaux, futur Henri V, plus connu sous son titre de courtoisie de Comte de Chambord. Une suite en 12 épisodes, du 25 avril au 7 mai – sauf dimanches. Le présent épisode termine cette suite historique.
Pendant que la Duchesse voguait vers la citadelle de Blaye, Deutz se présentait à Paris au ministère de l’Intérieur pour percevoir sa rançon. L’évènement a frappé les imaginations et a donné naissance à l’expression « avec des pincettes ». En effet, le secrétaire général du ministère, M. Didier, que l’on avait chargé de cette mission, se saisit des pincettes de la cheminée pour tendre à Deutz les deux liasses posées sur son bureau.
Victor Hugo exprima ses sentiments sur cette trahison dans un poème (Les chants du crépuscule) intitulé « À l’homme qui a livré une femme » :
O honte ! Ce n’est pas seulement cette femme,
Sacrée alors pour tous, faible cœur mais grande âme,
C’est l’honneur, c’est la foi, la pitié, le serment,
Voilà ce que ce Juif a vendu lâchement !
Ce n’est pas même un juif ! C’est un païen immonde,
Un renégat, l’opprobre et le rebut du monde,
Un fétide apostat, un oblique étranger.
… …
L’indignation de l’homme d’honneur éclate dans l’alexandrin final :
« Et Louvel indigné repoussera ta main ! »
Les légitimistes animèrent une campagne de presse pour dénoncer le traitement infligé à l’héroïne, voire à la martyre de Blaye, dont le point culminant fut la parution d’une plaquette de Chateaubriand se concluant par cette formule : « Madame, votre fils est mon roi ».
Commence ainsi à Blaye le dernier épisode. Pas de sa vie, car elle mourra vieille (1870), mais le dernier épisode de sa vie sur le sol français. Il aurait pu être le plus glorieux, celui d’une mère qui endure la prison pour avoir défendu les droits de son enfant.
Mais il va en être autrement. Marie-Caroline est logée au premier étage d’une maison dans la forteresse. Au rez-de chaussée, ses gardiens, qui disposent d’un système d’écoute au travers du plancher, notent des symptômes qui les alertent. Le général Bugeaud, qui commande Blaye, soupçonne une grossesse, vite confirmée.
Une petite fille, Anne-Marie-Rosalie, naît le 30 mai 1833 et, comme en 1820, la mère doit subir un accouchement quasi-public. Ce sont cette fois des magistrats que Bugeaud a fait venir pour dresser procès-verbal de la naissance.
A cet instant se produisit un ultime coup de théâtre : Marie-Caroline se déclara épouse en légitime mariage du comte Hector de Lucchesi-Palli domicilié à Palerme, gentilhomme de la chambre du roi des Deux Siciles, son frère. Et elle ajouta qu’il est le père de l’enfant.
Les apparences étaient sauves : Marie-Caroline n’est pas une fille-mère. C’est le maréchal de Bourmont qui lui a sauvé la mise, avec l’aide d’ecclésiastiques. Le comte Lucchesi-Palli, qui avait 8 ans de moins qu’elle, accepta de se dévouer pour la fille de ses rois, ce qui lui valut d’être surnommé le St Joseph de la légitimité. Un père jésuite accepta pour sa part de rédiger un acte de mariage antidaté du 14 décembre 1831 mentionnant expressément le caractère secret de l’union.
Nul ne sait qui était le vrai père, mais les historiens désignent Achille Guibourg, l’avocat séduisant et attentionné.
Cette naissance en tout cas privait Marie-Caroline de toute perspective politique. Elle ne représentait plus un danger pour le régime. C’est pourquoi on la libéra. Elle retrouva Palerme le 5 juillet 1833 où elle fit la connaissance de son époux.
Leur couple fut remarquablement heureux. La petite Anna mourut certes en bas âge mais elle donna à Hector 4 enfants, 3 filles et un garçon.
Il lui fallut toutefois attendre la mort de Charles X pour revoir Henri pour lequel elle avait tant combattu. Il avait alors près de 20 ans. Son destin est un autre roman. Il n’eut pas d’enfant et fut ainsi le dernier de la grande lignée. (Suite et fin) ■
© JSF Peut être repris à condition de citer la source
Remarquable et très vivante série historique ! Bravo à l’auteur.
Je me joins à Pierre Builly avec un même avis.
Idem : le récit est captivant et remarquablement bien exposé .