Par Hilaire de Crémiers.
Victoire à la Pyrrhus, a-t-on dit avec justesse. Elle annonce déboires et désastres.
Il n’est question que de restaurer la vie démocratique en France, de revigorer une République qui arrive aux limites de la défaillance mortelle. C’est à qui offrira les remèdes les plus efficaces : chacun se penche sur le lit de la pauvre malade, depuis les chefs de parti qui font de plus en plus dans la grandiloquence, surtout à gauche, jusqu’aux experts les plus diserts, des politologues les plus avisés aux devins les plus inspirés du journalisme patenté. Les « il faut » résonnent de tous les côtés, les « moi je pense que » jaillissent à flots continus de bouches qui prennent des allures grotesques à force de prétentions magistrales. Tous les commentateurs y vont de leurs analyses et de leurs propositions, la plupart – sinon toutes – totalement vaines – on le sait d’avance – puisque rien, mais absolument rien, n’aboutira à quelque résultat que ce soit, encore moins à une amélioration. L’objurgation répétitive n’a jamais créé l’événement salvateur. Ça se saurait et la chanson est connue depuis trop longtemps ! En France, de manière continue, depuis l’instauration des régimes du verbiage politicien.
Triste état de la France
La dégradation de l’état de la France est désormais inéluctable. Il suffit de lire un Guilluy pour en comprendre les motifs, corroborés par un Fourquet : elle en est au stade de la fracturation, de « l’archipellisation », concrètement et à brève échéance de la dissolution. La société française, telle que la révèlent les derniers résultats électoraux – la carte électorale est particulièrement parlante – est divisée, fragmentée, désagrégée autant que cloisonnée, opposée de mille manières, sociologiquement, politiquement, idéologiquement, moralement, juridiquement, religieusement et même statutairement. Le statut du citoyen diffère selon l’endroit de résidence. Diversité assumée désormais républicainement. Par un Macron lui-même ! Pire : il y a maintenant un haut et un bas de la société qui vivent en dissociation radicale, d’un côté un système élitaire qui se ferme sur lui-même, s’autoréférence en permanence et accapare les pouvoirs de domination, d’endoctrinement et d’enrichissement ; de l’autre côté un dispositif implacable de réduction, d’abaissement, de dispersion autant que de confinement, d’appauvrissement comme d’écartement de la classe populaire et qui atteint aujourd’hui l’ensemble de la classe moyenne qui tend à s’effondrer économiquement et socialement sur la majeure partie du territoire.
La sécession pratiquement actée, tant par les services publics que par les populations elles-mêmes, de zones entières qui relèvent d’autres règles et d’autres mœurs que celles de l’historique communauté nationale, ajoute au sentiment d’éclatement général et d’insécurité continuelle, pas seulement matérielle mais plus profondément encore spirituelle, morale, civilisationnelle. Inutile ici de rappeler des chiffres mille fois alignés et que ne contestent que les idiots utiles de la bienpensance officielle, puisqu’il ne saurait être question ne serait-ce que d’évoquer les drames de l’immigration.
Des Patrick Buisson, des Pierre Manent, des Alain Finkielkraut tentent de tirer des leçons de philosophie pratique d’une telle situation et ils sont loin d’être les seuls. Des Mathieu Bock-Côté, des Charlotte d’Ornellas, des Eugénie Bastié chroniquent quasi quotidiennement cette évolution, qui semble fatale, de la politique française, en pointant clairement les causes d’un désastre évident. D’autres encore avec force livres, articles, conférences. Naguère Zemmour. Michel Onfray à sa manière. Rien ne sert à rien. Sauf à éclairer et convaincre un public déjà éclairé et déjà convaincu. Aucun signal d’alerte sur le fond des problèmes ne fait bouger les lignes, pour reprendre l’expression chère aux stratèges en chambre. Le mal dénoncé ne fait qu’empirer.
Ce n’est pas seulement ce qui est appelé abusivement démocratie qui est abîmé, c’est l’organisation politique de la France qui est pratiquement remise en cause puisqu’une majorité de Français ne s’y retrouvent pas ou plus. La puissance publique qui devrait être à leur service, œuvre sur d’autres critères et pour des buts idéologiques qui échappent à leur préoccupation et même à leur compréhension. Les politiques publiques ne sont que des instruments entre les mains de ceux qui se sont emparés du pouvoir. En vue de le consolider. Le dysfonctionnement est tel qu’il crée un état de crise permanent : les Gilets jaunes en furent une manifestation. Entre autres. Le phénomène récurrent va ressurgir, plus violement encore, puisque le régime a choisi ce mode de fonctionnement où les intérêts du peuple français ne sont plus la raison d’être et le souci de ceux qui le dirigent. Ce n’est pas seulement le refus du référendum – somme toute secondaire –, c’est plus gravement la récusation même de la notion d’intérêt national.
Politique de destruction systématique.
Restent donc, dominant l’ensemble d’un peuple divisé et désemparé, ceux qui vivent et profitent du système en place. À leur tête, Macron et son équipe connue, souvent répertoriée dans ces colonnes : les Kohler, les Attal, les Beaune, les Séjourné, les Emelien, les Ferrand, les Solère, les Castaner, les Darmanin, les Borne, les Montchalin, les Le Maire, à qui s’agrègent au fur et à mesure tous ceux qui rêvent de pouvoir et de carrière – et ils sont nombreux à droite et à gauche de l’échiquier politique –, ce qui aboutit à occuper ainsi tout l’espace politique viable, tous ainsi liés par un pacte de gouvernement sans cesse renouvelé qui vise à dissoudre ce qu’ils appellent l’ancien monde, autrement dit la France dans ses caractéristiques immémoriales, pour faire avancer ce qu’ils appellent leur « projet », qui serait l’établissement d’un monde nouveau, ouvert, sans principe fixe autre que la globalisation nécessaire et cette compréhension supérieure qu’eux posséderaient, de la société idéale de l’avenir. D’où leur morgue ! D’où la destruction systématique des armatures de l’état d’hier, les corps intermédiaires, les grands corps d’état, préfets, ambassadeurs, rayés d’un trait de plume, haute fonction publique qui pourrait faire résistance, et mise à l’écart de tout ce qui peut représenter les familles traditionnelles, les corps de métier, les professions organisées, les territoires qui caractérisent la France. Il en est de même des mœurs, de la religion historique de la France, des conceptions philosophiques sur la vie, la mort, la jeunesse, la retraite, la vieillesse. Tout leur appartient comme dans « le meilleur des mondes ». Ce sont les « alpha plus » qui se doivent de régler le sort des « epsilon ». Masse anonyme qu’ils sont chargés de gouverner. Ils sont eux-mêmes la seule armature du régime qu’ils instaurent, eux, leurs réseaux, leurs raisonnements, leurs objectifs. Macron parle, parle encore, parle toujours. Ce qu’il dit est la loi. Donc ça existe, premièrement, deuxièmement, troisièmement et… indéfiniment. L’écologie, la santé, l’éducation, l’industrie, l’agriculture, surtout l’Europe, le monde. Rien n’échappe à sa vigilance et à sa sagacité. Le principe constitutif de son nouveau contrat social n’a plus rien à voir avec la défense de la France et des intérêts français. C’est sa vision personnelle du monde qui sert de principe fédérateur. La République est devenue une autocratie, non pas une monarchie dont la légitimité est le service public, mais un système à la fois monocratique et oligarchique, ce que les plus lucides des Français perçoivent avec effroi. Hélas, sans effet. Car leurs divisions ne font qu’ajouter à la confusion générale.
Où est le mal ?
Et si leur problème n’était pas précisément leur République, cette République dont ils se flattent, mais qui les divise constamment et qui ouvre le pouvoir comme nécessairement à cette caste qui les dirige pour leur malheur. Telle est la vérité qui devrait finir par leur éclater aux yeux. L’astuce consiste à leur faire croire qu’ils sont tous faits pour le pouvoir pour mieux le leur arracher afin de le réserver à ceux-là seuls qui s’en sont faits une profession et une carrière. Le reste est du baratin. À quoi ont donc servi tant de discours dont ils ont été abreuvés, tant de projets présentés comme des leviers de redressement, les Ségur de la Santé, les Grenelle de l’éducation, les grands « machins » de l’Environnement, les états généraux de tout et n’importe quoi, même de la presse, les conventions citoyennes, les administrations pléthoriques sur des objets illusoires ; à quoi s’ajoutent les Autorités, les Agences, les expertises de Cabinets de conseils… Franchement c’est se foutre de la France et des Français ! Tant de gaspillages !
Voilà donc un président dont chacun conviendra – et pas seulement Mélenchon – qu’il est plutôt mal élu, au regard de tant d’abstentions, de bulletins blancs et nuls et d’oppositions farouches qu’il est facile rhétoriquement de rejeter aux extrêmes. Concrètement Macron n’a l’adhésion effective que d’une minorité. Eh bien, il n’empêche qu’il trône ! Il n’est pas aimé ; il le sera de moins en moins. La situation peut devenir tragique ; il continuera dans sa voie, en s’illusionnant sur lui-même. Les élections législatives viendront dans un mois corroborer – mais toujours aussi mal – ce résultat. Question de système ! En dépit des agitations électorales des uns et des autres. Faut-il répéter que rien ne sert à rien ? Quelques députés ne changeront pas la donne et ils se lasseront vite d’un labeur impossible où ils seront marginalisés.
Il n’y a plus de pouvoir législatif. Pas un constitutionnaliste sérieux qui n’en convienne. Tout le pouvoir est concentré à l’Élysée. L’autorité judiciaire ne peut rien faire d’autre que de jouer l’importante et l’importune. Nos institutions n’existent plus. Tout est dans les mains de la macronie. Et de son chef. Il pense avoir ainsi réussi.
Mais les événements sont en train de le doubler. Les dangers extérieurs se profilent de plus en plus menaçants, tandis que la cohésion intérieure s’effrite, avant, sans doute, d’exploser. Macron peut faire semblant de rire comme le soir de sa victoire au Champ de Mars ; il a pourtant mille raisons de s’inquiéter. « Rira bien qui rira le dernier », dit le proverbe. Mais est-ce vraiment le temps de rire ? ■