Par Pierre Builly.
L’affaire du collier de la Reine de Marcel L’Herbier (1946).
Des perles aux pourceaux.
Non, non, la vérité historique est à peu près respectée, semble-t-il (avec toutes les réserves, les ambiguïtés, les failles, les partis-pris que ce terme de vérité peut contenir, dès qu’il s’agit d’Histoire) et, à mes yeux, la distribution est magnifique. Viviane Romance au premier chef, l’aventurière vénéneuse et catastrophique Comtesse de La Motte. Et comment se fait-il que cette actrice magnifique, qui était belle, bourrée de talent, séduisante, tentatrice toujours troublante ait vu sa carrière décapitée, ou presque, au lendemain de la guerre, alors même que son talent demeurait aussi exemplaire : Panique de Julien Duvivier en 1946, L’affaire des poisons d’Henri Decoin en 1955 et, comme un clin d’œil ironique du destin, une apparition fugace, aux côtés de Jean Gabin dans la délicieuse Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil en 1962.
Et j’ai trouvé aussi parfait Maurice Escande en Cardinal de Rohan, au jabot gonflé et à la prétention exaspérante, pourtant dupe ridicule des canailles qui ont fait survenir une de ces histoires manigancées qui ont sonné la fin de l’Ancien Régime.
Car il est tout à fait extraordinaire de voir comment la marche à la catastrophe apparaît marquée du sceau de l’inéluctable.
Qu’est-ce que c’est que l’Affaire du collier ? Une escroquerie qui aurait dû laisser intacte et même renforcer la réputation de Marie-Antoinette, son honnêteté et la décence de son comportement et qui a été paradoxalement une des raisons de la haine de la populace qui, quelques années plus tard, devant l’échafaud sanguinolent, jouira de voir une femme de 38 ans, mère de deux enfants, insultée et décapitée. En d’autres termes, il y a des moments, dans l’Histoire où les opinions, les ressentiments, les préjugés, sont si surchauffés, si exaltés que, quoi qu’on fasse, on fait mal.
Les Français de l’époque n’ont jamais admis le génial Renversement des alliances du 1er mai 1756, où, après plusieurs siècles d’animosité, la France et l’Empire se coalisaient contre la puissance montante de la Prusse. La Prusse qui, pour les philosophes et esprits forts de l’époque représentait à peu près ce que fut l’Union soviétique pour les mêmes philosophes et esprits forts trois siècles après. Frédéric II ou Staline représentaient pour ces intellectuels femelles une sorte d’idéal. Et donc, le scellement de la nouvelle alliance par le mariage du Dauphin Louis et de Marie-Antoinette a donné lieu presque d’emblée à une vague de mauvaise humeur, comme notre peuple en est tant coutumier.
Ajoutons à cela la multitude des intrigues qui secouaient Versailles et que le jeune Roi, savant, timide et trop bienveillant ne pouvait tenir, moins encore châtier comme son trisaïeul Louis XIV ou son grand-père Louis XV l’auraient fait. Et la faute majeure, majuscule, absurde du rappel des Parlements à qui Louis XV et le chancelier Maupéou avaient cassé les reins. Sous la mauvaise influence de ses tantes et de l’air du temps, Louis XVI les réinstalla le 25 octobre 1774, quatre mois à peine après son arrivée au pouvoir.
Et c’est bien eux qu’on voit, dans le film de Marcel L’Herbier, humiliant le Roi et la Reine au profit du boursouflé Cardinal de Rohan (Maurice Escande), viveur, débauché, malhonnête gredin, dupe ridicule de Cagliostro (Pierre Dux) et de la comtesse de La Motte (Viviane Romance), aventurière, fille de putain mais aussi, il est vrai, descendante d’un bâtard d’Henri II, de son mari Nicolas (Michel Salina), complaisant et joueur et de son amant Marc Réteaux de Villette (Jacques Dacqmine), proxénète, faussaire et gigolo.
Au fait, le film donne de Réteaux une image bien trop valorisante, celle d’un amoureux qui n’accomplit son forfait que par amour pour la Comtesse.
Mais il est vrai que Viviane Romance est si belle, si capiteuse, si séduisante, si délicieusement effrontée, si audacieuse, si tentante qu’on peut presque comprendre qu’elle bouleverse tous les cheminements. Il y a peu à s’étendre sur cette sorte de conspiration, d’escroquerie plutôt où une bande douteuse met dans sa manche un haut dignitaire, par ailleurs descendant d’une très grande famille grâce à une écriture imitée de la Reine et à la ressemblance troublante de Nicole (Monique Cassin) une petite prostituée du Palais Royal avec la Souveraine. Le somptueux collier (2842 carats !) dont les joailliers Böehmer (Pierre Palau) et Bassenge (Georges Saint-Pol) ne parvenaient pas à se débarrasser, est acquis par le cardinal de Rohan/Escande, complétement roulé dans l’affaire ; les pierres sont dispersées et le cardinal ridiculisé ; soit dit en passant il paraît que sa famille a remboursé jusqu’à 1884 (un siècle plus tard !) les descendants des joailliers : rare exemple d’honnêteté scrupuleuse..
On n’a sûrement pas tort de voir dans L’affaire du collier de la Reine une réalisation sans éclat, trop scolaire, trop appliquée. J’ajouterai que le film est trop conforme au côté anecdotique du scandale, peu sensible à son arrière-plan politique. Le Roi et la Reine ont souhaité, ainsi, un procès public, pensant que leur bonne foi en serait confortée ; c’était oublier la haine vive du Parlement de Paris pour la Royauté et sa volonté de l’abîmer.
Et cette histoire – au milieu d’autres – a été un des coups les plus forts donnés au Trône. Les fameux diamants de Bokassa donnés à Valéry Giscard d’Estaing n’étaient pas les premiers qui ont entraîné des chutes capitales. ■
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