Par François Marcilhac.
Dans une tribune (« Ni Dieu, ni Roy [sic] ») parue dans Libération* le 25 avril dernier le docte universitaire Johann Chapoutot s’en prend, au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron, à la constitution de la Ve République, qui aurait « transformé la France en aire de jeu pour personnalités rêvant de la “magistrature suprême”. Voulu par un vieux général patriarcal, le texte étouffe le débat et provoque une désaffection croissante à l’égard du suffrage. »
Tout cela est bien vite dit et, tout d’abord, on se demande bien ce que le patriarcat vient faire dans cette galère, si ce n’est pour servir, comme le poumon dans Le Malade imaginaire, de cause explicative générale, il est vrai très à la mode, surtout auprès du lectorat de Libé. Mais c’est d’autant plus comique que c’est ce vieux général patriarcal qui imposa le vote des femmes en 1944 à un pays légal républicain qui le refusait depuis toujours et qu’il est à peu près certain — je n’ai pas perdu mon temps à le vérifier —, que M. Chapoutout a dû signer quelque pétition d’universitaires invitant à voter, à la présidentielle, contre la seule femme qui avait quelque chance de l’emporter, par peur, évidemment, du retour des heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire.
Certes, on n’accusera pas M. Chapoutot d’être un intellectuel courtisan, puisqu’il qualifie immédiatement, sans le nommer, notre président réélu de « faux jeune » et de « fringuant archaïque », entre autres amabilités qui sont loin d’être injustifiées. Malheureusement c’est aussitôt pour tomber dans un concert convenu de louanges des démocraties parlementaires occidentales avec lesquelles, en raison même de notre constitution monarchique, notre pays trancherait, permettant à des demi-fous (nous résumons le propos de M. Chapoutot sans le trahir) « rêv[ant] et joui[ssant] de verticalité, de royauté et d’autorité » d’accéder à la « magistrature suprême », concept qu’il récuse, de fait, comme les premiers républicains au lendemain de la démission de Mac Mahon en 1879. « Car, en 1958, un général né en 1890, éduqué par des hommes issus de la droite maurrassienne, qui pleuraient le XVIIe siècle de Louis XIV, qui maudissaient la Révolution française, celle qui avait décapité le Roy [resic] et le royaume, revient au pouvoir. […] il lui fallait en finir avec la République parlementaire, qu’il abhorrait car elle était à ses yeux (comme à ceux de Pétain), responsable de la défaite de 1940. Il fallait un nouveau Roy [reresic] à la France, etc. », le reste est de la même eau.
Quand on sait que M. Chapoutot est né à Martigues…. comme Maurras, on se demande si l’esprit, malheureusement, n’a pas oublié d’y souffler le jour de sa naissance. Ce qui est le plus triste, ce n’est pas, au fond, qu’un homme né en 1978 rêve d’un retour à la IVe République — il peut y avoir également des « fringuants archaïques » parmi les sorbonicoles —, ce sont ces approximations et ces amalgames que devrait s’interdire un universitaire, même militant, car ils n’honorent pas l’intelligence. Oser prétendre que la Ve République n’est pas un régime parlementaire parce qu’elle en a fini avec le régime d’assemblée (cela s’appelle le parlementaire rationalisé), où des majorités de rencontre faisaient et défaisaient les gouvernements, est évidemment une contre-vérité manifeste. De même, attribuer à l’élection au suffrage universel l’augmentation de l’abstention est allé un peu vite en besogne puisque la participation à cette élection s’érode moins vite qu’aux autres scrutins, preuve que c’est précisément son caractère crypto-monarchique qui attire les Français.
Crypto-monarchique : tout est dit. Le retour au jeu stérile des partis, loin de régler les problèmes à la fois politiques et sociaux que dénonce à juste titre par ailleurs M. Chapoutot, ne ferait que les aggraver. C’est parce que les partis ont repris progressivement la main sur l’élection présidentielle, on peut le dire, dès le second tour de la présidentielle de 1965 (le ballotage de De Gaulle) que la scène politique est redevenue stérile. Le consensus européiste et oligarchique a fait le reste et fini d’étouffer le débat politique : voilà une cause plus probable de l’augmentation de l’abstention. Car à l’exception d’une « extrême-droite » en cours de normalisation avancée et d’une « extrême gauche » qui partage avec l’extrême-centre au pouvoir plus de points communs en matière sociétale, de communautarisme ou d’immigration, que de différences, on ne voit pas très bien ce que le débat politique entre des formations que rien n’oppose sur le fond pourrait apporter, tant que ce consensus mou prédominera.
Cette constitution, d’inspiration évidemment monarchique, était faite pour être transformée, au sens où, au rugby, on transforme un essai. Restée au milieu du gué, elle a surtout prouvé que les Français avaient épuisé toutes les formes de république possible depuis 1848, voire 1792. Ce que dénonce l’auteur de la tribune, c’est une caricature de monarchie, ce qu’est devenue la Ve République faute de n’être pas allée au bout de sa logique royale. La tête de l’État — mais il en est de même dans d’autres démocraties parlementaires dites occidentales — est aux mains d’intérêts surpranationaux et surtout impolitiques, au sens que Pierre-André Taguieff donne à cet adjectif, au profit de l’Europe et de l’OTAN. Si la Ve a jusqu’à présent réussi son pari sur la stabilité des institutions, en revanche, elle a dramatiquement échoué sur l’indépendance de l’État et le caractère arbitral de la magistrature suprême : l’affaire McKinsey en est une illustration sur le mode mineur. Alors qu’un roi serait, par définition, indépendant de toutes les groupes d’intérêt, puisqu’il n’aurait pas besoin d’eux pour arriver au pouvoir — il y est — au contraire, nous avons des présidents qui sont les hommes-liges des groupes puissants qui les ont portés là où ils sont. Mais ce n’est pas en décapitant l’État qu’on réglera le problème, à moins qu’on ne veuille retourner à une impuissance chronique. Au contraire, c’est en le couronnant. ■
Bravo, François ! Remarquable analyse polémique !