Par Pierre Builly.
Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat (1987).
Froid comme l’Enfer.
Comme je viens de relire le roman difficile et puissant de Georges Bernanos, je me suis demandé comment l’étrange Maurice Pialat avait pu transcrire à l’écran un récit aussi intense et si souvent centré sur les mouvements de l’âme, les événements extérieurs (le meurtre de Cadignan/Alain Artur par Mouchette/Sandrine Bonnaire, par exemple) n’étant presque que des marches qui permettent d’élever la réflexion et l’angoisse spirituelle.
On conviendra aisément que la démarche, rare en soi, n’est pas très aisée à relater au cinéma.
De fait, s’il y a un mince reproche à adresser au cinéaste, ce serait peut-être de déséquilibrer légèrement l’esprit de Bernanos, presque exclusivement centré sur la conscience de l’abbé Donissan (Gérard Depardieu) et de donner la part un peu plus belle que dans le livre à Mouchette et à l’abbé Menou-Segrais, Maurice Pialat lui-même. Impeccable au demeurant, impeccable de jeu, même si le Menou-Segrais du livre est moins ardent, moins brûlant, un peu endormi dans son confort intellectuel et matériel et se forçant littéralement à proposer à Donissan, qu’il n’aime pas vraiment, le seul chemin pour quoi son vicaire est fait : celui de la sainteté.
Ah, ah, la sainteté ! Voilà le mot lâché et qui n’est pas facile lorsqu’il touche ces hauteurs-là ! Comme il est difficile à comprendre, beaucoup plus que pour l’effusion de charité de Monsieur Vincent ou de L’abbé Pierre ou même pour l’amour brûlant de Thérèse ! Là où Dieu vous appelle, il vous faudra monter, monter ou vous perdre, dit Menou-Segrais à Donissan ; ce à quoi répondent, en sens inverse les confidences de Mouchette au docteur Gallet (Yann Dedais) sur le vertige de se laisser glisser… N’empêche que la difficulté de l’ascension est bien près de venir à bout du courage, de l’obstination de Donissan.
Les pages du combat du jeune prêtre et de Satan, sur la route de Campagne à Étaples, sont sans doute parmi les plus fortes et les plus graves de toute la littérature française ; je me demandais bien comment Pialat en ferait passer la violence et la dureté. La tentation du désespoir de Donissan dépasse sa propre personne : l’astre noir semble s’être emparé du monde et sa victoire ne paraît pouvoir être empêchée que par quelques hommes, sentinelles et citadelles. L’effroi de Donissan ne se comprend que si l’on a en tête qu’il a peur d’être moins fort que le Démon et de laisser désarmé un créneau de combat, alors qu’il sait qu’il a été choisi par Dieu pour être un soldat d’élite.
Le travail de la Grâce qui fait de Donissan, être fruste, médiocrement doué, après son entretien avec son Supérieur un prêtre qui fait céder peu à peu ses propres limites, au point où Satan s’en aperçoit, s’intéresse à lui et tente de l’anéantir, n’est pas chose facile à montrer : Maurice Pialat, au prix d’ellipses qui demandent, de fait, un effort du spectateur, parvient à en faire saisir le lent difficile cheminement. Voilà un film qui exige qu’on n’y baisse pas une seconde l’attention sous peine de s’y retrouver perdu.
Maurice Pialat est un peu plus rude que ne l’est le Menou-Segrais du livre, mais il s’impose pourtant lumineusement. Il y a longtemps que je tiens Sandrine Bonnaire pour la plus grande actrice de sa génération ; elle avait 20 ans lorsqu’elle interprétait Mouchette, puérile, naïve, révoltée, soumise, pervertie, désespérée, généreuse et elle a joué tout cela avec une finesse merveilleuse. Gérard Depardieu s’imposait comme une évidence. Une mention d’admiration pour Jean-Christophe Bouvet, Satan, maquignon des âmes, absolument semblable à la banalité du Mal.
Lumière grise, mouillée de l’Artois. Sensation de froid intense durant tout le film. L’Enfer, n’est-ce pas ? ■
DVD autour de 13 €…….
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