Par Rémi Hugues.
Ce dossier consiste en une suite de 7 parties – dont celle-ci – qui seront publiées dans les jours qui viennent. Elles seront ultérieurement réunies en un document unique pour consultation.
LʼEnquête sur la monarchie n’existe pas. C’est par cette entrée en matière un brin provocante quʼil paraît nécessaire de présenter ce qui est plus un titre quʼun essai, tant les versions ont été nombreuses, au gré des desiderata des éditeurs.
Lʼédition originelle a été publiée non sous forme de monographie, mais de feuilleton, dans la Gazette de France, il y a 120 ans, de juillet à novembre 1900.
Puis se sont ajoutées à ce qui est, comme son titre lʼindique, une enquête – et qui nʼa donc rien à voir avec un ouvrage de type universitaire exposant un raisonnement dont les articulations seraient fondées sur la méthode de la dissertation classique –, présentations, préfaces, lettres de réponse, textes additionnels, comme « Dictateur et roi », publié trois ans plus tard, le 1er août 1903.
LʼEnquête est donc un « O.L.N.I. », un objet littéraire non identifié. Ce qui nʼenlève, bien évidemment, rien à ses mérites. Elle est un truchement particulièrement performatif pour celui qui cherche à convaincre autour de lui que le retour du Roi est pour la France un impératif de salut public, une nécessité sociale et politique.
LʼEnquête est dʼabord une apologie du principe dynastique, élément consubstantiel à la royauté.
Elle explique en outre avec lucidité et dans un esprit de synthèse ce qui a précipité sa chute.
Troisièmement, elle est un réquisitoire contre un système qui existait déjà en 1900 et qui dure toujours, la démocratie libérale.
Ensuite, elle étudie les rapports entre monarchie et socialisme, apportant de précieux renseignements en matière dʼhistoire des idées politiques, renseignements nécessaires afin de briser le néfaste dualisme gauche / droite, qui dʼailleurs est de moins en moins opérant, pour ne pas dire moribond.
Enfin, LʼEnquête revêt une dimension purement heuristique : cʼest aussi une leçon dʼépistémologie de sociologie historique, qui souligne que la famille est cruciale comme instance de détermination du changement social et politique, proposant une alternative au débat qui oppose les tenants de lʼhistoire-faite-par-les-grands-hommes contre ceux de lʼhistoire-faite-par-les-masses.
Cette étude vise à permettre au lecteur royaliste pressé de revenir aux fondamentaux de la pensée de Charles Maurras, de revenir sur les arguments cardinaux que ce dernier a développés pour justifier sa conversion profane au régime dʼavant 1789, sa rupture avec la Révolution et sa « religion républicaine » dont parlait le journaliste dreyfusard Joseph Reinach, sa sortie dʼune « matrice » qui illusionne 120 ans plus tard toujours autant de monde.
I. Les Capétiens, ou lʼillustre Maison de France
Soyons honnêtes : à lʼorigine, la naissante monarchie française est une affaire de grand remplacement. De grand remplacement non par la masse, par la base, mais par le haut. Aux élites politiques résultées dʼune hybridation entre lʼenvahisseur romain et lʼautochtone gaulois se sont substituées une race conquérante venue des Bouches-du-Rhin. En France, référence mondiale de la gastronomie aussi bien que de lʼart de lʼéloquence, tout est histoire de bouches. Plus tôt, le christianisme sʼétait introduit à partir dʼautres bouches, celles du Rhône.
Les Francs, via Clovis, adoptèrent la religion nouvelle, et purent faire souche au sein de ce pays dont on dit parfois quʼil est au Nouveau Testament ce que la Judée fut à lʼAncien. Ce qui expliquerait pourquoi nous sommes une nation dʼécrivains.
Dont Charles Maurras : qui, au lieu de traiter de lʼensemble des familles royales franques, insiste sur la monarchie capétienne. Ainsi note-t-il : « Parce que les Caroligiens nʼassuraient pas la sûreté du territoire et des populations contre Bulgares et Normands, ils cédèrent la place à nos Capétiens. Parce que les Capétiens protégeaient efficacement, lʼonction du sacre est logiquement venue sur leur front. »[1] Une lutte interne opposait ces élites franques, ce qui nʼest pas sans rappeler la théorie de Vilfredo Pareto, à laquelle se confronte la vision pré-marxienne du comte Henri de Boulainvilliers et dʼAugustin Thierry, qui pose que le conflit central résidait entre Francs et Gaulois.
Cʼest au fond peut-être par une double dialectique (élites établies / élites de remplacement et gouvernants / gouvernés) que ce « grand dessein territorial et national »[2] quʼest la France est né. Et Maurras de convoquer son grand ami, si ce nʼest son grand frère, ou même son mentor, Frédéric Amouretti, avec qui il partageait, dit-il, cet avis :
« Citoyens, on vous a raconté que nos rois étaient des monstres : il y eut parmi eux, c’est vrai, des hommes faibles, peu intelligents, plusieurs médiocres, débauchés, et peut-être deux ou trois méchants. Il y en eut qui fussent des hommes remarquables, la plupart furent des hommes d’intelligence moyenne et consciencieux. Regardez leur œuvre : c’est la France. »[3]
Une telle approche conséquentialiste amène à sʼinterroger sur les raisons de la réussite évoquée, de la grandʼœuvre accomplie. Cela est son corollaire.
Le premier grand mérite du principe dynastique, dʼaprès Maurras, est sa capacité à dégager une élite – au sens fort du terme, cʼest-à-dire légitime –, qui doit être la véritable force motrice de la nation. Sans monarchie, pas dʼaristocratie : « Ainsi le mode de gouvernement qui, à première vue, semble exposer le peuple au hasard du règne incapable est le seul qui lʼen délivre le plus souvent… […] Le monarque héréditaire nʼa pas science infuse des hommes et des choses, ni sens infus de lʼart du gouvernement : il est le mieux placé pour sʼentourer des hommes qui possèdent ce sens et cette connaissance, sʼil nʼest pas le plus mal placé pour recevoir de la nature ou pour obtenir de la tradition et de lʼéducation quelques-uns de ces dons précieux. »[4]
Ainsi Maurras considère que la fonction sociopolitique du Roi est la suivante : « Son véritable office propre est de convier lʼélite de sa génération à collaborer avec lui pour un progrès dans lʼordre qui obtienne lʼassentiment pratique de la quasi unanimité du pays. »[5]
La fonction sociopolitique du Roi selon Maurras : « Son véritable office propre est de convier lʼélite de sa génération à collaborer avec lui pour un progrès dans lʼordre qui obtienne lʼassentiment pratique de la quasi unanimité du pays. »*
Les électeurs, quant à eux, sont incapables dʼassurer aux meilleurs de chaque génération lʼobtention de lʼéminente place qui leur revient. Il est plus aisé de prodiguer une instruction de haute qualité à un seul homme plutôt quʼà tout un peuple.
Maurras écrit : « Bien rares ont été ceux qui nʼont fait quʼun saut du berceau au trône. Si le hasard de la naissance semble mettre la couronne à la loterie, ni plus ni moins que le hasard de lʼélection, une préparation peut être donnée à lʼhéritier par lʼéducation : est-ce que lʼélecteur la reçoit ? Et lʼhéritier apporte, sans avoir à lʼapprendre, cette connaissance expresse ou diffuse, cette tradition, quʼil reçoit de ses parents et de lʼatmosphère de sa famille. »[6]
Ici est souligné que lʼinstance de socialisation primaire la plus décisive en ce qui concerne la transmission du savoir est la famille, et non lʼécole. ■ (À suivre, demain et les jours suivants)
* NDLR : L’impératif de l’assentiment – ou consentement – populaire est ainsi loin d’être ignoré par Maurras. Pierre Boutang le reprendra ensuite dans son essai de définition du concept de légitimité. (Reprendre le pouvoir, 1977).
[1] Charles Maurras, Enquête sur la monarchie, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1925, CVIII.
[2] Ibid., p. XCVIII.
[3] Ibid., p. XCV.
[4] Ibid., p. XCIV.
[5] Ibid., p. CXXVII.
[6] Ibid., p. XCVI.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
Publié le 18 août 2020 – Actualisé le 3 juin 2022
© JSF – Peut être repris à condition de citer l
Merci, édifiant !
Vivement la suite et une édition de cette analyse et des textes.
🙏
« Son véritable office propre est de convier lʼélite de sa génération à collaborer avec lui pour un progrès dans lʼordre qui obtienne lʼassentiment pratique de la quasi unanimité du pays. »
Définition maurrassienne à l’opposé absolu de la célèbre « maxime » de Thiers : « La république est le régime qui nous divise le moins » … maxime qui a garanti, pendant des dizaines d’années, le pouvoir de la Bourgeoisie, USURPATRICE de la monarchie, dans le cadre républicain …
A quoi on peut ajouter en qui concerne les faiblesses de l’électorat, sa totale perméabilité aux injonctions médiatiques. Résultat , on peut se retrouver avec à la tête du pays une personne élue par une minorité d’inscrits et capable de nuire sans contrôle à ses fondamentaux. Ce qui ne risque pas d’arriver, par principe, avec un roi.