Par Antoine de Lacoste.
Le sultan n’a pas l’intention de laisser passer l’occasion.
Alors que le monde entier a les yeux rivés sur l’Ukraine, Erdogan a annoncé le prochain lancement d’une opération militaire en Syrie. Les plans ont même été présentés au conseil de sécurité qui les approuvés le 26 mai.
La Turquie occupe déjà, dans l’indifférence générale, la province d’Idleb au nord-ouest ainsi que les environs d’Affrin dans la continuité d’Idleb et enfin une bande de territoire au nord prise aux Kurdes en 2019 (une conquête appelée « Source de paix »… Entre cette bande et Affrin, les Kurdes se sont installés avec l’accord de la Syrie. Le projet d’Erdogan consiste à relier ces territoires puis à s’étendre vers l’est jusqu’à Qamishli afin de chasser l’ensemble des forces kurdes tout à fait à l’est de la Syrie où des troupes américaines sont présentes (en toute illégalité bien entendu).
Lors de la dernière intervention turque, les Américains avaient abandonné leur allié kurde et laissé les mains libres à Erdogan dont le poids dans l’OTAN est trop important pour se fâcher avec lui. Ce sont les Russes qui avaient arrêté les ambitions turques : ils étaient alors les maîtres absolus du jeu. Erdogan avait dû s’incliner et interrompre la progression de ses troupes tout en conservant le terrain conquis.
Mais les rapports de force évoluent avec la guerre en Ukraine. Les Russes ont envoyé sur le champ de bataille une partie de leurs soldats stationnés en Syrie et ne comptent de toutes façons pas s’opposer militairement à Erdogan.
Les objectifs du sultan sont clairement affichés. Il veut tout d’abord chasser les Kurdes présents sur sa frontière, y compris de Kobané où les troupes kurdes avaient repoussé les combattants de Daech à l’issue de combats sanglants en 2014-2015. L’appui aérien américain avait permis la victoire mais il est vrai que les fantassins kurdes s’étaient courageusement comportés.
Pour la Turquie ce sont des terroristes regroupés autour du PKK, ce parti qui veut obtenir l’autonomie kurde en Turquie. C’est d’ailleurs à cause de ce sujet qu’Erdogan bloque l’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande coupables d’avoir accueilli (surtout la Suède) de nombreux militants du PKK, parti interdit en Turquie et très actif en Irak et en Syrie.
Puis, une fois les Kurdes chassés, l’idée est d’installer à leur place une partie des réfugiés syriens présents sur le sol turc. Le chiffre d’un million a été évoqué. Les Syriens ne voient pas cela d’un bon œil car il y aura certainement nombres d’islamistes parmi eux, mais sans l’appui russe ils ne pourront pas faire grand-chose.
Une autre raison, non avouée, tient à la situation intérieure turque. La crise est plus profonde que jamais et avec une inflation à 70% le pouvoir d’achat de la population s’effondre. Le mécontentement est profond et une opération militaire réussie permettrait de faire jouer la corde nationaliste, toujours très forte en Turquie.
Les élections de juin 2023 s’annoncent difficiles et, malgré répression et intimidations, l’opposition qui a conquis Istanbul et Ankara aux dernières élections municipales se sent pousser des ailes.
Les Américains ont fait part de leur préoccupation à la suite des annonces d’Erdogan. Ils ne bougeront donc pas si l’opération a lieu. Car l’ennemi, c’est la Russie, pas la Turquie et tant pis pour les alliés kurdes. ■
Antoine de Lacoste
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