Par Rémi Hugues.
Ce dossier consiste en une suite de 7 parties – dont celle-ci. Les suivantes seront publiées dans les jours qui viennent. Elles seront ultérieurement réunies en un document unique pour consultation.
Le parlementarisme nʼest quʼune façade, lʼattrape-gogos qui est là pour laisser croire aux catégories de gens les plus naïfs que la démocratie fonctionne, quʼelle est véritablement un moyen pour le peuple de se gouverner lui-même.
Maurras a la bonne idée de nous livrer les opinions politiques de lʼimmense Honoré de Balzac sur le parlementarisme. Dans « Du gouvernement moderne », paru le 1er décembre 1900 dans la Grande Revue, ce dernier remarque que le parlementarisme « ne sortira jamais de ce dilemme, cruel pour les résultats que certains esprits attendent :
Ou la nation sera soumise pendant longtemps au despotisme dʼun homme de talent, et retrouvera la royauté sous une autre forme, sans les avantages de lʼhérédité ; ce seront des fortunes inouïes quʼelle payera périodiquement. Ou la nation changera souvent de ministres. Et alors, sa prospérité sera physiquement impossible, parce que rien nʼest plus funeste en administration que la mutation des systèmes.
Or, chaque ministre a le sien, et il est dans la nature que le plus médiocre ait la prétention dʼen créer un, bon ou mauvais. […] Il arrive au pouvoir en voyageur, se tire de peine par un emprunt, grossit la dette et sʼen va souvent au moment où il sait quelque chose de la science gouvernementale… »[1]
Comme lʼun des autres maîtres incontestés de la littérature française, Charles Baudelaire ne goûtait guère aux chimères de la démocratie libérale et parlementaire, qui « dérive », soutient Maurras, « de la ʽʽrévolution bourgeoiseʼʼ de 1789 »[2].
Ce quʼil y a de commun en outre entre ces artistes contre-révolutionnaires et le Maurras de LʼEnquête sur la monarchie, cʼest le souci accordé à la Justice sociale. À lʼépoque de sa rédaction, cʼétait sans aucun doute lʼenjeu politique surdéterminant. Cet ouvrage est aussi lʼoccasion de réfléchir à la question du rapport entre royalisme et socialisme.
IV Royalisme et socialisme
Dans la préface de 1909 à LʼEnquête sur la monarchie, Maurras ne manque pas de rappeler « les jeunes pensées anarchistes ou socialistes qui composaient le premier groupement de lʼAction française »[3].
Ailleurs il loue La Cocarde de Barrès, « délicieux et merveilleux petit journal révolutionnaire » où « royalistes, bonapartistes, socialistes, anarchistes y fraternisaient »[4].
Le socialisme fut dʼabord une réaction au triomphe du monde marchand, et de son corollaire, lʼindividualisme. Cette réaction produisit une volonté nouvelle, celle de recréer le lien social, qui était affecté par un délitement. Or pour cela il fallait identifier la raison profonde de cette cassure : la prise du pouvoir du paradigme des Lumières, autrement dit de la pensée libérale et démocratique.
Mais il connut une transformation importante lors de lʼaffaire Dreyfus, sous lʼégide de Jean Jaurès. Ce dernier voyait dans la République le régime naturel du socialisme, la structure institutionnelle idoine pour la démocratie, les deux dʼaprès lui devant aller de paire.
Maurras signale que Jaurès était bien seul à développer cette vision à lʼintérieur de sa famille politique.
« Quand le socialiste autrichien Kautsky remarqua, en 1903, que dans aucun pays il nʼa été répandu plus de sang ouvrier que dans la République française pendant les douze dernières années, nos journaux les plus avancés lʼapplaudirent étrangement.
Lʼannée suivante, au Congrès dʼAmsterdam, M. Jaurès qui présentait la défense de la République eut à souffrir un martyre cruel. ʽʽDans une certaine mesureʼʼ, lui disait Bebel, ʽʽje dois être lʼavocat de la Monarchie contre vous… La Monarchie ne peut sʼengager à fond dans la lutte de classe. Elle doit compter avec le peuple. Dans toutes les républiques, on constate lʼintervention des troupes pendant les grèves.
Le gouvernement français est lui aussi un gouvernement de classe.ʼʼ Lʼavocat de la République dut quitter cet âpre terrain des faits et se réfugier dans lʼapologie des mobiles démocratiques. Cette confusion de la politique et de la morale ne tourna point à lʼavantage de la thèse : si M. Jaurès invoquait la majesté du suffrage universel, ʽʽvous le tenez de Bonaparte ʼʼ, ripostait Bebel ; si lʼorateur célébrait la vertu de sa forme républicaine, ʽʽvous la tenez de Bismarck, qui a fait votre empereur prisonnierʼʼ, répondait lʼimplacable Germain.
Au surplus, M. Jaurès croyait-il beaucoup nuire à la Monarchie en alléguant quʼelle tendait au bien du peuple non par amour, non par devoir, mais ʽʽpar égoïsmeʼʼ, par ʽʽégoïsme intelligentʼʼ ? »[5]
Parmi les socialistes français, le grand rival de Jaurès, Jules Guesde, ne partageait pas non plus son inclination républicaine. Maurras note : « Lʼintervention de M. Guesde montra que son groupe était aussi étranger que la Social-Démocratie allemande aux sentiments républicains de M. Jaurès : ʽʽEn quoi, je vous le demande, la forme républicaine sauvée avancerait-elle lʼaffranchissement du prolétariat ? Quand vous aurez sauvé la République, vous nʼaurez rien fait pour le prolétariat. Si, pour elle, celle-ci doit abandonner ses intérêts propres chaque fois quʼelle est en danger, la République est le pire des Gouvernements.ʼʼ »[6]
Le néoroyalisme de Maurras nʼest pas réactionnaire – dans le sens de réaction bourgeoise et nobiliaire face aux masses ouvrières – mais entend réinstaurer le règne de la Justice sociale – ce syntagme étant de Louis XVI – de façon conséquente. Et, étonnamment, Maurras voit d’un bon œil le socialisme radical, appelé syndicalisme-révolutionnaire. Ou en tout cas il le préfère au socialisme modéré – ou social-démocratie – quʼil voue aux gémonies. ■ (À suivre, demain)
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
Publié le 24 août 2020 – Actualisé le 7 juin 2022
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Merci, c édifiant et pour moi , totalement nouveau, merci de cet éclairage