Par Rémi Hugues.
Ce dossier consiste en une suite de 7 parties – dont celle-ci. La suivante et dernière sera publiée les jours qui viennent. Elles seront ultérieurement réunies en un document unique pour consultation.
Ainsi Maurras regarde avec bienveillance le mouvement anarcho-syndicaliste, mettant en lumière que cette « école nouvelle, représentée par MM. Georges Sorel et Hubert Lagardelle, a déployé beaucoup dʼénergie et dʼesprit de suite à renouveler, à vulgariser les anciennes critiques de Proudhon et de Marx, de MM. Lafargue et Guesde à lʼégard de la ʽʽrévolution bourgeoiseʼʼ de 1789, de laquelle dérive le parlementarisme français.
La même école aura rendu tout à fait sensible lʼopposition qui existe entre le régime syndicaliste, établi sur un intérêt social commun, et le régime démocratique, fondé en droit sur la volonté ou lʼopinion de lʼindividu. Les rapides progrès du mouvement syndical ont charrié et propagé avec ce sentiment les idées les plus hostiles à la démocratie.
Celle-ci est traitée en ennemie profonde. Le parti au pouvoir, bien qu’étiqueté radical-socialiste et recruté parmi dʼanciens profès du socialisme, était en outre obligé de défendre à coup de fusil les lois des Chambres élues et les décisions des bureaux centralisés contre lʼoffensive des syndicats confédérés.
Aussi les conducteurs de la masse ouvrière font-ils un pas de plus. Ils ne sʼen tiennent plus à viser le régime et le personnel du Parlement ou la législation démocratique. Ils dédaignent presque les hommes contre lesquels sʼéleva le plus de colères dans le monde des syndiqués, M. Clemenceau ou M. Briand : les plus révolutionnaires dʼentre les ouvriers parisiens ont pendu à la fenêtre de la Bourse du Travail le buste de la République elle-même.
Cette exécution mémorable, qui eut lieu place du Château-dʼEau, le lundi 3 août 1908, commençait la séparation des masses révolutionnaires et de lʼÉtat républicain. Elle renfermait ainsi des promesses que les événements nʼont pas cessé de tenir depuis. Pas une crise sociale qui nʼait accusé et confirmé, dʼun mois à lʼautre, cette haine raisonnée de la classe ouvrière contre le régime ; pas un conflit économique qui nʼait fini par mettre en cause les désordres dont ce régime est lʼexcitateur.
Or, par une coïncidence digne dʼadmiration, cʼest depuis le même temps quʼune fière jeunesse recrutée dans toutes les classes du pays se passionne pour les idées de la Monarchie et se dévoue à les répandre. Le groupe-né des Camelots du Roi y met tant de résolution que, en peu de mois, du Quartier latin pris pour centre aux extrémités du territoire, presque toutes les réactions du patriotisme ont eu lieu au cri de ʽʽvive le Roi !ʼʼ »[1]
Ces deux mouvements dont il observe le déploiement synchronique sont pour Maurras convergents. Les forces de la jeunesse et les forces du travail ont vocation à se rassembler et ce qui en découlera est la monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée. Cʼest en filigrane lʼesprit du Cercle Proudhon qui se dessine.
Au lieu de le voir comme une force dissolvante, Maurras conçoit le syndicalisme comme un embryon de corporatisme moderne. Et le « Grand Soir » que Sorel et les siens appelaient de leurs vœux nʼest plus tellement craint par Maurras, car il le comprend désormais comme relevant du mythos, et non comme le risque dʼun chaos futur. Il jugeait que Sorel sʼétait aperçu que pour mobiliser de la meilleure manière possible les masses il faut atteindre les inconscients collectifs.
Et par conséquent sa Révolution nʼest pas une fin mais un moyen, une image, un symbole : elle est un instrument visant à atteindre la « psychê collective » (Carl G. Jung) des travailleurs.
À cet égard, le mythe du « Grand Soir » peut être interprété comme une sécularisation des espérances eschatologiques dans le venue du Paraclet, du Christ-Pantocrator destiné à être le maître dʼun monde dʼoù tout Mal sera chassé, dʼoù toute servitude sera extirpée. En somme où la Justice régnera pour lʼéternité.
Commentant le chapitre XV de la Genèse, Saint Augustin écrivit que « la persécution de la cité de Dieu, telle quʼil nʼy en eut jamais auparavant et qui est espérée pour le règne futur de lʼAntéchrist, est représentée par lʼépouvante pleine de ténèbres dʼAbraham au moment du coucher du soleil, cʼest-à-dire aux approches de la fin du siècle ; de même, au coucher du soleil, cʼest-à-dire à la fin même du siècle, la flamme signifie le jour du Jugement, le jour de la séparation entre les hommes charnels qui doivent être sauvés par le feu et ceux qui doivent être damnés dans le feu. »[2]
On retrouve dans cette expression de « Grand Soir » un contenu apocalyptique, comme le souligne Gershom Scholem : « LʼApocalypse, chargée comme elle lʼest dʼune profonde haine des gouvernants de la terre et de la prostituée de Babylone – à savoir lʼEmpire romain – devint lʼun des livres les plus révolutionnaires de lʼhistoire de la littérature. »[3]
Revenons à quelque chose de plus profane : sʼil sʼagit dʼanalyser du point de vue sociologique ce qui distingue fondamentalement royalisme (tel que Maurras le construit en tant que système de pensée politique) et socialisme, on en arrive à lʼidée selon laquelle que celui-là met au pinacle une instance de socialisation secondaire – le monde du travail –, pendant que celui-ci érige une instance de socialisation primaire – la famille – en point primordial de la vie sociale et du moteur qui oriente les évolutions de celle-ci.
LʼEnquête contient effectivement une réflexion très poussée sur le rôle de la famille dans les affaires politiques.
V. ne sociologie politique de la famille
Pour conclure cette étude, nous nous intéressons à lʼimportance que revêt le principe dynastique dans le cadre du discours encomiastique du royalisme présenté par Maurras dans LʼEnquête.
On lʼa vu, avec la tradition, lʼantiparlementarisme et la décentralisation, lʼhérédité est lʼun des quatre piliers du modèle monarchique tel que Maurras le façonne dans ledit ouvrage. Et ce qui est le lieu de lʼhérédité, cʼest la famille. ■ (Suite et fin, demain).
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
Publié le 25 août 2020 – Actualisé le 8 juin 2022
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Très intéressantr série. Je la suis avec sérieux et plaisir. Merci !