Par Philippe Mesnard.
Élisabeth Borne l’avait déclaré solennellement : « Je ne mentirai pas aux Français » (JDD, 21 mai 2022). Très sagement, elle ne s’était pas engagée pour Gérald Darmanin, ni pour aucun autre ministre de son gouvernement.
C’était sage car Gérald a menti, et Amélie Oudéa-Castéra (qui ? Mais si, la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques) avec lui, en accusant les supporters anglais d’être responsables de la pagaille du samedi 28 mai, finale de la Ligue des champions entre le Real Madrid à Liverpool au Stade de France. Il n’est pas certain que la parole ministérielle ait beaucoup de poids dans la balance où on jettera les témoignages des journalistes étrangers, des policiers anglais venus en observateurs et des supporters anglais se filmant agressés par des voyous du 93 et gazés par des policiers français, soigneusement dressés par le préfet Lallement à lacrymogéniser les paisibles et à laisser filer les violents. La France a fait la preuve mondiale de son incompétence sécuritaire et de son incroyable talent à mentir. Nul doute que le préfet gazier et le ministre fabulateur seront félicités pour leur fermeté, confirmés dans leurs postes et lavés de tout soupçon par l’éventuelle commission d’enquête parlementaire, aussi efficace dans l’absolution que le déontologue de l’Assemblée nationale, qui n’a jamais réussi à se faire une mauvaise opinion des députés qui assomment leurs opposants, battent leurs femmes, fraudent le fisc ou mordent les chauffeurs de taxi. Élisabeth Borne ne nous mentira pas, elle laissera tous les autres ministres et tous les représentants le faire à sa place.
Seul bémol, les CRS n’ont pas réussi à empêcher les médias étrangers de filmer
Pourquoi mentirait-elle, d’ailleurs ? Elle vit désormais dans une réalité alternative où Macron, président qui nous a sauvés de la peste en détruisant l’hôpital public, va nous sauver de la guerre (ou nous y plonger, on ne sait pas, mais ce sera bien) en adoptant la politique belliciste des États-Unis tout en redressant la France, qui n’a jamais été aussi endettée grâce à ses décisions, avec le soutien enthousiaste des Français, qui ne votent plus et expriment en permanence leur méfiance, leur déception ou leur dégoût. Odoxa nous révélait, dans les derniers jours de mai, que « 65 % des Français estiment que ce gouvernement ne leur donne pas confiance dans la politique que mènera Emmanuel Macron et 56 % ne pensent pas que ce gouvernement mérite de disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale pour mener à bien ses projets. » Croyez-vous que cela empêchera le parti présidentiel d’avoir la majorité à la Chambre ? Non. Et pensez-vous que l’appauvrissement général des Français sera reconnu par le nouveau gouvernement, qui regrettera les décisions prises par le précédent ? Non. Élisabeth Borne n’a pas besoin de mentir, il lui suffit de décrire ce pays rêvé qu’elle dirige, cet univers parallèle où des supporters anglais qui ne sont ni supporters ni anglais volent en plein jour des touristes étrangers sous les yeux de policiers affairés à gazer les buveurs de bière attablés en terrasse pendant que la préfecture de police se félicite d’une opération de maintien de l’ordre aussi réussie ; seul bémol, les CRS n’ont pas réussi à empêcher les médias étrangers de filmer la manière dont la police française frappe des innocents, les asphyxie et les jette au sol. Mais si ces images existent, vous les interprétez mal. Repentez-vous.
Les gens n’ont même plus le courage de se révolter
Pendant ce temps, les Français qui ne vivent pas dans cette Cocagne marcheuse crèvent à petit feu. Le Crédit municipal de Rennes a vu les demandes de prêt sur gage augmenter de 17 % en un an (Ouest-France, 18 mai 2022). « Cela m’est arrivé de faire des prêts de 8 € pour un sandwich ou un paquet de cigarettes », dit son responsable, qui n’a pas dû saisir que le bon président Macron était le président du pouvoir d’achat. Certains produits ont déjà augmenté de 10 %. Sabrina, cliente de l’Intermarché de Saint-Amand-Montrond, mère de cinq enfants, explique qu’elle est passée des raviolis au cassoulet. Pourquoi ? « Les raviolis que je laisse aux enfants quand je ne suis pas là sont passés à 2,70 euros. Je n’en ai pas pris. J’ai pris du cassoulet [à 2,80 € la boîte] parce que mes enfants aiment moins ça. Ils mangeront juste ce qu’il faut, sans se resservir par gourmandise. » (franceinfo, 19 mai). Voilà où en sont les Français. « C’est autre chose que les gilets jaunes, commentent les gérants du supermarché. Les gens n’ont même plus le courage de se révolter. » Les électeurs de Macron ne nourrissent pas leurs enfants avec une boîte de cassoulet à 2,80€ en espérant qu’il en reste. Ils mangent copieusement tout en exigeant que les démunis travaillent gratuitement et en souhaitant que l’État finance leurs euthanasies confortables. Le préfet Lallement et ses compères seront chargés d’étouffer les cris de ceux qui meurent de faim, de froid, de misère et de solitude, et Élisabeth continuera, imperturbable, à parler vrai aux vrais Français, ceux qui votent Macron. ■
Article paru dans Politique magazine.
Elle ne mentira pas puisqu’elle ne dira pas la vérité.