Quand Didier Desrimais s’empare d’un sujet, l’information fuse, se cumule, se construit, et finit par former en relativement peu de lignes, une analyse méthodique qui dit et transmet l’essentiel, ce qu’il convient d’en savoir et d’en penser. C’est fort utile pour qui aime ou plutôt veut comprendre mais avec nuances, mesure et exactitude. Ici, il s’agit de l’effondrement de notre langue comme prélude de la barbarie. Les lecteurs de Mistral en particulier savent l’importance existentielle de sa langue pour la survie en tant que tels d’un peuple et de sa civilisation. Malheureusement absorbées par le français sans la chance du bilinguisme, les langues régionales ont cédé la place naguère à une langue de civilisation encore debout. Qu’en sera-t-il si l’effondrement de la langue française n’est pas stoppé ? Quel recours pourra être opposé à la barbarie ? Didier Desrimais s’alarme. Il a mille fois raison. (Causeur, le 21 juin)
Par Didier Desrimais*.
La lecture d’un vieux manuel des années 60, destiné au cours moyen – le niveau scolaire revendiqué par la nouvelle députée LFI Rachel Keke – , illustre la baisse dramatique du niveau des jeunes Français. Les pédagogistes les condamnent à l’ignorance.
Un petit retour en arrière riche d’enseignements
Les dernières mésaventures baccalauréatesques auront peut-être dessillé ceux qui doutent encore de l’abaissement, voire de l’effondrement de l’apprentissage de notre langue. Il y a d’abord eu le mot « ludique », incompris par nombre d’élèves passant le bac pro. Il y a ensuite eu le texte extrait du livre de Sylvie Germain, Jours de colère, trop compliqué aux dires de ceux qui viennent de passer l’épreuve anticipée de français, lesquels se sont vengés sur les réseaux dits sociaux en crachotant les deux mots d’injure qui font l’essentiel de leur vocabulaire ordurier (voir l’article de Jean-Paul Brighelli dans ces colonnes).
Livrons-nous à un exercice périlleux, attirant souvent les moqueries de nos plus jeunes et plus incultes contemporains, celui de la comparaison des méthodes d’apprentissage de lecture et de compréhension des textes qui se pratiquent aujourd’hui avec celles qui se pratiquaient bien avant que Lionel Jospin et les « experts » des « sciences de l’éducation » de type bourdieuso-meirieusien ne finissent de massacrer totalement l’école.
Un « infernal duo » qui avait du bon
Pour ce qui est d’aujourd’hui, nous ne nous attarderons pas : l’apprentissage de la lecture continue de se faire en dépit du bon sens ; la dictée a été remplacée par latwictée ou par des textes qui ne doivent impérativement pas comporter plus de cinq lignes ; la lecture de textes littéraires est réduite à la portion congrue ; au nom d’un égalitarisme mortifère, la faute d’orthographe ne doit plus être sanctionnée. Résultat : après quinze ans de scolarité obligatoire, nos élèves ânonnent les textes les plus simples, possèdent un vocabulaire n’excédant pas cinq cents mots, ne sont plus capables d’écrire une phrase sans faire de nombreuses fautes, de comprendre le sens de certains textes, etc.
Maintenant, retour en arrière. Le maire de ma commune nivernaise a eu la bonne idée, après avoir fait le ménage dans le grenier de l’école communale aujourd’hui fermée, de récupérer et de mettre en vente, au prix symbolique d’un euro chaque exemplaire, les manuels scolaires qui étaient utilisés par les instituteurs au début des années 60. J’ai naturellement rempli mon panier de vieux con des manuels d’histoire, de grammaire, de français et d’arithmétiques de l’époque. Merveille parmi ces merveilles, un manuel intitulé Mon pays en liberté et prévu pour l’apprentissage du français par le biais de « lectures choisies » dans les classes des cours moyens de 1ère et 2ème année, pour des élèves âgés, donc, de neuf à onze ans. Les textes, extraits d’œuvres « d’écrivains modernes » – Guy de Maupassant, Jean Giono, Colette, Alain Fournier, Alphonse Daudet, Romain Rolland, Jules Romains, Henri Bosco, Marcel Aymé, André Suarès, etc. – sont souvent longs et systématiquement suivis d’exercices d’élocution, d’explication de mots, de réflexion, de récitation et de rédaction, le tout rangé sous la rubrique Au Travail, titre éloquent qui fait aujourd’hui frémir les élèves, certains enseignants et les « scientifiques de l’éducation » qui considèrent que « la grammaire n’est pas une compétence. Ce qui compte, c’est savoir s’exprimer en gros. Dans le primaire, il faut en finir avec l’infernal duo “Leçon/Exercices” [1]. »
Pour rester dans le ton du texte de Sylvie Germain évoquant les habitants du Morvan, j’ai choisi dans ce manuel un texte extrait d’un livre de Roger Denux (instituteur et écrivain né en 1899 et mort en 1992). L’hiver en Morvan est un beau texte, très simple, décrivant les veillées hivernales dans une ferme morvandiaute (voir ci-dessous).
Sous ce texte, les exercices. Le premier s’appelle « Disons bien ». C’est un exercice très simple pour apprendre aux élèves à ponctuer et à lire avec justesse le texte afin d’en savourer le charme et le piquant. Il y est demandé de « souligner, sans excès, les mots qui évoquent la saveur de la cuisine en préparation (“saisit à point”, “minces tranches”, “rissole”) », de « bien détacher “la compagnie s’attable” (un peu de solennité, avec une légère pointe d’ironie) », de lire « la phase suivante avec béatitude, en détaillant les mots » et de « terminer avec beaucoup de douceur ». Puis on demande à l’élève de chercher dans le dictionnaire le sens des mots « avaricieux, cheptel, bouchure, ravauder, médire, rissoler », ou d’expliquer la différence entre « rapporter » et « commenter » les nouvelles, etc. Il doit ensuite rédiger deux paragraphes, « le premier sur les occupations du paysan en été, le second sur ses occupations en hiver ». Il lui sera également demandé d’étudier chez lui puis de « réciter par écrit » en classe un court passage – la récitation orale étant « limitée aux textes en vers ».
Ce texte et ces exercices étaient destinés, rappelons-le, à des élèves de neuf à onze ans, au début des années 60. Nombre de nos bacheliers actuels seraient incapables de lire correctement ce texte pourtant simple, et encore moins d’y trouver un certain plaisir. Un paysan, morvandiau ou pas, n’est pour beaucoup d’entre eux qu’un pauvre type qui utilise encore du glyphosate et pollue « la planète ». Plutôt que de chercher dans un dictionnaire la définition d’un mot incompris, ils préfèrent bavasser des crasseries sur les réseaux égoutiers. Les mêmes seraient bien en peine de situer sur une carte de France le Morvan. Ce n’est pas entièrement de leur faute. Depuis plus de quarante ans, l’école égalitariste a raboté la langue, l’histoire et la géographie françaises. Elle a fabriqué des crétins à la chaîne qui nous le rendent bien : les réseaux dits sociaux sont pleins des résultats obtenus par ce long travail de destruction de l’instruction publique en général et de la langue française en particulier.
Substitution mortifère
La préface de Mon pays en liberté est un avertissement qui en dit long sur ce qui était attendu des instituteurs de l’époque. Maurice Oléon, l’inspecteur d’Académie et auteur de ce manuel, y explique que la méthode utilisée tend à « stimuler l’attention et l’effort personnel » afin que les élèves sachent « mieux lire, mieux comprendre, mieux s’exprimer ». Plus important encore – et qui montre à quelle hauteur on situait l’ambition d’un apprentissage de la langue via des textes littéraires lorsqu’on était un inspecteur d’Académie à la fin des années 50 : « Le thème général de ce manuel estl’amour de la France », de sa langue, de son histoire et de ses mœurs. En fait, « il s’agit de rendre l’enfant conscient de son appartenance à une communauté historique et humaine, insérée dans un cadre géographique qui en explique la force et la séduction, communauté à laquelle il doit le meilleur de lui-même. À la faveur de cet attachement naturel et puissant qui l’arrache à l’égoïsme, il s’agit encore de l’élever jusqu’au désir d’une vie fraternelle, jusqu’à la sympathie pour les efforts de tous les hommes qu’anime une égale bonne volonté ».
Amour de la France, communauté historique, attachement, efforts, sont devenus des gros mots. Maintenant, on « nique la France », chacun à sa manière. La plus visible et la plus abrupte consiste en la substitution d’une langue riche par un galimatias et des borborygmes. Le barbare n’est pas loin ; il n’a pas besoin de Grévisse. Le rap, les injures anonymes, les tribunes de Virginie Despentes et la novlangue des théories les plus absurdes lui servent de Bescherelle. Le vocabulaire anglo-rachitique des publicités est son nouveau dictionnaire ; les émoticônes son nouvel alphabet. Il n’utilise plus le point final, d’exclamation ou d’interrogation, mais le poing brutal, d’explosion ou de destruction. L’effondrement de la langue est le prélude de la barbarie. ■
[1] Propos d’un Inspecteur Pédagogique Régional rapportés par Jean-Paul Brighelli dans C’est le français qu’on assassine, page 47, éditions Blanche.
* Amateur de livres et de musique, scrutateur des mouvements du monde.
Avez-vous déjà entendu ânonner les journalistes des chaînes de télévision ? Il leur est manifestement difficile de faire une phrase dans un français correct. Mais comptons sur Mme Rachel Kéké qui se vante de son niveau de CM2 pour relever le niveau.
Il faut lire le beau livre de Renaud Camus, Décivilisation, tout y est dit.
Les cancres d’hier sont les professeurs d’aujourd’hui.
Le ton est donné dans les médias : anglicismes, tics de langage, fautes de grammaire , d’orthographe ..etc etc et ils sont l’exemple et le reflet de la société.
La regrettée Jacqueline de Romilly avait en son temps alerté l’opinion au sujet de la disparition du latin à l’école. Ce fondement de notre langue permettait une grande compréhension des mots et favorisait la construction d’une «tête bien faite » chère à Montaigne.
L’absence de vocabulaire et son élocution difficile laisse libre cours aux impulsions physiques et à la violence que nous subissons partout actuellement.
Cincinnatus, il ne faut pas oublier que le premier maître d’œuvre de la destruction de l’Instruction est un académicien, ministre de l’Education nationale en septembre 1968, nommé Edgar Faure qui mis en branle l’arrêt des langues anciennes appelées sottement « mortes » le latin et le grec. Faure était pourtant agrégé de Lettres ! Il s’amusait de répondre quand on le traitait de girouette « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent qui change ».
Cela l’amusait beaucoup, lui et ses admirateurs ! Pas les enseignants !
A propos des veillées hivernales dans une ferme morvandiaute.
L’Article du CNRTL (que j’abrège), au sujet de morvandeau, morvandiau, morvandelle, cite entre autres, à Prononc. et orthog. les formes dialectales « morvandiau » ou « morvandiot (-iote) » et Balzac, dans « Les Paysans » de La Comédie Humaine, écrit « les ménages morvandiauds ».
Ce qui me fait préférer « morvandiote » ou « morvandiaude » à
« morvandiaute » ignoré des dictionnaires (voir ci-dessus).
Clemenceau rétorquait à un de ses interlocuteurs à la Chambre » Je ne vous répondrai pas aussi longtemps que vous parlerez de solutionner un problème au lieu de parler de le résoudre «
De surcroît, c’était un plaisir de découvrir un nouveau mot, une tournure de phrase
Colette (avec ses chats) pouvait passer pour une écrivaine de littérature enfantine .
« Le grand Meaulnes » , c’était indispensable.
Place aux modernes en poésie : Émile Verhaeren et Francis Jammes !
Je ne pense pas qu’on puisse reprocher à madame Keke son niveau de CM2. Je trouve qu’elle a bien du mérite
J’ai quatre vingt ans. J’ai connu l’école primaire des blouses grises ( élèves et instituteurs) , du certificat d’études primaires et de l’examen d’entrée en VI éme , puis du brevet élémentaire qui permettait aux lauréats d’entrer comme cadre B dans l’administration. Nous venons de clore une élection présidentielle au cours de laquelle seul Zemmour a proposé un plan de redressement de l’instruction publique avec le résultat que l’on sait. Je suis triste pour mon pays et soucieux pour mes petits enfants.