Par Bernard Jomard. Contributeur.
Nous sommes loin de partager dans son fond la pensée qui inspire et sous-tend cette réflexion. Mais la question posée en titre est de première importance et l’analyse factuelle qui y répond nous paraît particulièrement intéressante, presque toujours pertinente. Elle mérite d’être lue. Un patriotisme qui négligerait l’impératif de puissance – acquise ou à reconstruire – serait en effet, s’agissant de la France, d’un piètre degré de conscience politique.
Le tournant de la désindustrialisation commença en France en 1981 avec la cinquième semaine de congés payés et les 39 heures.
Il fut suivi il y a bientôt 30 ans par un nouveau concept qui s’imposa chez les élites, celui de l’usine virtuelle. Le fameux « fabless » de Serge Tchuruk, et d’autres technocrates nominalistes théoriciens, et, de nombres de politiciens de gauche et de droite qui voulaient faire de la France un pays de services.
Emergea donc avec Serge Tchuruk l’usine virtuelle, ou fameux « fabless » ou théorie dite des compétences fondamentales ou « core-business »
Ce concept sembla alors irréversible et beaucoup de grandes entreprises, tendirent vers ce modèle. La théorie dite des compétences fondamentales ou « core-business » s’appuyait sur un raisonnement simple, se concentrer sur ce que l’on sait faire et externaliser le reste. Résultat, la France se retrouve aujourd’hui championne d’Europe en innovations, mais très pauvre en emplois.
Cela, car après les grands groupes, même les PMI et ETI se sont mises à ce concept pour échapper aux utopies. Près de 75% d’entre elles externalisent leurs fabrications pour faire face aux chocs de compétitivité subits face aux Allemands aux Italiens et aux Néerlandais.
Un phénomène fortement accéléré par les 35 heures qui ont engendré une forte rigidification du droit du travail.
Lors de ces négociations qui se terminèrent en conflit, certains perdirent le sens de la mesure. Ils sous-estimèrent alors, le rôle du contexte dans la valorisation des compétences fondamentales. Ils confondirent aussi court terme et fondamentaux, ce que le chercheur Jim Collins nomme le « volant » ou « grande roue ». Tous les secteurs évoluent et c’est ces différents changements qui doivent dicter les choix des industriels. Perdre un savoir-faire est une opération courte, se le réapproprier est une opération longue et coûteuse.
Les 35 h qui ont aussi accéléré l’étiolement de la Perfection du Banal ou conscience professionnelle.
Nombre de salariés souvent peu qualifiés passant une partie de leur temps à parler RTT et planification des ponts et Week ends prolongés, la qualité dans et à proximité les grandes métropoles a alors décroché par rapport aux villes de moins de 20.000 habitants.
Et aujourd’hui, près de 70% des investissements étrangers industriels et la quasi-totalité des ateliers de l’industrie du luxe sont localisés dans ou à proximité des villes de moins de 20.000 habitants.
Lire sur les études sur la profonde fidélité allemande à son « Standort », son lieu d’ancrage régional ; et à son culte de « la perfection du banal », c’est-à-dire des innovations fondées sur un renforcement régulier de la qualité du produit, plutôt que des innovations « de rupture », destinées à faire date
Oui, l’innovation est excessivement dynamique en France
D’après deux études de France Stratégie et de l’OFCE, les entreprises françaises investissent beaucoup plus que leurs concurrentes européennes. En France, les dépenses de R & D se monteraient à 26 % de la valeur ajoutée, à comparer à 19% pour l’Allemagne. Si on s’intéresse aux investissements en data et autres intelligences artificielles, les entreprises manufacturières françaises investiraient 21% contre seulement 6% pour l’Allemagne et 2% pour l’Italie deuxième nation manufacturière d’Europe. Une Italie qui affiche en permanence une balance du commerce extérieur largement positive. Mais, ces sommes considérables investies en France dans la R & D en partie grâce au CIR Crédit d’Impôt Recherche, ne se retrouvent pas dans la productivité et dans les chiffres du commerce extérieur. La France préfère l’innovation et l’immatériel à la production, c’est une évidence.
Innovation Vs améliorations substantielles, une bible prodiguant de bons conseils pour réussir.
C’est l’analyse de Jims Collins « From good to Great ». Cette étude a analysé nombre d’entreprises américaines sur cinquante ans. Si on la résume, c’est comme toujours assez simple, n’essayez surtout pas d’avoir rapidement une forte avance technologique, car cela nécessite de nombreuses étapes de « maturation ».
A noter et c’est important, que grâce à De Gaulle et à Giscard d’Estaing la France conserve aujourd’hui encore un point positif pour le secteur industriel, c’est le faible coût de l’Énergie, et, cela grâce au nucléaire. Un coût de l’électricité en France, en moyenne 15% inférieur à ce que payent nos voisins européens. Une augmentation de ce coût pourrait être fatal à de nombreuses industries dont l’agroalimentaire déjà très concurrencé.
Regarder la vérité en face
Par utopie théoricienne nominaliste, on a depuis 40 ans, sacrifié l’Industrie et ,depuis quelques années nos théoriciens urbains et utopistes asphyxient aussi l’agriculture (sauf les spiritueux) lire : https://bernard-jomard.com/2018/02/19/industrie-agroalimentaire-francaise-en-crise-comment-en-sortir/
Comment un pays occidental peut-il aujourd’hui survivre, face à l’Asie
Cela se résume simplement à il faut travailler et produire plus, vendre plus, exporter plus, et faire plus de profit pour bien rémunérer toute la chaîne de valeur ajoutée dont surtout les salariés. Et, cela sans être utopiste et sans attendre d’être obligatoirement plus innovant ?
Réussir à l’exportation
Posez-vous la question, avez-vous entrepris le minimum d’actions nécessaires pour réussir à l’exportation, le vrai marqueur des entreprises performantes. Si oui avez-vous fait preuve d’un minimum d’opiniâtreté, et avez-vous mémorisé « Never ever give up ». Car, malgré une croissance poussive, de nombreuses entreprises réussissent très bien. Leurs secrets, s’intéresser tous les jours à l’export, faire du « bench-marking » et, être pro-actives, créatives et pionnières sur un segment de marché.
Exporter vrai seul marqueur de la Performance
Innovation, ne tombez dans le piège, répété et répété, que pour exporter, les entreprises doivent absolument offrir des produits totalement innovants. On le sait tous, Il y aura toujours sur le marché, un produit plus innovant que le vôtre, et certainement moins cher !
Et, n’essayez surtout pas de copier l’Allemagne
Bien sûr, n’essayez surtout pas de copier l’Allemagne, comme beaucoup depuis plus de 30 ans ! Tenter de copier les entreprises allemandes, vous parviendrez difficilement. Car l’ultime point fort de l’Allemagne n’est plus la qualité, mais le positionnement ou « branding » de ses marques, positionnement aujourd’hui quasiment indétrônable.
D’autre part, être enfin pragmatique, et avoir une vision du futur.
Car les Français adorent sous-estimés les capacités de leurs concurrents, que ce soit l’Allemagne, ou l’Italie 2e pays industriel européen. Ils sous-estiment aussi bien sur la qualité chinoise, et la transformation industrielle de certains pays de l’Europe de l’Est.
Alors qu’il faudrait se poser cette question, une entreprise qui a déjà une histoire (pas une Start up) verra-t-elle ses performances générées par l’innovation pure et dure ou par l’amélioration substantielle des services et, ou, des produits ? Le numérique & l’innovation (deux processus très commentés) deviendront-ils des accélérateurs de ventes ? Oui, en créeront-ils substantiellement ? Certainement pas !
Exporter ! Le Marqueur de la Performance
Si on lit l’analyse qualitative et quantitative de Jim Collins, sur les entreprises nord-américaines, dont la valeur a été multipliée par 450 au cours des 50 dernières années, en décortiquant, la stratégie, la technologie, les acquisitions, l’innovation, le turnover du management, etc., on note des différenciations fondamentales avec la plupart des autres entreprises dont la valeur a été multipliée par 50 au cours de la même période
Règle d’or ou 3 questions
1– En quoi puis-je être le meilleur demain et après-demain ?
2– Qu’est-ce qui « tire » déjà mon profit et cash-flow ?
3– Qu’est-ce qui aujourd’hui, nous passionne ?
Cela afin de construire un « moteur économique basé sur ses fondamentaux » moteur fabuleux, assez indépendamment du secteur, et des cycles.
Car il faut savoir que les entreprises très performantes ne se focalisent pas sur ce qu’il faut faire, mais sur ce qu’il ne faut pas faire, et, que la technologie très innovante la plupart du temps n’a pas grand-chose à voir avec le décollage des entreprises très performantes. Par contre une innovation planifiée, mesurée, sera très utile pour communiquer, et, pour assurer l’avenir en mettant régulièrement sur le marché, des produits différenciés ayant reçu des améliorations substantielles !
Concept du Volant
Vous retrouverez toujours le concept du « volant » le processus de transformation ne résultant pas d’une décision unique, d’un grand programme, d’une innovation majeure, mais plutôt d’une impulsion donnée lentement mais sûrement à un volant (les fondamentaux) tour après tour.
Et répéter encore et encore il vous faut travailler sans cesse la Perfection du banal
C’est ce que l’on peut copier aux Allemands ou aux Suisses. Cela dans tous les domaines de l’entreprise. Du nettoyage des toilettes, à la logistique, la relation clients, aux RH, à la R & D, et bien sûr aux produits & services qu’elle produit. On l’oublie trop souvent, la perfection du banal, qui fait partie de l’amélioration continue des performances est toujours source d’innovations venant de ceux qui savent, c’est à dire ceux qui font !
Qu’est-ce qui pourrait changer sur ce « phénomène » délocalisation.
Seulement un évènement exceptionnel pourrait faire comprendre à nombre de théoriciens que la France s’est vassalisée économiquement vis-à-vis de la Chine et d’autres pays, et que cela est très dangereux à long terme.
Et encore une répétition pour conclure
Se souvenir que près de 70% des groupes industriels étrangers comme les entreprises de luxe françaises d’ailleurs privilégient toujours l’implantation de leurs nouvelles usines près des villes de 20.000 habitants maximum, car c’est là qu’a le mieux survécu la « Perfection du Banal » ou conscience professionnelle. L’île de France reçoit quant à elle un quart des investissements directs étrangers, mais essentiellement dans les services.
Enfin, les salaires étant supérieurs dans l’industrie que dans les services, ces délocalisations ont appauvri la classe moyenne française, qui est aussi vos consommateurs. ■
Merci à Pierre de Meuse de sa transmission