PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce matin du 25 juin. Mathieu Bock-Côté y revient sur la « fragilisation des vieilles interdictions » qui a marqué les élections législatives et qui caractérise la configuration de l’Assemblée qui en est issue. Mais tout autant sur la diabolisation où, malgré un profond décalage avec l’évolution de l’opinion, l’on entend continuer d’enfermer le camp dit d’extrême-droite.
CHRONIQUE – Après deux laborieuses semaines à se demander s’il fallait mettre un signe d’équivalence entre les « extrêmes », la macronie peine à trancher.
« Le concept d’extrême droite relève davantage de la démonologie que de la science politique. »
C’était apparemment la question de la semaine : que faire du « cordon sanitaire », longtemps tendu contre le RN, et que certaines figures politiques associées à la macronie ont cru pouvoir relâcher à la suite du résultat des législatives ? Pourtant, il y a quelques semaines encore, au moment du premier, puis du second tour de la présidentielle, il fallait faire barrage, pour sauver la République en danger! Et d’un coup, après la percée du RN, on a senti de vieilles interdictions se fragiliser. Ces avertissements étaient-ils sans valeur ?
La majorité présidentielle pourra-t-elle nouer des accords circonstanciels avec le RN pour faire voter des lois? Certains vétérans du front républicain ont osé dire oui, comme si la situation politique exigeait une éthique nouvelle, délivrée d’interdits périmés et de rituels moisis. D’autres se sont étranglés d’indignation. Discuter avec La France insoumise, qui a permis à l’indigénisme racialiste d’entrer à l’Assemblée nationale et de s’y normaliser, serait envisageable, même normal. LFI serait dans le périmètre républicain et ses dérives idéologiques seraient par définition accidentelles.
Quant au RN, malgré son aggiornamento « républicain », il doit être à jamais tenu hors du périmètre de la cité : il ne faudrait jamais voir dans l’évolution de son discours qu’une ruse pour dissimuler son inaltérable nature. Mais, après deux laborieuses semaines à se demander s’il fallait mettre un signe d’équivalence entre les « extrêmes », et ce que représentait symboliquement cette équivalence possible, la macronie peine à trancher: certes, il faut combattre le mal, mais, s’il faut lui faire un clin d’œil pour gouverner, on se posera la question. Paris vaut bien une messe noire !
La part du diable
Cette étrange séquence nous oblige à nous pencher, encore, sur la fonction du concept d’extrême droite dans la construction de l’espace public français – et, surtout, à rappeler à quel point il est investi d’une forme de sacré négatif. Sa définition peut changer d’une époque à l’autre, et même d’une année à l’autre. Même ceux qui s’en disent spécialiste ne parviennent pas à en proposer une définition unifiée. Une chose demeure toutefois: ce terme sert à désigner la part du mal dans la cité, et plus encore, la part du diable. Celle avec laquelle on ne peut commercer politiquement sans se corrompre, sans se souiller, même. On ne parle pas de « cordon sanitaire » pour rien. D’ailleurs, si on s’en tient loin, c’est qu’il sent mauvais. Ne dit-on pas qu’il est sulfureux et nauséabond, et même très nauséabond. L’argument olfactif a de l’avenir.
Le concept d’extrême droite relève davantage de la démonologie que de la science politique. Dire d’un homme qu’il est d’extrême droite ne consiste pas à lui prêter une série d’idées politiques, mais à affirmer qu’il est possédé par le malin, qu’il est d’une autre nature que le commun des hommes. Il faut analyser son discours comme une technique de dissimulation: ses arguments ne sont pas des arguments, mais des ruses rhétoriques vouées à dissimuler sa vraie nature qu’un bon travail saurait révéler aux yeux de tous, même si le petit peuple naïf se sera laissé charmer par la bête. Le diable envoûte: on désenvoûtera le peuple en pensant la politique comme un exorcisme. Arrière, « extrême droite » ! On répétera sans cesse ce mot, jusqu’à entrer en transe, le stade ultime, sublime et comique de cette lutte consistant à se déclarer en guerre contre la haine, en se donnant le droit d’éradiquer celui qui en ferait la promotion.
Dès lors, on ne répond pas à un homme assimilé à l’extrême droite : on théorise plutôt la nécessité de ne pas lui parler. La mort sociale doit l’attendre et, désormais, l’isolement parlementaire. Qui discute avec l’extrême droite est attiré dans ses filets: il légitime son existence. Il trahit le front républicain. D’ailleurs, si certains rêvent d’union nationale, c’est contre elle. On n’argumente pas avec l’extrême droite: pour peu qu’on ait associé un homme à cette catégorie, il s’agit d’expliquer aux autres hommes qu’ils ne sauraient se lier avec lui. Il faut même faire savoir qu’il est possédé et porte la vilaine marque. Cela devrait suffire pour en finir avec lui. Quels frissons civiques on doit avoir à se faire de telles peurs !
Tout cela rappelle la part inextricablement religieuse de la cité, qui traverse toutes les époques, même la nôtre, convaincue pourtant de fonctionner selon les codes du rationalisme intégral. Mais il arrive que les rituels se calcifient, que les processions religieuses virent au carnaval, comme si les officiels d’un régime honoraient avec leurs slogans incantatoires un dieu mort, même s’ils ne le savent pas encore. Mais le commun des mortels, lui, se demande de plus en plus de quoi parlent ces jeteurs de sorts et autres pratiquant d’un étrange vaudou politique, qui suscite aujourd’hui une forme d’amusement ethnologique. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Sauver la République qui est en dangers contre le RN. Mais de quoi parle t’on? Qui depuis des décénies qui fait descendre la France au fond du trou. Ce sont biens ces partis politiques qui se sont succedés PS et UMP ou LR. Alors le FN ou maintenant le RN à t’il une responsabilité quelconque? Après on s’étonne du nombre important d’abstention!!!!!
E t si le rejet du RN consistait SURTOUT à protéger les avantages acquis, les bonnes affaires que les partis politiques n’ont pas envie de partager avec ce nouvel intrus qui veut manger dans leur gamelle.
Celà dit le RN n’ayant jamais été au pouvoir peut affirmer sans être contredit, qu’il n’a rien à voir avec l’état déplorable de la France