Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article de Jean-Paul Brighelli est paru hier dans Causeur, site excellent s’il en est. (19.07.2022). Article écrit en termes crus, directs, qui choqueront peut-être les âmes sulpiciennes, mais réveilleront les esprits encore vivants qui n’ont pas perdu cette énergie existentielle, cette force vitale des instincts élémentaires qui a fait vivre, durer, grandir les êtres vivants depuis leur lointaine apparition, notamment l’espèce humaine et, en son sein, « les races européennes » dont Maurras, qui les avait vu s’affronter, constatait néanmoins « la fraternité. » De Gaulle ne pensait pas autrement. C’est l’épuisement, non seulement de la culture européenne comme l’avait vu le regretté Jean-François Mattéi, mais de la simple volonté de vivre des Européens, dont nous autres, Français, de notre élan vital, jadis si puissant, et parfois si meurtrier, c’est bien cet épuisement que révèle le propos de Jean-Paul Brighelli. Et tant mieux s’il réveille ceux qui peuvent et méritent de l’être. Cet affaiblissement des instincts vitaux perdurera-t-il dans nos sociétés ou sera-t-il suivi d’un de ces retours où la nature et la vie reprennent leurs droits, font flamber les forces du renouveau, comme un printemps après un hiver ? George Steiner a écrit naguère de fort belles choses sur notre époque qui lui semblait en train de vivre comme une ère d’attente comparable à un long samedi saint d’avant un dimanche de résurrection. Car, nous a dit un jour Jean-François Mattéi, « Heidegger pensait qu’à la fin tout recommence ». Faut-il ajouter quoi que ce soit ? Le lecteur le fera, jugera, commentera s’il le souhaite ! Notre conseil plus prosaïque : acheter et lire le second et donc dernier tome de La Fabrique du Crétin où Jean-Paul Brighelli déploie tout son savoir, son expérience, son aptitude à surprendre, son esprit d’analyse en éveil, et son talent qui n’est pas mince.
Une intéressante enquête de nos confrères du Monde, Lorraine De Foucher et Sonia Fisher, parue début juillet, révèle qu’une « révolution asexuelle est en marche » : « Les ados et post ados semblent en pleine récession sexuelle ». Payant de sa personne, notre chroniqueur y est allé voir.
Le sexe et les jeunes : « En fait, ça ne m’intéresse vraiment pas tant que ça »
Et d’abord, les faits. Les journalistes ont été interpelées par un chiffre tout frais sorti de la dernière enquête réalisée par l’IFOP sur les jeunes et le SIDA, en février 2022 : « Au cours des douze derniers mois, 43 % des jeunes interrogés n’avaient pas eu de rapport sexuel, et 44% avec un seul partenaire » — quoique ces chiffres soient en légère augmentation par rapport aux années précédentes. Pas moyen donc d’incriminer les confinements, qui auraient pu interrompre de belles histoires — surtout dans la mesure où nombre de jeunes de la tranche 16-24 ans vivent encore chez leurs parents — et forcer ces jeunes gens pleins de sève à recourir à l’autosatisfaction des désirs. Le mal vient de plus loin comme disait Racine…
L’enquête des deux journalistes du Monde s’est un peu faite au doigt mouillé, si je puis ainsi m’exprimer, mais elle révèle des comportements inattendus, particulièrement chez les petits mâles, « des garçons parfois pétris d’angoisse, celle de la peur de la honte et de l’humiliation, celle de la pression de la virilité et tout ce qu’elle charrie, et la bouillie du désir qu’il en reste ».
C’est la grande révélation de cet article : entre le modèle pornographique, qui impose un indice de performance fantasmé, et le politiquement correct qui bloque les doigts au moment de dégrafer le soutien-gorge, que reste-t-il à ces ados — étant entendu que la catégorie est en voie d’extension, et que l’âge du vote, qui est celui de la plus forte abstention (selon un sondage IFOP-Fiducial réalisé en juin, 76% des 18-24 ans se sont abstenus) est aussi celui de l’abstinence la plus répandue…
J’ai expliqué, dans un livre déjà ancien, La Société pornographique, le lien qui existe entre l’obligation de performance qu’impose le modèle pornographique et l’introversion de la libido, particulièrement chez les jeunes mâles. Ils n’ont pas fait « sur les femmes nues des musées / Le brouillon de leurs baisers », comme chantait jadis Brassens, mais sur Pornhub ou Xhamster. La génération du babyboom, si décriée par les jeunes d’aujourd’hui, en était à s’exciter sur les modèles de lingerie du catalogue de la Redoute. Une échancrure de corsage un peu profonde dans un film relevait de l’indécence absolue — on se rappelle le scandale planétaire que causa Vadim avec Et Dieu créa la femme, qui était pourtant une bluette bien légère.
Aujourd’hui, les pré-adolescents qui se manient mélancoliquement la tige en regardant XNXX sont confrontés à un déluge de pornographie explicite — et même plus qu’explicite, puisqu’elle est mise en scène, filmée en contre-plongée, jouée (encore que le terme soit abusif) par des acteurs sélectionnés et bourrés de petites pilules bleues (quand ce ne sont pas des injections directes de papavérine dans la verge), confrontés à des dévoreuses bourrées d’analgésiques afin d’accueillir plusieurs de ces messieurs en même temps. On comprend que les petits jeunes hésitent à sauter le pas. L’âge moyen du dépucelage, qui était en 2008 à peu près comparable chez les garçons et les filles, à trois mois près (entre 17 et 18 ans en majorité, selon l’étude, exhaustive celle-là, de Nathalie Bajos et Michel Bozon), est en train de reculer. Et nombre d’étudiants bien insérés dans des études longues sont encore puceaux. Et plus on tarde, plus on hésite. Et le petit escargot ne sort plus de sa coquille.
Le plus beau, c’est que les jeunes n’osent pas en parler à leurs parents, « par peur qu’ils paniquent et se demandent ce qu’ils ont raté dans leur éducation. » AU XIXe siècle, les pères amenaient leur fils au bordel, pour qu’ils fassent leurs gammes avec Lulu ou Daphné. Les boomers, tant décriés par les crétins contemporains, ont vécu dans le détail la révolution sexuelle des années 1960-1970, où l’on couchait avant de faire connaissance — c’était en fait le mode le plus simple pour entrer en contact. Leurs enfants ou petits-enfants fonctionnent à l’envers, et sommés d’y aller sur la pointe du pied, renoncent à le prendre.
L’effet d’imitation (« l’abstinence va être méga à la mode », dit Camille Aumont Carnel, créatrice du compte Instagram @jemenbatsleclito et auteur de #ADOSEXO, chez Albin Michel-Jeunesse) n’explique pas tout. À la base de cette misère sexuelle, il y a plusieurs facteurs.
L’autorité pornographique en est un. L’obsession musulmane de la virginité en est un autre. Les filles doivent arriver vierges au mariage — quitte à se faire fabriquer un hymen artificiel, ce qui pose bien des cas de conscience à des médecins sommés de se conformer à une tradition archaïque et sexiste. Déjà que la première fois ce n’est pas toujours drôle, ni pour l’un ni pour l’autre, comme j’ai eu l’occasion de le raconter récemment. Alors, se l’imposer encore et encore… Il faut être dingue pour rêver d’un paradis peuplé de vierges — et qui le restent après usage.
Dernier point : le discours sur l’incertitude de genre tombe à pic chez des jeunes qui hésitent — ce qui est tout à fait normal — à sauter le pas et leur copine (et réciproquement). Quelque chose dans la morphologie des jeunes est en train de changer. Pendant que les filles, surtout les moins éclairés culturellement, se transforment en clones de Kim Kardashian, tout en tétons et en fesses, mascara épais, ongles extravagants, cheveux teints en noirs et défrisés, les garçons, de moins en moins sportifs, ont des physiques flous. Quand de surcroît on leur explique qu’ils doivent explorer leur part de féminité, la coupe est pleine : qui va se risquer à exhiber sa virilité en ces temps d’incertitude programmée et de mise en demeure pour réprimer ses désirs — surtout s’ils sont hétéros ?
À noter que les populations moins occidentales que la nôtre ne connaissent pas ces blocages, et font des gosses à la pelle. Allez donc voir dans les maternités. Pendant que les uns s’abstiennent, les autres les remplacent. Les sites pornographiques exaltent d’ailleurs l’hyper-virilité noire (un mythe comme les autres, a expliqué jadis Serge Bile, dans La Légende du sexe surdimensionné des Noirs), seule à même de satisfaire des jeunes blondasses que leurs partenaires habituels abandonnent à la libido extravertie des banlieues.
En vérité je vous le dis : parlez-en discrètement avec vos enfants. L’amour, c’est beau, c’est gai, c’est fort agréable, et il n’y a pas de quoi s’en faire un drame. Pourtant, sondage après sondage (comparez les résultats de l’enquête IFOP de 2019 et celle de 2021), le taux d’insatisfaction et de frustration monte. Pendant que leurs parents (et leurs grands-parents) persistent à s’envoyer en l’air et y trouvent leur compte, les jeunes restent au bord de la rivière, et n’osent plus se jeter à l’eau. ■
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Il semblerait qu’on ait enfin le courage de dire qu’on se fout du sexe , de Freud et de ses pareils. Que l’être humain n’est pas fait que de chair et que ceux qui n’en font pas leur viatique ne sont pas anormaux.
Pour beaucoup de femmes il faut teinter de romantisme et de tendresse un acte permettant de fonder une famille, mais cette envie d’enfant se perd. Mettre un enfant au monde dans cette jungle actuelle est pour beaucoup un geste irresponsable . Beaucoup de jeunes y renoncent ,dès lors l’envie de se marier devient obsolète. Beaucoup d’adultes vivent seuls et s’en accommodant très bien sans frustrations ni pathologies mentales. La fonction crée l’organe disait. – on autrefois et se passer de ce qui n’est pas quoi qu’on en dise indispensable sinon à la reproduction est une grande force. Nous avons dans ce domaine atteint la démesure, craignons qu’elle existe dans l’autre sens , un abus en entraîne toujours un autre tout aussi condamnable. Revenir à un équilibre est la sagesse.
Et si le ver était dans le fruit ? Avec sa verve coutumière, et ici très gauloise, Jean Paul Brighelli met le doigt sur un vrai problème : la dévirilisation d’une génération qui n’a plus envie de se battre pour sa vie ni de vouloir continuer notre histoire, à quelle ils ne croient plus, le tout dans le contexte d’une société de consommation. Jean –Paul Brighelli a dû être un excellent professeur, croyant à son métier, à son exigence, à l’honneur de transmettre un idéal, comme ces instituteurs , ces « hussards noirs » dont les cahiers d’écoliers sont magnifiques, comme des enluminures du moyen –âge, à des années lumières de ce qui est demandé aujourd’hui, parce qu’ ils estimaient leur devoir de transmettre le meilleur de tradition dans le cadre de leur idéal , vivant de fait sur des valeurs qui les précédaient , mais qui coupées leur sève allaient s ’.épuiser Mais petit problème ils ont aussi transmis – si l’on en croit Pagnol- une histoire biaisée ; Or l’école ne doit jamais être le « chien de garde d’un régime », c’est contraire à sa vocation . Si finalement nous avions dégoûté les élèves de leur histoire, sentant, confusément , inconsciemment la manipulation . Bref, si le ver était dans le fruit, depuis puis plus longtemps que l’on se l’imagine. Alors que faire ? Demander peut-être à ces jeunes de lire enfin Gustave Thibon , plus facile d’accès que son ami Pierre Boutang, de relire le Cantique des Cantiques sur l’amour, aussi la grande tradition médiévale, bref comme l’a dit un grand amoureux de la sève de son pays : de ne pas désespérer.