Répétons-nous, si on nous y autorise : Quand Didier Desrimais s’empare d’un sujet, l’information fuse, se cumule, se construit, et finit par former en relativement peu de lignes, une analyse méthodique qui dit et transmet l’essentiel, ce qu’il convient d’en savoir et d’en penser. C’est fort utile pour qui aime ou plutôt veut comprendre mais avec nuances, mesure et exactitude. Ici, il s’agit du retour d’une censure non-biaisée, non dissimulée. Didier Desrimais a la lucidité et la sagesse d’écrire en préambule : « La censure n’avait bien entendu jamais vraiment disparu ». C’est là le simple mais rare refus d’être dupe. Il a mille fois raison. Le lecteur consciencieux lira les notes 1 et 2. (Causeur, le 20 juillet)
Par Didier Desrimais*.
La censure, la vraie, est de retour…
La censure n’avait bien entendu jamais vraiment disparu, mais elle avait su ruser. Il y a encore à peine une décennie, elle omettait discrètement, elle caviardait en loucedé, elle éliminait subrepticement, elle effaçait en tapinois. Elle n’avouait pas ouvertement son désir totalitaire d’interdire et d’épurer. Les verrous ont sauté les uns derrière les autres et les intolérants s’en trouvent bien aise ; les censeurs ne se cachent plus et annoncent clairement la couleur.
L’entre-soi des journalistes progressistes
L’affaire Caroline Cayeux, parfaitement analysée par Philippe Bilger dans ces colonnes, démontre qu’il est devenu difficile, sous nos latitudes démocratiques, de penser autrement que certaines minorités intolérantes et vindicatives. S’être opposé au mariage homosexuel ne relève plus d’une opinion reposant sur une conception particulière de la société et du mariage, mais d’un délit. Sur ce sujet spécifique, il n’est littéralement plus permis de penser autrement que le magazine Têtu et la « communauté LGBT ». Traînée à la barre du tribunal médiatico-politique, condamnée d’avance à la peine maximale, Caroline Cayeux a cru que son mea culpa allait suffire à calmer les ardeurs inquisitoriales de ses adversaires devenus juges. Un mot de travers, une expression malheureuse ont suffi à ces derniers pour alimenter une polémique ridicule montrant en vérité ce que les autoproclamés chantres du pluralisme et de la démocratie appellent la liberté d’expression.
Dans un autre genre, sur France Inter, lors de son “Débat de midi” du vendredi 15 juillet consacré aux médias, Camille Crosnier et ses invités sont venus confirmer cette tendance lourde. Disons d’abord que, comme il arrive de plus en plus fréquemment sur la radio publique, l’émission était de qualité médiocre : trop d’intervenants, des questions tellement orientées qu’elles ressemblaient plus à des sentences dogmatiques qu’à de véritables interrogations, deux « respirations » sous forme de chansons anglo-saxonnes, un entre-soi cauteleux, ont fait une heure indigeste de bien-pensance dégoulinante. Constatons ensuite que, pour aborder ce sujet sur l’engagement et le pluralisme dans les médias, l’animatrice Camille Crosnier (journaliste de France Inter, ex-chroniqueuse dans l’émission Quotidien de Yann Barthès puis sur Arte) avait sollicité Catherine Nayl (directrice de l’information de France Inter), Gilles van Kote (directeur adjoint du Monde), Salomé Saqué (journaliste pour le site Blast, chroniqueuse sur Arte), et, égaré au milieu de ce cénacle gaucho-progressiste, Alexandre Devecchio (directeur du Figarovox).
Le pluralisme bien connu de France inter
Après quelques lénifiantes considérations sur les notions d’objectivité et de neutralité dans le journalisme, Catherine Nayl déride un auditoire que nous devinons légèrement assoupi : elle assure que, sur France Inter, « la quête de la pluralité des points de vue est très importante ». Puis Camille Crosnier effectue un tour de magie : après qu’un auditeur a demandé pourquoi on n’entend jamais un pro-Trump ou un pro-Brexit ou un anti-UE sur France Inter, la journaliste se tourne non pas vers sa directrice de l’information mais vers… Alexandre Devecchio pour lui demander pourquoi on ne lit pas « un grand nom de la gauche » dans le Figaro – Devecchio n’a aucun mal à contredire Camille Crosnier en citant les noms de Jacques Julliard, Régis Debray, Jean-Claude Michéa, entre autres. Mais il est vrai que cette gauche-là n’est guère prisée par la gauche france-intérienne. En attendant, l’auditeur reste sur sa faim et peut s’asseoir sur sa question concernant le manque avéré de pluralisme sur la radio publique, laquelle est subventionnée, rappelons-le à Camille Crosnier, par tous les Français.
Salomé Saqué est journaliste et écologiste. Elle revendique un militantisme radical. Selon elle, les rapports du GIEC sont scientifiques, incontestables et irrécusables. Par conséquent, elle ne comprend pas qu’on puisse « au nom du pluralisme, continuer d’inviter des personnes – de moins en moins, mais encore dans certains médias – qui minimisent le réchauffement climatique, chose qu’on a pu observer dans Le Figaro ». Avant même que Devecchio ait pu répondre à cette attaque, Camille Crosnier tient à conforter la position de Dame Saqué : « Alors, justement, Alexandre Devecchio, à quoi ça sert aujourd’hui, en 2022, où il y a un consensus scientifique in-con-tes-table sur l’origine humaine du réchauffement climatique, de donner la parole à quelqu’un qui va venir mettre ça en doute ? » Le journaliste du Monde ne veut pas être en reste et saute sur l’occasion pour montrer lui aussi sa conception du pluralisme à tous les passants : « À un moment donné il faut arrêter de donner la parole aux climato-sceptiques » car « le débat est clos ».
Faites taire Yves Roucaute !
Devecchio comprend alors que le vilain qui est visé par Mmes Saqué et Crosnier n’est autre que le philosophe Yves Roucaute qui a donné récemment un entretien au Figaro au sujet de son ouvrage L’Obscurantisme vert (Éditions du cerf) dans lequel il analyse, non pas le réchauffement climatique que personne ne conteste, mais les potentielles raisons de celui-ci, ainsi que les possibilités créatrices, scientifiques et industrielles qui pourraient voir le jour si l’écologie cessait d’être idéologiquement punitive. En ce qui concerne le GIEC, Yves Roucaute fait partie des nombreuses personnalités intellectuelles et scientifiques qui ont lu le « résumé pour les décideurs » du dernier rapport de cet organisme – lequel résumé est politiquement destiné aux gouvernements et au grand public et reste attaché au dogme anthropocénique énoncé depuis la création du GIEC en 1988 – mais aussi et surtout la totalité du rapport (près de quatre mille pages), plus scientifique et nettement moins accablant pour ce qui est de « l’influence humaine » sur le réchauffement climatique puisqu’il met par exemple en exergue la variabilité naturelle du climat sur le temps long, en particulier lors de « l’optimum climatique médiéval » qui a réchauffé l’atmosphère de 1000 à 1300 ou du « petit âge glaciaire » qui l’a refroidie de 1600 à 1850. De plus, Yves Roucaute dénonce « l’esprit magico-religieux » et grossièrement animiste de l’écologie radicale, celle des faux prophètes et des archanges apocalyptiques qui rêvent de décroissance et d’un retour aux âges farouches de l’humanité sans mesurer l’inconséquence de cette songerie qui, si elle devenait réalité, signerait l’arrêt de mort de l’humanité tout entière. Rien d’indigne donc, rien qui puisse en tout cas interdire à son auteur d’être invité dans les différents médias afin, justement, d’en débattre avec les fervents laudateurs du GIEC. Mais, pour Camille Crosnier, « ça sent la désinformation ». D’ailleurs, tant qu’on y est, la journaliste encourage sa directrice de l’info, Catherine Nayl, à ne plus donner la parole non plus aux présidents de Total ou des banques qui investissent encore dans les énergies fossiles. Pour le coup, il faut le souligner, Catherine Nayl n’hésite pas à opposer une fin de non-recevoir à cette proposition stupide.
« Les formes contemporaines du militantisme sociétal […] produisent un débat public caractérisé par la véhémence radicale et l’intolérance à toute forme de contradiction dialectique ou d’opinion divergente », écrit Anne-Sophie Chazaud dans son excellent essai Liberté d’inexpression (Éditions de l’Artilleur). « Ici, ajoute-t-elle, se noue la problématique actuelle d’un néoprogressisme autoproclamé qui, investi de la certitude d’incarner le Bien, et culturellement dominant dans les institutions ayant traditionnellement en charge la fabrique du citoyen (éducation, médias, culture…), ne peut littéralement pas admettre que ses postulats soient erronés ou simplement battus en brèche non plus que simplement débattus ». Pour s’imposer, le discours néoprogressiste se doit d’être un catéchisme intimidant plein de fureur et d’excommunications. Que ce soit à propos du « mariage pour tous », de l’écologie, du genre ou de la « diversité », des limites à la pensée ont été tracées par des groupes minoritaires qui font la loi. Malheur à celui qui sort du cercle de l’idéologie : dénoncé froidement par l’Inquisition progressiste et wokiste, il lui faudra montrer patte blanche s’il désire retrouver une place honorable dans le troupeau. Une honte démonstrative, une mauvaise conscience étalée sur la place publique seront bienvenues mais, comme on l’a vu avec Caroline Cayeux, pas toujours suffisantes. S’il parvient malgré tout à sauver son poste, son métier, sa situation sociale et un peu de considération compatissante de ses congénères, le repenti ne devra pas oublier que l’autocensure est la meilleure garante de sa survie dans ce monde totalitaire. Devenu trop faible ou trop lâche pour tenir tête aux Torquemada modernes, le mieux que nous puissions cyniquement lui conseiller est de se convertir aux nouvelles religions mises à sa disposition ou, mieux encore, de devenir le prêtre intransigeant d’une des nombreuses chapelles qui composent ces dernières. Ça se fait beaucoup ces derniers temps [1], les universités et les milieux politico-médiatiques sont pleins de cette nouvelle race d’inquisiteurs qui n’ont plus qu’un ordre à la bouche, le même que celui des révolutionnaires en chef de 1789 : Crois ou meurs ! [2] ■
[1] Sciences Po, toujours à la pointe du wokisme, vient d’annuler le séminaire « Biologie, évolution et genre » de Leonardo Orlando et Peggy Sastre. Malgré les explications « scientifiques » de la direction de Sciences Po, il semblerait bien que cette dernière préfère, au lieu de l’enseignement sur l’évolution par le biais de la biologie et de la théorie darwinienne, les seules théories très peu scientifiques et totalement idéologiques sur le genre. Butler à la place de Darwin. Le « ressenti » de genre à la place de la biologie. Vivement les prochains discours des diplômés de Sciences Po.
[2] Citation reprise dans l’ouvrage éponyme de Claude Quétel (Éditions Tallandier) : « “Crois ou meurs ! Voilà l’anathème que prononcent les esprits ardents au nom de la liberté!” Ainsi s’indigne le journaliste Jacques Mallet du Pan dans le Mercure de France du 16 octobre 1789, au tout début de la Révolution. »
* Amateur de livres et de musique, scrutateur des mouvements du monde.