Par Pierre Builly.
Le siège de l’Alcazar d’Augusto Genina (1940).
Comment se faire des amis.
En faisant l’autre jour quelques recherches, à propos de Macao, l’enfer du jeu sur Mireille Balin, je me suis aperçu qu’elle avait tourné, en 1940, sous la direction d’Augusto Genina ce Siège de l’Alcazar, que j’aimerais bien voir et pour qui je vote, sans le moindre espoir de voir jamais mon vœu exaucé.
Il est certain que 1940 n’était pas une date formidable pour se produire dans un film dédié à l’héroïsme des Cadets qui, sous la direction du colonel Moscardo, défendirent la citadelle de Tolède du 22 juillet au 26 septembre 1936, pour un des épisodes les plus mythiques de la Guerre civile d’Espagne, qui en compte tant. Mais on choisit rarement l’époque idéale, et Mireille Balin, jolie fille écervelée qui, plus tard se prit de passion pour un colonel autrichien et fut violée à la Libération, n’était pas une tête très calculatrice.
Il est vrai aussi que ce qui parait aujourd’hui clair comme de l’eau de roche l’était moins à l’époque et que les puissances alliées ont espéré jusqu’au bout que Benito Mussolini demeurerait neutre dans un conflit où il ne déclara la guerre à la France et à la Grande-Bretagne que le 10 juin 1940, au moment où le Gouvernement français quittait Paris pour Bordeaux et où, si j’ose écrire, les carottes étaient cuites, la défaite consommée et le triomphe facile.
Mais ce qui s’était passé presque quatre ans auparavant à Tolède, au tout début de la Guerre civile, bien peu le savent aujourd’hui et l’édition du film de Genina ne serait pas mauvaise pour le rappeler.
Et puis je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de films qui se placent du côté du Soulèvement national et qui déploient la riche mythologie d’un martyrologe aussi émouvant. L’admirable Mourir à Madrid de Frédéric Rossif évoque un peu Le siège de l’Alcazar, mais ne s’étend pas vraiment, puisqu’il couvre la totalité de la durée du conflit.
Pendant deux mois, donc, l’Alcazar de Tolède, vieille forteresse dominant la ville où se sont barricadées 2000 personnes, dont 600 femmes et enfants, a résisté aux assauts d’une petite dizaine de milliers d’assiégeants puissamment armés et a fini par être libéré par les regulares du Général Varela qui, remontant d’Andalousie vers Madrid, s’étaient détournés de leur chemin, sur l’ordre du Général Franco, dans une très belle opération de communication politique.
Je ne doute pas que le film de Genina présente un des épisodes les plus émouvants – et les plus controversés – du siège : l’assassinat de Luis Moscardo, âgé de 17 ans, fils du colonel rebelle, fait prisonnier par les Républicains et qui ne serait remis à son père que si celui-ci faisait reddition ; le dialogue – réellement bouleversant – entre le père et le fils (Pour sauver ta vie, mon fils, ils veulent me prendre l’honneur et celui de tous ceux qui me sont confiés… Non, je ne livrerai pas l’Alcazar… Remets donc ton âme à Dieu, mon enfant, et que Sa volonté soit faite) qui fut contesté, ne l’est plus guère, désormais.
Épisode désolant d’une désolante guerre civile, j’imagine le film qui en est tiré univoque et hagiographique en diable. Et alors ? Si l’on croit que n’est pas univoque et hagiographique Le cuirassé Potemkine…
17 juin 2008.
Je désespérais de jamais regarder ce film de propagande d’Augusto Genina, superproduction italo-espagnole tout à la gloire des défenseurs obstinés de l’Alcazar de Tolède qui ont résisté 68 jours à un déluge de fer et de feu et dont la libération, le 23 septembre 1936, assit définitivement le Général Franco comme le chef du Soulèvement national. Symbole pour les deux camps, le siège de la vieille forteresse édifiée à la demande de Charles Quint, au 16ème siècle a suscité une abondante littérature et comporte suffisamment d’éléments dramatiques pour nourrir à la fois récit historique, récit de guerre, récit romanesque. Et cela le réalisateur italien y parvient à merveille.
Car voilà qu’un mystérieux, bienveillant et habile magicien m’a permis de voir Le siège de l’Alcazar dans sa version italienne sous-titrée ; cela alors que le film n’a jamais été distribué en France. Et que j’en ai été enchanté. Et que, même si on ne partage pas un engagement résolu du côté nationaliste, on peut tout à fait regarder le film comme un grand spectacle extrêmement bien filmé et scandé, comme on peut, au demeurant, regarder les films de propagande quand ils sont de belle qualité, comme Le cuirassé Potemkine et les autres films d’Eisenstein, comme Le triomphe de la volonté et les autres films de Leni Riefenstahl.
D’abord le film n’est pas lourdement didactique et, s’il suit assez exactement les épisodes du siège, les espérances et les désespoirs, les angoisses et les moments de joie, les péripéties héroïques ou tragiques, il ne s’aventure pas sur le chemin des raisons et justifications. À peine, au début, évoque-t-il l’atmosphère étouffante de l’Espagne du printemps 1936, après que le modéré président de la République Alcala-Zamora a été destitué par la Gauche au profit du socialiste Manuel Azaña ; à peine passe-t-on quelque temps aux Cortès (l’Assemblée nationale) lorsque le leader de la Droite Calvo Sotelo proteste, lors de la séance du 16 juin, contre les assassinats de prêtres et où il est vilipendé par la Gauche aussi unie que haineuse ; et encore ne présente-t-on pas l’invective de Dolores Ibarruri (la Passionaria) qui lance : Cet homme vient de parler pour la dernière fois !. Et de fait Calvo Sotelo sera assassiné moins d’un mois plus tard, le 13 juillet. D’où le soulèvement des 17/18 juillet.
Mais dans le film de Genina on n’approfondit pas les choses : on tresse simplement les intrigues. Redisons une dernière fois que le film prend clairement son parti : il présente la plupart des Rouges comme des brutes avinées, à face de groins de porcs et les nationalistes comme des paladins merveilleux : c’est la loi du genre et on ne chipotera pas le metteur en scène là-dessus. Donc, d’abord, on fait connaissance avec les principaux protagonistes du film : le beau capitaine Vela (Fosco Giachetti) et deux jeunes filles de bonne famille, l’une, Conchita (Maria Denis), sage et fiancée à un des Cadets de l’Académie militaire, Francisco (Aldo Fiorelli), l’autre, Conchita (Mireille Balin) oiselle séductrice et désinvolte, habituée à la légèreté mais dont le siège révélera la nature profonde et attachante.
Lier les cheminements de l’amour et les grandes vagues de l’Histoire est un des vieux trucs du cinéma : cela permet de faire avancer de conserve les événements et d’insérer les uns dans les autres de façon assez heureuse. Le siège de l’Alcazar est assez bien construit pour qu’on puisse tout à la fois se passionner pour la violence des affrontements et les péripéties qui les entourent, exactement rapportées, et pour les histoires amoureuses qui se nouent dans la forteresse. C’est simple, clair, évidemment prévisible, on a tout son soûl d’émotions heureuses ou désolantes, on frémit, on espère, on se demande comment ça va finir.
Voilà un assez bon signe pour un récit, d’ailleurs : lorsque l’on connaît la fin de l’histoire et l’issue des inquiétudes et qu’on est pourtant haletant à se poser des questions (du type Jésus sera-t-il vraiment crucifié ? ou Louis XVI parviendra-t-il à rejoindre ses troupes après Varennes ?) c’est que le réalisateur a su réussir son affaire. Et voilà un film où, lorsqu’on connaît la suite, on est bien content lorsque la Cavalerie (c’est-à-dire la colonne du Général Varela) fait résonner les sons de son clairon !
Il n’y a aucune chance pour que ce film qui exalte à la fois l’héroïsme de patriotes et la défaite des Rouges soit jamais édité. C’est bien dommage. Au delà des convictions de chacun, il vaut la peine. Est-il besoin d’ajouter que Mireille Balin y est extrêmement séduisante ?
31 mai 2021 ■
DVD : le film n’est jamais paru en DVD.
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Genina a raison. Les rouges sont des porcs avinés et les nationalistes des paladins merveilleux.
Mireille Balin, pour « écervelée » qu’elle fût, ne perdit jamais sa dignité dans la pauvreté abyssale où elle finit ses jours en 1968, à l’âge de 59 ans. Tous ses biens lui avaient été confisqués et personne ne voulait plus lui donner de rôle. Curieusement, le colonel bavarois se prétendant autrichien qui avait été la cause des malheurs de l’actrice lui survécut dix ans, et trouva un travail en tant que membre des services secrets français(!)
@Antiquus : Si j’ai qualifié d' »écervelée » la pauvre, belle et digne Mireille Balin, c’est sans doute parce que sa vie l’ été : maîtresse d’un boxeur (le champion du monde Young Perez), d’un homme d’affaires qui touchait à la politique (Raymond Patenôtre), d’immenses vedettes de l’époque (Jean Gabin, Tino Rossi), elle a incarné – quelquefois un peu accablée par cette situation – la garce faucheuse d’hommes que l’époque aimait voir au cinéma (admirables « Pépé le Mocko » de Julien Duvivier, « Gueule d’amour » de Jean Grémillon).
Un peu comme Viviane Romance. Mais celle-ci, qui avait pourtant fait le fameux et déplorable » Voyage à Berlin » d’août 1943 s’en est mieux sortie et a repris une petite carrière à la Libération. Mireille Balin, réduite à la misère, a survécu grâce à l’oeuvre charitable « La roue tourne ». À son enterrement, en novembre 1968, le seul réalisateur Jean Delannoy (avec qui elle avait tourné « Macao l’enfer du jeu) était présent, alors qu’elle avait été surnommée « La plus belle chute de reins de Paris ».
Triste humanité !
Il fait partie des films contestés mais dont le déroulement est d’un grand intérêt. Je ne peux trop contester le metteur en scène qui se trouve être un très lointain cousin…