Par Jacques MYARD.
Membre Honoraire du Parlement, Maire de Maisons-Laffitte Président du Cercle Nation et République Président de l’Académie du Gaullisme.
Tribune. La guerre en Ukraine a profondément bouleversé et choqué l’opinion publique européenne et occidentale : agression militaire d’un État, indépendant et membre des Nations unies !
C’est là, prima facie, une évidence pour nombre d’observateurs qui estiment que la Russie est sans conteste l’agresseur. Relevons qu’au regard du droit international, cette agression est identique à l’agression américaine contre l’Irak le 20 mars 2003, n’en déplaise aux oublieux.
Certains experts s’interrogent néanmoins sur les motivations du Kremlin et émettent l’hypothèse que cette opération militaire serait une guerre préemptive pour prévenir une attaque ukrainienne contre les deux républiques du Donbass reconnues par Moscou. Guerre préemptive ou non, peu importe au demeurant, car l’attaque russe est aux yeux du monde une réalité incontestable.
En conséquence, l’agresseur doit être sanctionné. Les États européens et l’Union européenne se sont alors lancés avec confiance dans une politique de sanctions tous azimuts pour contraindre la Russie de Poutine à cesser son agression ; on a même entendu le ministre des Finances français tonitruer haut et fort, le 1er mars dernier : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ! »… en attendant Godot.
Et c’est là que commencent les surprises :
À la demande de l’Allemagne, le Canada accepte de livrer à Berlin des turbines nécessaires au fonctionnement du gazoduc Nord Stream 1, turbines en cours de réparation à Montréal.
Ô surprise, le porte-parole du département d’État Ned Price affirme sans honte que cette livraison va permettre « à l’Allemagne et d’autres pays européens de reconstituer leurs réserves de gaz, ce qui renforcera leur sécurité et leur résilience énergétiques et contrera les efforts de la Russie pour armer l’énergie » – Si cela n’est pas un superbe oxymore…
Avant les déclarations d’Emmanuel Macron dans son entretien à l’Élysée, le 14 juillet, Élisabeth Borne annonce sans rire qu’en raison de l’arrêt de la livraison du gaz, les Français devront se serrer la ceinture, de surcroît, la France devra être solidaire avec ses partenaires européens en leur livrant… du gaz !
C’est l’histoire de l’arroseur arrosé : les sanctions devaient contraindre la Russie de Poutine à le mettre à genoux, et ce sont les économies françaises et surtout allemandes qui sont directement frappées par les sanctions.
Regardons la réalité en face :
Cette guerre est d’abord une guerre civile russo-ukrainienne, elle a une proto-histoire depuis plus d’un siècle, chargée de haines et de rancœurs.
La Russie, dont l’état d’esprit n’a guère changé depuis l’URSS, ne peut accepter d’avoir pour voisin immédiat un pays qui serait membre de l’OTAN. Or, les États-Unis ne cachent pas leur volonté, depuis le sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008, de faire adhérer l’Ukraine à l’Alliance, conformément au processus du MAP, Membership Action Plan.
À ce titre, le soutien de Washington à l’armée ukrainienne depuis 2014 après les événements de la place Maïdan ne s‘est jamais démenti. Le 10 novembre 2021 Anthony Blinken, secrétaire d’État américain, et son homologue ukrainien, Dmitry Kuleba, ont signé la Charte de partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Ukraine, qui illustre parfaitement les liens militaires et politiques entre les deux pays.
Aujourd’hui, la réalité est simple : cette guerre est devenue une guerre américano-russe par l’intermédiaire des Ukrainiens. Washington a besoin de retrouver une crédibilité après ses échecs en Afghanistan, sans remonter jusqu’à l’envol de l’hélicoptère du toit de l’ambassade américaine à Saïgon, le 30 avril 1975.
L’enjeu de la crédibilité américaine s’appelle aujourd’hui Taïwan face à la Chine !
Quelle doit être notre politique ?
Sur le plan humanitaire, nous nous devons de continuer à aider les réfugiés ukrainiens, comme le font de multiples communes de France. Il n’y a aucune discussion possible sur ce point.
Mais cette guerre n’est pas la nôtre, armer les Ukrainiens est une faute. C’est une illusion de croire que Kiev peut l’emporter, armer Kiev, c’est « encourager l’Ukraine à suivre le chemin des victoires imaginaires », comme le dit le professeur américain John Mearsheimer : dans sa conférence à Florence du 16 juin dernier.
La stratégie américaine a pour effet de pousser la Russie à se rapprocher de la Chine, dans une alliance de revers contre l’Europe et les États-Unis ; la plus grande partie des pays de la planète se désolidarisent de l’Occident, si tant est que ce dernier concept ait une unité politique.
Washington, en désignant la Russie comme l’ennemi parfait, réussit surtout à rassembler les pays d’Europe sous la tutelle otanienne, une machine américaine !
Nous devons changer de politique. Il ne s’agit pas d’embrasser Poutine sur la bouche, mais nous devons sortir de ces sanctions multilatérales qui ne font qu’accroître les tensions avec le risque avéré de l’escalade et déstabilisent notre économie !
La France doit retrouver son indépendance. Il n’y a de politique que dans une vision de long terme.
« La politique et la stratégie de la guerre ne sont qu’une perpétuelle concurrence entre le bon sens et l’erreur », disait Charles de Gaulle. Il y a urgence à sortir de l’erreur ! ■
Tribune diffusée dans la presse le 18 courant.
Le texte de la citation de Charles de Gaulle figurant à la fin de la Tribune de l’auteur ajoute un certain lustre à son propos mais tombe plutôt mal à propos dans le cas de l’affaire ukrainienne. En juin 1940, c’est bien le général de Gaulle qui prônait la poursuite de la guerre (à outrance) contre l’Allemagne nazie plutôt que la recherche d’une solution politique négociée avec cette dernière. Solution politique négociée que que le maréchal Pétain dûment investi avec les pleins pouvoirs par la Chambre des députés se fit fort de trouver et trouva d’une certaine manière même si la France n’en n’est pas sortie grandie si l’on en juge par les débats virulents et toujours très actuels sur la question ….
Mais, trêve de polémique stérile, le sujet de l’opération militaire spéciale de Vladimir Poutine en Ukraine est beaucoup trop sérieux et grave de conséquences pour l’Europe pour se limiter à des arguments à courte vue.
La France est une très importante partie prenante dans l’Europe qui se construit brique après brique depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Malgré les crises multiples et périodiques survenant entre les divers pays participants à la construction européenne depuis au moins soixante dix ans grosso modo, l’accomplissement majeur de cette construction a consisté à rendre quasiment impensables, pour ne pas dire impossibles, de nouveaux conflits armés entre les grandes nations européennes pour se limiter à elles. En deux mil ans d’histoire européenne sans remonter plus loin pour ne pas se perdre dans un passé trop lointain, constituée de guerres continuelles avec toutes les dévastations humaines et matérielles qu’elles ont occasionnées, les nations européennes ont tout lieu de se réjouir de leur capacité à surmonter les difficultés entre elles pour trouver tant bien que mal des solutions négociées et préserver ainsi la paix entre elles.
Poutine prétend interdire à l’Ukraine de se choisir un destin européen auquel sa qualité de nation indépendante lui permet d’aspirer et veut la contraindre en utilisant la force la plus brutale à (re)devenir prisonnière d’un empire auquel elle se sent de toute évidence étrangère désormais.