Par Régis de Castelnau sur Front Populaire.
Cet article a été publié le 27 juillet dans Front Populaire. Avec toujours cette forme de radicalité qui est la marque de la réflexion de Régis de Castelnau. Mais avec la précision et la cohérence qui révèle la logique de l’avocat. La matière – la succession des « affaires » qui émaillent le(s) quinquennat(s) Macron – est grave ! Elle n’a pas à être enrobée de sucrerie, de gentillesses, de circonlocutions et de concessions. La lucidité assez féroce de Régis de Castelnau est un service rendu au Pays et à se habitants. Sans vouloir trop en profiter pour ramener la couverture à nous, nous rappellerons cette définition de la monarchie, de Pierre Boutang : « Le seul régime qui ne s’achète pas par l’argent ».
OPINION. En visite le 26 juillet au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau, Emmanuel Macron a notamment déclaré qu’il fallait aider l’Afrique « à réguler les sujets de corruption qui sont un fléau pour le continent africain ». Régis de Castelnau rappelle qu’en matière de corruption, le président de la République en connaît un rayon…
Emmanuel Macron, dans la grande tradition de la Françafrique, est allé donner des leçons aux dirigeants africains. Bardé de son arrogance, il les a traités d’hypocrites parce qu’ils n’ont pas jugé bon de soutenir ses positions atlantistes concernant la guerre en Ukraine. Il est vrai que la façon dont était reçu Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russes, en tournée dans le même continent, avait de quoi agacer. Mais là où Emmanuel Macron a vraiment fait une nouvelle démonstration de son merveilleux culot, c’est lorsqu’il a proposé « d’aider à réguler les sujets de corruption qui sont un fléau pour le continent africain. »
D’abord parce qu’on va rappeler que le système de l’influence française sur son ancien empire colonial a reposé de tout temps sur une corruption massive. Certains dirigeants installés par les Français sont là depuis des décennies, et disposent de fortunes immenses qui ont souvent permis des financements politiques en France et l’arrosage de quelques amis. Depuis les indépendances, gare à ceux qui ont voulu comme Thomas Sankara assurer leur souveraineté et lutter contre la corruption.
Ensuite parce que le donneur de leçons bénéficie effectivement d’une très belle expérience dans le domaine de la corruption d’État. Et c’est malheureusement ce qui caractérise aussi aujourd’hui son pouvoir, que ce soit dans la façon dont il l’a pris ou dans sa façon de l’exercer.
Livrons-nous à un petit passage en revue de quelques exemples, la liste n’étant bien sûr pas exhaustive mais spectaculaire concernant les montants en cause.
Les affaires Alstom et McKinsey encalminées
L’affaire Alstom bien sûr, celle pour laquelle Jean-Pierre Chevènement, rallié énamouré à Macron, a considéré « que l’on avait été bien injuste » avec celui-ci. Ce n’est pas l’avis du président de la commission parlementaire d’enquête Olivier Marleix qui a pointé les sommes faramineuses et inutiles versées par Alstom à des intervenants privés, dès lors qu’Emmanuel Macron est devenu ministre de l’Économie de François Hollande. Et qui a révélé que l’on avait retrouvé tous ces bénéficiaires parmi les gros contributeurs de la campagne présidentielle de 2017, et les organisateurs des collectes de fonds. En droit français, le Code pénal qualifie la fourniture de ces avantages (les sommes versées par Alstom) assortie de contreparties pour le décideur public (le financement de la campagne) de corruption. Celle visée par l’article 433–1 dudit code. Devant l’évidence de l’infraction le parlementaire a saisi le parquet de Paris. Celui-ci s’est paisiblement assoupi sur ce dossier et refuse obstinément de lui donner la suite judiciaire qu’il mérite. Les sommes en jeu dépassent la centaine de millions d’euros.
Il y a aussi l’affaire McKinsey, dont le scandale a éclaté pendant la campagne présidentielle 2022. Le problème n’est pas tant l’aspect fiscal qui voit le cabinet de conseil préféré du système Macron être dispensé activement et passivement de payer ses impôts en France. Le Parquet National Financier (PNF), qui n’est pas à un déshonneur près, avait obstinément refusé de bouger. Contraint de faire quelque chose par une bronca médiatique, il s’est contenté de se raccrocher à une procédure fiscale parfaitement secondaire. Alors que le problème de fond est celui du recours systématique et massif aux cabinets de conseil externe pour des sommes de plusieurs milliards d’euros. Qui pose la question d’abord de la corruption et ensuite du délit de favoritisme.
De nombreux cabinets de conseil sont concernés, mais avec une mention spéciale quand même pour McKinsey. Voilà des gens qui ont participé au financement de la campagne 2017 – ce qui pose déjà un problème –, mais ont mis bénévolement des collaborateurs à la disposition de l’équipe du candidat Macron ! Alors à l’évidence, il faudrait ouvrir une information judiciaire qui permette de savoir si les marchés de McKinsey étaient la contrepartie de cet apport gratuit, ce que l’on appelle le pacte de corruption.
Les travaux de la commission sénatoriale d’enquête sur l’intervention des cabinets de conseil ont permis de pointer l’inutilité de nombre de commandes, voire que certaines avaient été réglées sans que la prestation ait été fournie ! Pour établir la corruption, il faut prouver le pacte, c’est-à-dire le lien entre l’avantage fourni par l’acheteur public, soit en l’occurrence un marché, et le versement sous quelque forme que ce soit d’une contrepartie. Ce n’est pas toujours facile, alors le législateur a prévu le fameux « délit de favoritisme » prévu et réprimé par l’article 432-14 Code pénal. L’infraction est constituée par la violation délibérée des règles destinées à garantir la liberté et l’égalité d’accès à la commande publique. Il n’est pas besoin de prouver l’existence d’une contrepartie, le simple constat de la violation des règles ayant permis l’attribution est suffisant. Il ne devrait pas être bien compliqué de passer à la moulinette les différents marchés accordés aux cabinets amis, et de vérifier ainsi ceux qui étaient de complaisance.
L’auteur de ces lignes dispose dans ce domaine d’une certaine expérience professionnelle qui nourrit la conviction que la plupart des mises en concurrence devaient relever de la plaisanterie. Et bien sûr, malgré tous ces lourds soupçons, malgré le travail de la commission parlementaire, le Parquet national financier et ses magistrats restent obstinément muets. On peut également être surpris du silence de l’association Anticor – agréée par Jean Castex – qui, dotée de la capacité de saisir la justice, évite jusqu’à présent de s’en servir.
Uber, Macron influenceur
Il y a désormais l’affaire Uber, où l’on a appris qu’Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie se serait livré à un intense et occulte travail de lobbying au profit de la multinationale américaine, et ce afin de contrer les orientations politiques du gouvernement auquel il appartenait ! Court-circuitant la hiérarchie, bénéficiant des informations liées à sa fonction, il aurait travaillé clandestinement à la défense d’intérêts privés. Cette information pose déjà un problème moral et politique considérable. Mais que dire lorsque l’on apprend que comme pour Alstom et McKinsey, le bénéficiaire de ces interventions clandestines a contribué sous plusieurs formes à la campagne électorale de Macron ! Nouvelle infraction du « Chapitre des atteintes à la probité » du Code pénal qui réprime le trafic d’influence dans son article 433-2, c’est-à-dire le fait d’user de son influence pour faire prendre à la personne publique une décision favorable et bénéficier pour cela d’une contrepartie, quelle que soit sa forme. Emmanuel Macron, c’est avéré, a usé (et abusé) d’une influence liée à ses responsabilités publiques, et a bénéficié d’une contrepartie avec le financement de sa campagne. Même s’il appartient au juge de le dire, il devient difficile de prétendre que l’infraction n’est pas constituée.
Interrogé sur ce problème, Emmanuel Macron a fait comme d’habitude. D’abord en se moquant du monde et ensuite en usant de sa désinvolture arrogante. « Je n’ai pas du tout aidé Uber, aucun élément n’a montré que j’étais sous influence » nous dit-il. Monsieur le président, problème posé par le trafic d’influence, et vous le savez bien, n’est pas que vous ayez été sous influence ! C’est que vous ayez usé (et abusé) de façon occulte de la vôtre. En un mot que vous en ayez fait commerce, comme permet de le soupçonner les soutiens d’Uber à votre campagne électorale. On ne s’étendra pas sur la grossièreté arrogante des références à vos parties génitales lorsque vous réagissez à une question (pourtant majeure) de morale publique. Et naturellement, ni le PNF ni le parquet de Paris, soutiens obstinés d’Emmanuel Macron et de son système, ne vont bouger. La canicule, probablement…
Il ne faut cependant pas être trop sévère avec la justice, puisque la veille du départ du président en Afrique pour y disserter sur « la régulation des sujets de corruption qui sont un fléau pour l’Afrique » un juge d’instruction a opportunément et spectaculairement mis en examen quatre enfants d’Omar Bongo dans une affaire de « Biens mal acquis ». Hasard du calendrier, sans doute…
Il n’empêche qu’effectivement Emmanuel Macron est particulièrement bien placé pour donner des leçons de morale publique. Parce qu’il y a les affaires le concernant directement, mais aussi celles de son entourage et de ses amis. Force est de constater que jusqu’à présent, pas une égratignure judiciaire n’est à déplorer.
Chapeau l’expert. ■
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