Par Michel Onfray sur Front Populaire.
Cet article est paru le 1er août dans Front Populaire. (Se reporter à notre brève introduction à la vidéo de Michel Onfray publiée en tête de JSF de ce jour). Front Populaire publie d’ailleurs sur son même portail une deuxième tribune d’Onfray contre Robespierre et les modernes robespierristes. Nous la publierons demain. Nous ne devons pas ignorer, surtout dans l’univers « déconstructeur » où nous sommes plongés, le courant de réaction qui opère aujourd’hui à l’égard des formes diverses anciennes ou « modernes » (?) de l’idéologie révolutionnaire. Onfray n’est pas seul, loin s’en faut, à dresser une critique de fond de la Révolution. Elle gagne aussi toute une jeune génération d’intellectuels brillants auxquels, par définition, nous devons être attentifs. Les tendances actuelles ne sont pas nécessairement faites de ce que croient, ce à quoi sont sensibles, les plus anciens d’entre nous. Confrontés aujourd’hui à des formes radicales et extrêmes de la Révolution, une frange non négligeable des nouvelles générations est tentée par la remise en cause de leur origine et de leur fondement. A suivre, nécessairement.
EDITO. Le 28 juillet, trois députés de La France Insoumise (LFI) ont « rendu hommage » à Maximilien de Robespierre lors d’un déplacement à Arras, ville natale de « l’Incorruptible », à l’occasion du 228ème anniversaire de son exécution. Pour Michel Onfray, honorer ainsi Robespierre revient à nier les crimes de la Terreur, en plus de trahir une conception dangereuse de l’Histoire et de la violence en politique.
Choisir aujourd’hui la figure de Robespierre, c’est annoncer la couleur : c’est toujours celle du sang.
La chose est entendue avec le Maréchal Pétain : on estime qu’on ne saurait célébrer le vainqueur de Verdun en économisant le fait qu’il fut aussi l’homme de la collaboration avec les nazis. Déposer une gerbe à l’homme qui a vaincu les Allemands lors de la Première Guerre mondiale, comme le fit longtemps le président François Mitterrand, ne saurait se faire sans fleurir en même temps celui qui est allé au devant des désirs de l’occupant lors de la Deuxième. Car l’un est l’autre, l’autre est l’un, et l’on ne saurait refuser l’unité d’un être sans pratiquer soi-même une certaine schizophrénie grâce à laquelle on croit pouvoir dissocier l’un de l’autre comme on séparerait le bon grain de l’ivraie.Avec cette façon de procéder qui extrait ce qui est utile à l’idéologie en jetant le reste de l’être et de l’œuvre aux poubelles de l’Histoire, les amis des animaux pourraient célébrer Adolf Hitler eu égard aux chiens qu’il aimait et à la législation nazie très en faveur des oies dont il interdisait le gavage, mais il leur faudrait alors estimer que l’instigateur de la Solution finale et de la mise à feu et à sang de l’Europe, serait un autre homme… Chacun voit bien ici comment fonctionne le paralogisme.
Pourquoi donc faut-il qu’avec Robespierre il en aille autrement et que certains puissent aimer l’un, celui des droits de l’homme et de la Vertu, l’opposant à la guerre et à la peine de mort, en estimant qu’il n’a rien à voir avec l’autre, qui promeut la Loi des suspects, le Tribunal révolutionnaire, le gouvernement par la Terreur, le génocide vendéen et le recours effréné à la guillotine ?
Car c’est ainsi que fonctionnent les robespierristes, et ils sont nombreux ces temps-ci. Quand ils veulent sauver leur héros et qu’ils n’ont pas le front de franchement légitimer les deux cent mille morts de la Révolution française, ils escamotent les moments les plus terroristes de Robespierre pour les transformer en détail d’une histoire qui marcherait vers son accomplissement radieux…
Il faut penser un être dialectiquement et ne jamais l’essentialiser tout entier : Robespierre fut en effet un opposant à la peine de mort, mais seulement dans un discours resté fameux du 30 mai 1791, car il fut aussi, et de manière plus constante, un farouche partisan de la même peine de mort avec Louis XVI et Marie-Antoinette, avec Charlotte Corday et avec les charrettes de girondins, d’hébertistes, avec son ami Desmoulins et sa femme Lucile, avec Anacharsis Cloots et ses amis athées, avec Jacques Roux et ses enragés ainsi qu’avec tous ceux dont il estimait qu’ils n’avaient pas fait assez dans l’ordre des raisons révolutionnaires selon son caprice – sans oublier tous les Vendéens dont il décrète la mort du fait qu’ils sont ce qu’ils sont, et non pas du fait qu’ils auraient fait ce qu’ils auraient fait. Or, donner l’ordre de massacrer une population du simple fait qu’elle est ce qu’elle est, et non qu’elle ait fait ceci ou cela, c’est la définition même du crime de masse génocidaire.
L’homme qui proclame à la tribune de la Constituante: « Je viens prier, non les dieux, mais les législateurs, qui doivent être les organes et les interprètes des lois éternelles que la divinité a dictées aux hommes, d’effacer du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur constitution nouvelle. Je veux leur prouver: 1° que la peine de mort est essentiellement injuste; 2° qu’elle n’est pas la plus réprimante des peines, et qu’elle multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne les prévient » est en effet, à cette date un opposant à la peine de mort. Mais à cette date seulement…
Comme il n’est pas sot et qu’il a la mémoire des choses qu’il proclame à la tribune, d’autant que tout est noté, Robespierre affirme à la Convention le 3 décembre 1792 : « Pour moi, j’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois, et je n’ai pour Louis ni amour ni haine ; je ne hais que les forfaits. J’ai demandé l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée que vous nommez maintenant Constituante, et ce n’est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais vous, si vous ne vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux, dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du plus grand de tous les criminels ? Vous demandez une exception à la peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer ? Oui, la peine de mort en général est un crime, et par cette raison seule que, d’après les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus et du corps social. Or, jamais la république ne la provoque contre les délits ordinaires, parce que la société peut toujours les prévenir par d’autres moyens, et mettre le coupable dans l’impuissance de lui nuire. Mais un roi détrôné au sein d’une révolution qui n’est rien moins que cimentée par les lois, un roi dont le nom seul attire le fléau de la guerre sur la nation agitée, ni la prison, ni l’exil ne peut rendre son existence indifférente au bonheur public; et cette cruelle exception aux lois ordinaires que la justice avoue, ne peut être imputée qu’à la nature de ses crimes. Je prononce à regret cette fatale vérité… Mais Louis doit mourir, parce qu’il faut que la patrie vive. »
Ce qui, délivré de la sophistique et de la rhétorique, du salmigondis d’avocat et de la perfidie jésuite, du jargon jacobin et de la péroraison d’orateur, donne ceci : « Je suis contre la peine de mort, sauf quand je suis pour… » Mais aussi : « Je n’ai pas de haine contre Louis XVI, mais je hais Louis. » Ou bien encore : « La peine de mort est un crime, sauf quand je la décrète. » Voire également : « La République ne veut jamais le châtiment suprême, sauf quand elle doit le décider. » Orwell n’aura qu’à se baisser pour ramasser ces premières perles d’un penseur de l’État totalitaire.
Robespierre, qui est contre la peine de mort, sauf quand il est pour, est également un républicain emblématique, sauf quand il est un monarchiste avéré, comme l’année qui suit sa proclamation abolitionniste… Or, on ne sache pas que les robespierristes défendent la monarchie en se réclamant du Robespierre qui proclame à la tribune des Jacobins : « Écartons ce mot de « républicain ». Le mot « républicain » n’est rien, ne nous donne rien des avantages que présente la chose, que nous assure notre Constitution. » Il dit alors clairement qu’il soutient la monarchie constitutionnelle – pas la république… Lisons plus loin : « Je déclare, moi, et je le fais au nom de la société qui ne me démentira pas, que je préfère l’individu que le hasard, la naissance, les circonstances nous ont donné pour roi à tous les rois qu’on voudrait nous donner. » Il est donc à cette époque véritablement monarchiste. Nous sommes le 2 mars 1792, la Révolution va bientôt fêter ses trois ans…
Le même Robespierre est également contre la guerre. Or il a d’abord été pour, mais, comme les Girondins l’étaient aussi, pour des raisons de basses manœuvres et de politique politicienne, il se déclare contre… Pour quelles raisons? À rebours de toute lecture rétrospective qui lui décernerait à cette occasion un brevet d’antimilitarisme (une occasion de lauriers dans notre époque…), il craint qu’un chef de guerre auréolé par le prestige de conquêtes militaires puisse ensuite revendiquer un pouvoir dont il estime qu’il lui revient de droit – puisqu’il résume à lui seul le peuple et la Vertu… Post mortem, Bonaparte lui donnera raison : la gloire militaire fonde une légitimité politique.
Où l’on voit qu’une théorie du prélèvement permet de disposer d’un Robespierre farouche opposant à la peine de mort en mai 1791, mais aussi chaud partisan de son utilisation à partir de 1792 ; ou bien encore d’un Robespierre défendant la monarchie constitutionnelle en mars 1792, mais aussi quelques mois plus tard estimant que quiconque n’est pas républicain mérite le rasoir de la guillotine ; ou encore d’un Robespierre partisan de la guerre européenne fin 1791, mais aussi opposant à cette même guerre dès 1792… C’est le premier homme du « en même temps »…
Mais où est donc Robespierre? Non pas dans un moment de sa vie qu’il serait utile de placer dans un rond de lumière afin de rejeter le restant dans l’ombre, mais dans son évolution et sa position finale, dans sa totalité, dans l’aboutissement de son mouvement dialectique : ne raconter que le Robespierre abolitionniste de mai 1791, c’est rendre intellectuellement impossible le tyran sanguinaire qu’il fut pendant la Terreur et qui, justement fait de la peine de mort un instrument politique. Car la loi de Prairial, qui fut écrite par Couthon mais sous sa dictée, permettait que le châtiment suprême devienne un instrument de gouvernement dont il fit un usage abondant, avant qu’il ne l’emporte lui-même dans la folie.
Ne voir dans Robespierre que l’homme de mai 1791, c’est : soit estimer que l’homme de la Terreur n’a pas eu lieu, ce qui est purement et simplement négationnisme ; soit savoir qu’il fut bien cet homme-là, mais le cacher afin de permettre à d’autres qui s’en réclameraient aujourd’hui d’agir comme lui le jour où ils parviendraient au pouvoir – ce qui est alors cynisme et machiavélisme. Il faut cacher ses intentions véritables par un discours ensorceleur.
Quoi qu’il en soit, sauver Robespierre, c’est toujours opter pour l’une de ces trois instances contraires à la Vertu qu’il prétendait tant tenir en haute estime : le négationnisme, le cynisme, le machiavélisme. A moins qu’il ne s’agisse de faire de ces trois vices de nouvelles vertus révolutionnaires… Dans ces cas-là, il faut le dire. Plus tard, Trotski se fera fort de théoriser la chose dans Leur morale et la nôtre.
La Révolution française comporte d’autres figures à célébrer, dont des femmes de la Gironde telles Olympe de Gouges ou Charlotte Corday, Madame Roland ou Germaine de Staël, sinon Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. Il est vrai que Robespierre a fait raccourcir les trois premières, que la quatrième a eu le temps de quitter la France qui célébrait alors la Fraternité ou la mort, et que la dernière a été incarcérée à l’asile où elle est morte folle. Choisir aujourd’hui la figure de Robespierre, c’est annoncer la couleur : c’est toujours celle du sang. ■
Source
Article remarquable .
Soit dit en passant , Corbière qui se réfère à Jean Jaurès est bien plus habile que Mélanchon ( le gros rouge qui tâche , c’est lui !) lequel en est encore au culte de Robespierre .
Un point , annexe , peut être , retient l’attention : le 2 mars 1792 ( confer l’article ) Robespierre est encore royaliste .
Avril de la même année , déclaration de guerre par Louis XVI ( pour sauver son trône ? )
3 mois après , les fameuses journées de juin 1792 avec les menaces sur la vie du Roi .
Au XIXe , même erreur commise , sous le Second Empire .
Au XXe , encore la même erreur commise en Russie .
N’ y a -t-il rien de tel qu’une guerre déclarée par une souveraineté chancelante pour aller à sa perte ?
Chancelant, Poutine?
Vous devriez aller faire un tour en Russie, plutôt que de regarder CNN…
J’aurai du écrire , au début du XXe , sous Nicolas II .
Loin de moi , l’idée de penser V.Poutine chancelant , pas plus que d’imaginer la Russie comparable à Cuba pour en embargo , mais c’est un autre sujet et .
Pour ce qui concerne la désinformation ou la non information , l’on parle maintenant sur les médias télévisuels français des incendies , de la chaleur (en été ; on parlera du froid cet hiver ) .
Par contre , calme plat sur le conflit Russo–Ukrainien : à croire que ça tourne mal pour Zelinski et la clique . Mais enfin , le sort en est jeté .
Et les Russes, puisqu’on en parle, ont su, eux, accepter leur passé, tout leur passé : des tsars à Poutine, en passant par les Soviets, et en restaurant leurs églises.
Contrairement aux Français pour qui tout commence un certain 14 juillet…