PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue le 6 août dans Le Journal de Montréal. Nous la reprenons comme bien d’autres depuis assez longtemps, de cette publication d’Outre-Atlantique où Mathieu Bock-Coté continue d’écrire régulièrement. Ce dont il s’agit ici, au fond, au prisme des inquiétantes réalités géostratégiques les plus actuelles, judicieusement rapportées par Bock-Côté, c’est le syndrome éternel de la Guerre de Troie dont la raison raisonnable disait qu’elle n’aurait pas lieu, dont ni Hector, ni Ulysse ne voulaient vraiment et qui pourtant, comme chacun sait, eut lieu. Giraudoux qui vécut deux guerres mondiales dont il fut un fin observateur a décrit cela de façon admirable et l’Histoire en renouvelle régulièrement le déroulement impitoyable.
Le voyage de Nancy Pelosi à Taïwan occupe les esprits. Alors que la situation en Ukraine dominait l’actualité internationale depuis le 24 février, il nous rappelle que les lignes de tension entre les empires sont nombreuses dans le système international, et qu’un nouveau conflit se dessine probablement en Asie.
La Chine, on le sait, n’a jamais toléré l’existence séparée de Taïwan. Pour elle, Taïwan n’est qu’une province rebelle, appelée à rentrer tôt ou tard dans le rang, en réintégrant la « mère patrie ».
De son côté, l’île dissidente joue avec la possibilité de son indépendance formelle. Elle n’ose toutefois pas franchir le pas, sachant que la Chine continentale risquerait, dans les heures suivantes, de l’envahir.
Taïwan
Or, nous le voyons, les remous de la scène internationale laissent croire que la Chine croit peut-être son heure venue. Devenue grande puissance pleinement consciente d’elle-même et grande gagnante indirecte du conflit en Ukraine, elle veut en finir avec ce qu’elle considère être l’anomalie taïwanaise.
Elle tolère de moins en moins, par ailleurs, la garantie américaine donnée à Taïwan de la défendre si la Chine décidait de l’annexer.
Elle y voit la présence illégitime d’un empire étranger dans sa propre zone d’influence.
Un empire étranger, et surtout, un empire en déclin, qui étale à la grandeur du monde sa décadence – une décadence incontestable, ce qui ne rend aucunement les empires autoritaires plus désirables.
Un empire qui s’impose partout au nom d’une conception de la démocratie de moins en moins convaincante, devenue une caricature d’elle-même.
Que se passera-t-il si la Chine décide d’envahir Taïwan ? Les Taïwanais seront assurément les premiers à en souffrir.
L’ambassadeur de Chine en France expliquait récemment sur une chaîne d’information française, que Pékin entendait soumettre les Taïwanais à un processus de « rééducation » après la « réunification » avec la Chine. Et cette réunification ne viendra pas sans invasion militaire.
Mais la question se pose : les Américains voudront-ils s’engager directement contre la Chine alors qu’ils ne l’ont pas fait en Ukraine ?
Derrière la rhétorique sur la démocratie mondiale, on constate la volonté de Washington de demeurer une grande puissance en Asie, et le refus de consentir pour de bon l’hégémonie sur cette région à la Chine.
Prenons un peu de hauteur par rapport aux événements : on annonçait depuis longtemps un monde multipolaire. Il prend forme devant nous.
Empires
Certains espéraient qu’il s’accompagnerait d’un certain équilibre. Pour l’instant, c’est le contraire qui se dessine.
Les empires qui renaissent ou surgissent veulent prouver leur puissance en l’exerçant dans ce qu’ils jugent être leur zone d’influence naturelle, où ils ne tolèrent pas d’autre souveraineté que la leur. Ils croient à la démonstration de force.
Résultat : les points de tension se multiplient. La possibilité d’une montée aux extrêmes se concrétise.
Les empires qui s’entrechoquent n’auront peut-être pas toujours la sagesse de la « guerre froide », et pourraient un jour faire consciemment ou inconsciemment le pas de trop, conduisant aux feux de l’enfer. ■
On pourrait de reporter dans nos archives à l’article suivant :
Notre avant-guerre ? (par Gérard Pol)
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
En fin de vie je constate que l’Homme n’est qu’un homme « animal commun » plus dangereux encore de par ses facultés intellectuelles supérieures .
Qui sait s’il ne détient pas déjà la fin de l’existence terrestre par le Déni de Dieu Salvateur
Une situation lucidement et clairement exposée. Elle saute aux yeux mais apparemment
nos politiques occidentaux n’ont pas d’yeux !
D’accord avec Robert Vachy notre hubris nous perdra.
Le monde est en train de basculer , nos certitudes s’envolent et il faut brûler ce qu’on a adoré et adorer ce qu’on a brûlé. L’être humain dévoré par les robots asservi par Big Brother s’êloigne d’une Nature qui lui fait payer.
L’Europe est devenue petit à petit un protectorat americain (dixit le géneral De Gaulle). Ce qui a toujours été leur projet.