PAR PIERRE BUILLY.
La nuit du 12 de Dominik Moll (2022).
L’ombre d’un doute.
12 octobre 2016. Une soirée rieuse entre copines dans la petite ville industrielle de Saint-Jean de Maurienne en Savoie.
Dans la nuit, mais pas très tard, Clara Royer (Lula Cotton-Frapier) rentre chez elle, seule. Rues vides de la bourgade. Un type qui surgit devant elle, ne dit pas un mot, l’inonde d’essence, craque son briquet. L’enflamme.L’épouvante. Au matin un pauvre corps carbonisé. L’enquête commence. On le sait, par un carton inséré au début du film, elle n’aboutira pas. Inspirée de faits réels, elle fera partie des 20% qui n’auront pas d’issue, qui demeureront sans solution. Glaçant.
C’est l’antenne de Police judiciaire de Grenoble qui a été chargée du dossier par le Juge d’instruction au détriment de la section de recherches de la Gendarmerie, territorialement compétente. Un groupe de gars hétéroclite et passionné, de tous âges et toutes origines dont le capitaine Yohann Vivès (Bastien Bouillon) vient le soir même de prendre le commandement. Un policier précis, rigoureux. Psychorigide, même, qui se détend en roulant des heures entières sur l’anneau cimenté d’un vélodrome. À ses côtés notamment, Marceau (Bouli Lanners), un vieux flic qui rêvait d’être professeur de français et dont le mariage est en train de couler à pic.
Mais avant tout c’est l’horreur. L’horreur de devoir annoncer aux parents de Clara (Matthieu Rozé et Charline Paul) que leur fille a été assassinée. Et puis les enquêtes de voisinage, les interrogatoires, l’exploration de la vie de la pauvre fille. À très juste titre, le réalisateur Dominik Moll prend son temps, étire les procédures, donne une grande véracité à la progression de l’enquête. Parce qu’il faut bien, pour les policiers, tout apprendre, traquer le moindre nom, suivre la moindre piste.
On se rend compte que l’on ne sait rien sur personne, finalement. Ce qu’une jeune fille laisse apercevoir à ses parents, aimants, chaleureux, ce qu’elle a confié à sa meilleure amie, Stéphanie (Pauline Serieys), pourtant si proche et si complice, n’est pas tout à fait ce qu’elle gardait pour le fin fond d’elle-même. Sans doute voit-on assez vite que Clara était une fille facile à vivre, qui tombait volontiers amoureuse de garçons un peu tordus ou difficiles et qui ne faisait pas trop de manières pour accorder son joli corps.
Au fil de l’enquête on fait connaissance de plusieurs garçons. Insouciants, désinvoltes, inconscients comme Wesley (Baptiste Perais) qui a surtout peur que les policiers apprennent à sa copine sérieuse qu’il couchait de temps en temps avec Clara ou Jules (Jules Porier), qui n’était, comme il dit, que sex-friend de la jeune fille. Ou bad boy violent, agressif, incandescent comme Gabi (Nathanaël Beausivoir), tout fier de sa chaîne YouTube où il menace en rap Clara de la cramer. Ou paumé alcoolique marginal comme Denis (Benjamin Blanchy) qui vit dans une cabane porcherie où Clara venait de temps en temps passer un peu de temps.
Tous ceux-là pourraient être les coupables ; certains davantage que d’autres. Ce qui est assez dommage c’est que Dominik Moll, à ce moment-là, va enfourcher le vieux cheval de la culpabilité masculine intrinsèque : la meilleure amie Stéphanie le dit les yeux dans les yeux au capitaine Yohann : c’est le désir des hommes qui a tué Clara. Déjà un peu plus tôt le policier Marceau avait fait remarquer à son chef que ce sont les hommes qui brûlent les femmes.
Heureusement on repart en avant. Voilà qu’on tombe sur un requin bien plus mauvais que la multitude de crétins qui ont été les amants passagers de Clara. Une bête brute, Rémy Caron (Pierre Lottin, excellent), naguère condamné pour violences conjugales. Un trentenaire baraqué, violent, dominateur, qui fascine des femmes par son animalité, qui vit désormais avec Nathalie (Camille Rutherford), une institutrice qui lui est soumise.
Mais ce n’est pas lui, l’assassin ; pas plus que Mats (David Murgia), interné en psychiatrie qui, trois années après l’assassinat vient se frotter sur la tombe et qu’on découvrira parce qu’un nouveau juge d’instruction (Anouk Grinberg) a décidé de relancer le dossier.
Infructueusement. L’enquête n’a pas abouti. Elle demeure dans la tête de Yohann comme un de ces dossiers particuliers qui, dit-on, hantent les pensées des policiers de la PJ, dont ils ne peuvent chasser l’obsession.
Je n’avais rien vu de Dominik Moll depuis l’excellent suspense de Harry, un ami qui vous veut du bien, déjà plein de tension et d’obscurités mais assurément moins ancré dans la réalité. Dans La nuit du 12, il y a une maîtrise du filmage qui fait alterner très souplement les scènes resserrées de l’Hôtel de police, les interrogatoires des suspects, les rues désolantes de Saint-Jean de Maurienne, les rues sévères de Grenoble, la beauté austère, souvent angoissante, des montagnes en automne. Et même si – j’y reviens – on sait d’emblée que l’enquête n’aboutira pas, on croit jusqu’au bout que les policiers vont y parvenir.
C’est une grande preuve de qualité d’un scénario et de la façon de le conduire. ■
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