Par Philippe Bilger.
C’est un bien joli portait qu’a écrit là Philippe Bilger. Portrait d’un Macron nocturne évidemment moins connu que celui du jour, Exercice de beau style – il n’en manque pas – et de décryptage psychologique bienvenu – sans-doute parce que très nécessaire dans le cas d’Emmanuel Macron – font l’attrait et l’intérêt de cette composition réussie de Philippe Bilger. Nous avions trouvé précédemment qu’ « il y a toujours un peu d’eau de rose, dans les propos et les écrits de Philippe Bilger, ou, si l’on préfère, d’esprit Fleur bleue, comme on disait autrefois ». Nous ajoutions : « Puis viennent les paroles sages et profondes. les remarques perspicaces et clairvoyantes ». C’est le cas de cette analyse psychologique pénétrante et de la réalité anthropologique – toujours assez étrange – d’Emmanuel Macron. Ici, le Macron nocturne qui peut faire penser à un Marcel Proust, lui aussi de la nuit, dont la Céleste serait peut-être Brigitte Macron, encore que Céleste Albaret était de loin la cadette du « petit Marcel » et non l’inverse. A l’orée de son premier quinquennat, nous avions lu un petit livre de l’excellente Anne Fulda qui, elle aussi, mettait l’accent sur l’étrangeté psychologique de l’actuel Chef de l’État. Par exemple par son inclination originelle pour les « beaucoup plus vieux que lui » (Ricoeur, Attali, Rocard, David de Rothschild, Brigitte Trogneux, etc.). Inutile d’ajouter que cette singularité psychologique du personnage nommé Macron, ne nous intéresse que dans la mesure où elle a à voir avec la politique erratique qu’il impose à la France. Sans-doute née, comme Philippe Bilger le suggère, de ses rêves et fantasmes nocturnes. Cet article a été publié dans Causeur le 22 de ce mois*.
On voudra bien nous excuser d’avoir rédigé un « chapeau » un peu long mais à quoi servirait de publier les articles parus ailleurs, si ce n’était pour les commenter, donner notre modeste avis, et susciter des réactions ? Qui sont nombreuses et de qualité sur JSF.
La France a connu des présidents omniprésents ; l’actuel locataire de l’Elysée veille tout le temps. Son insomnie fait partie de son personnage qui cherche coûte que coûte à se singulariser. Portrait d’un homme de pouvoir noctambule par Philippe Bilger.
Bien sûr, notre président est loin d’être inactif durant la journée mais la nuit est son royaume. Il nous le dit assez ou nous le fait savoir par son épouse ou ses conseillers les plus proches. C’est que pour lui aussi, ce mode d’existence n’est pas neutre qui dépasse la charge de travail imposant parfois une veille nocturne mais représente une pratique de pouvoir qui s’enrichit de l’obscurité et du silence. Quand l’ombre domine, la vulgarité et la transparence de la lumière ne sont jamais regrettées.
Se distinguer
Avec le sentiment voluptueusement sadique – comme on sait que la nuit abrite le président, qu’elle lui parle et stimule sa réflexion, ses desseins et ses jugements – de faire peser sur les autres la probabilité d’être sollicités à toute heure, de devoir réagir ou répondre dans l’instant, d’être contraints de se mettre à hauteur de cette insomnie singulière qui multiplie l’intimidation que le jour suscite déjà suffisamment.
Sans doute y a-t-il dans cette habitude la propension d’Emmanuel Macron de chercher à tout prix à se distinguer sur le plan politique comme pour le registre personnel… Il est parvenu à se faire réélire et il est aussi le président qui ne dort pas ou si peu et pour qui la nuit est la continuation du combat diurne mais sur un autre mode.
Avec l’opinion répandue qu’il est d’une incroyable résistance, nuit et jour. Rien de ce qui est atypique ne doit lui demeurer étranger. Je me reproche d’avoir fait un sort à certaines attitudes des présidents antérieurs alors qu’aujourd’hui je perçois que, par rapport aux siennes d’autant plus provocatrices que cachées par un classicisme de soie et de velours, elles relevaient de ruptures minimes par rapport à la norme.
Emmanuel Macron n’a jamais eu peur de rien. De même qu’il a gagné haut la main, haut le coeur sa bataille pour se faire aimer de Brigitte Macron et vaincre, avec elle, toutes les conventions, de même en matière politique il se moque du qu’en dira-t-on et nomme par exemple tel ou tel ministre ou récompense telle autre qui a été battue, non pas pour le bien du pays mais pour satisfaire une image de soi qui doit le qualifier comme le maître incontestable de l’incongru et du surprenant.
La défaite relative de son camp aux élections législatives l’a moins gêné pour des motifs politiques – il saura toujours s’en arranger car je suis persuadé qu’il adore les défis et les complexités de la cuisine parlementaire – qu’à cause de l’inévitable limite qu’elle a mise à ses rêves de débordement, à ses aspirations pour l’inédit.
Le président ne croit qu’en lui et ne surestime pas les autres, c’est un euphémisme. Autant durant le jour une forme de sociabilité élyséenne et de courtoisie basique, masquant la crudité des appréciations, est obligatoire, autant, la nuit, dans le dialogue que prioritairement il entretient avec lui-même, il a tout loisir pour s’abandonner à ses pensées profondes, à sa lucidité amère, à son mépris probable, à son exaspération face aux obstacles que le jour lui impose, une retenue, une hypocrisie, une comédie que le Macron de la nuit rejette avec délices. Sa solitude est autant riche de promesses que de menaces.
La nuit porte conseil ?
La nuit est cette magique et troublante parenthèse qui lui offre cette exaltation toute-puissante de veiller et de surveiller un monde qui dort, de contrôler des existences à l’affût de ses signes, de se croire le gardien forcément respecté et intouchable d’une France qui le laisse tranquille et sur laquelle il peut fantasmer grâce à l’infinie liberté des songes.
Les repères s’effacent, les frontières s’abolissent, la confusion est reine, les rêves et la réalité se chevauchent, les solutions les plus improbables, inconcevables, osent se présenter à l’esprit, Emmanuel Macron peut battre la campagne comme il l’entend et à discrétion.
Cette certitude d’être unique a été sa force et sa faiblesse. Parce qu’elle a magnifié ses qualités. Parce qu’elle a libéré ses défauts.
Je l’imagine, sans qu’il ait à faire le moindre effort, tout entier glissé dans son royaume et attendant le jour non pas tel un insomniaque malheureux mais comme un nostalgique de la nuit future.
Certes, on pourrait, au contraire, espérer un président tranquillement ordinaire, heureusement normal mais ce serait déplaire à Emmanuel Macron qui se moque d’être aimé mais poursuit avec constance ce double objectif : surprendre et faire ce qu’il veut car tel est son bon plaisir.
La nuit est un fabuleux banc d’essai. ■
Philippe Bilger
Se rappeler au passage que Staline «vivait la nuit», disait-on… D’aucuns mettaient cette propension sur le compte de l’angoisse, d’autres sur la simple peur d’être victime d’un attentat… Toujours est-il que «le petit père des peuples» vivait à la manière du jeunot capricieux dépeuplé. Voilà un bon moment que, comparant le Maqueron à divers autres spécimens aquatiques, je me demande toujours s’il n’est pas «pire»… En fait, il est surtout en plastique, le gommeux, si bien qu’il peut paraître plus ou moins fréquentable selon les costumes qui l’étriquent, parce que, avec lui, l’habit fait le laïc. Je suis porté à penser qu’il faut traiter son cas avec la plus grande partialité ; ne rien lui pardonner… Ce type d’homme n’est pas humain, il faut accepter de se l’entrer dans la courbure. Pareille compréhension ne changera pas grand-chose à ce que sa nature hors nature veut conduire, certes, mais, du moins, cesse-t-on, ainsi de se laisser prendre dans les filets par lesquels lui-même, Maqueron d’entre deux eaux, il a été enfanté – espèce de Léviathan numérique décliné de chez un Lovecraft qui aurait su le débarrasser des atours spongieux qui le fondent. Rappelons-nous le titre de cette nouvelle de l’Américain – «Celui qui chuchotait dans les ténèbres» –, dans laquelle, si je me souviens bien, «quelque chose» fait le siège de la demeure… Pour rester dans la lovecrafterie, je comparerai le Maqueron au Dagon des Philistins (titre d’une des premières nouvelles de l’habitant de Providence)… M’y reportant pour l’occasion, je trouve ces mots : «C’est la nuit, quand la lune gibbeuse décline, que je vois la chose. […] ces êtres sans nom qui nagent et pataugent sur leur lit de vase […], gravant leurs propres portraits sur des obélisques de granit immergés. Mon rêve étrange se poursuit et je les vois s’élever un jour au-dessus des flots pour engloutir l’humanité affaiblie par les guerres. […] La fin est toute proche. J’entends un bruit à ma porte. Comme si un gigantesque corps glissant s’était traîné jusque chez moi.» («Dagon et autres récits de terreur», Pierre Belfond, 1969, p. 21.) Je ne suis pas grand amateur de Lovecraft, que l’on ne se méprenne surtout pas. Mais voilà, il est assez convaincant de rattacher un certain affreux et ses acolytes méchamment mous aux créatures de cette inspiration cauchemardesque. Dieu me pardonne.
Nuit et brouillage ! Bilger aime trop la littérature et élude les questions précises. La gesticulation macronnienne vis à vis de la Russie et de l »Ukraine, ses louvoiements atlantistes, ses agissements sous double drapeau (ou drapeaux alternés), son exhortation à payer « le prix de la liberté »… lui sont-ils inspirés par la nuit ou les lumières du jour ? Il ne dort jamais mais pourquoi notre « Presse », nos media, eux, somnambulent-ils en continu ? Un président toujours debout: est-ce la « verticalité » incarnée ou une raideur sombrement illuminée ? Crépuscule pour Jupiter, Vulcain, Mars… et la France
Un seul mot, David Gattegno : vous avez bien tort de ne pas être féru de H.P. Lovecraft !
Mais vous avez tant d’autres qualités !!
Pour retrouver Pierre Builly dans le sillage de Lovecraft, je préciserai que, selon moi et pour ce que je me rappelle avoir lu jadis sur l’anglais de Lovecraft, il est bien probable que les traductions françaises d’origine aient déformé passablement son œuvre ; un seul exemple : «Démons et Merveilles», traduit par Bernard Noël (excusez du peu!) où l’on trouve l’expression de salut «so long» traduite par «si long», qui est une préciosité adolescente. En France, et à son corps défendant, Lovecraft s’est surtout adressé à un public de «jeunots», en âge et/ou en mentalité, public de jeunots et d’amateurs de «surréalités» démarqués d’André Breton, ainsi, par exemple, ce que l’on sait peu, dans les années trente, Salvador Dalí se rendit dans le Rhode Island pour visiter le fantastiqueur et se livra à quelques simagrées dans le cimetière de Providence. Lovecraft s’inscrivait dans la lignée, d’abord, d’Edgar Poe, d’Arthur Machen et Lord Dunsanny, il se déclarait athée (incroyant ou agnostique) mais, cependant, cédait aux fantasmagories insanes, à tel point que, par la suite, d’aucuns voulurent le rapprocher d’Aleister Crowley (ce qui semble avoir été une fiction). Je sais parfaitement, pour en avoir malheureusement connus quelques-uns, que les adeptes français de Crowley avaient une admiration sans borne pour l’œuvre de Lovecraft… Il ne saurait y avoir de hasard à cela. Pourtant, on ne peut certes pas reproché la nature de certains de ses lecteurs à Lovecraft… Son premier biographe français, Maurice Lévy, insistait beaucoup sur le «fascisme» de Lovecraft, sur ses sympathies hitlériennes et son supposé racisme forcené. J’impute cela à une traduction en termes «politiques» de données «satanistes» pressenties ou, pour parler en guénonien, de données «contre initiatiques». À l’inverse, on pourrait tout à fait considérer que Lovecraft était profondément effrayé par tout ce que d’aucuns ont pu supposer qu’il cultivait intellectuellement. Je suis plus enclin à envisager cette version des choses… J’ai également connu des «nazis» déclarés, chez lesquels primait surtout un si poignant désespoir que je les ai beaucoup chéris… Bref, Lovecraft répond à un état «mental» du monde culturel, état mental qui fragilise gravement tout retour à des données traditionnelles ou, du moins, intellectuellement «bien élevées». Lovecraft m’apparaît comme une une espèce de symptôme de la décadence littéraire et de la déchéance du surnaturel en parodie de fantastique et malsaine science-fiction. À un autre niveau littéraire (si on me permet ce jugement de valeurs), il faut se reporter à quelques romans nés de l’après-guerre et, symptomatiquement allemands, qui, à leur façon répondent aux mêmes «démons existentiels» : «Ce n’est pas encore la fin» de Fritz von Unruh, «L’étoile de ceux qui ne sont jamais nés» de Franz Werfel, «Docteur Faustus» de Thomas Mann, «Heliopolis» d’Ernst Jünger, qui sont tous des romans «ratés» de grands écrivains… Ceux-ci nous renseignent sur un malheureux «état intellectuel» à quoi le monde moderne d’après guerre a pu plus ou moins momentanément réduire certains des plus beaux esprits… On n’en imaginera que mieux la fatalité de l’impact produit sur les peuples survivants. Lovecraft ne saurait se comparer à ces écrivains, ne serait-ce que parce qu’il souffrait congénitalement d’américanerie, ce dont il était si peu responsable que, sauf bévue de ma mémoire, il se considérait «sujet de Sa Majesté britannique» – que l’on veuille bien mesurer froidement ce que je dis –, et cette américanerie, cette modernité quasi génétique, empêchait certainement qu’il pût s’élever au-delà de ce qu’il a été… On pourra m’objecter un William Faulkner ou un William Burroughs, écrivains plutôt valeureux, sans doute, cependant l’esprit réactionnaire de l’un et celui furieusement désespéré de l’autre semblent avoir bien plus terriblement compté pour leur œuvre que la triste solitude d’Howard Philipp Lovecraft n’aura su hisser celui-ci qu’au seul «genre» auquel il est réduit, genre dans lequel il se démarque très avantageusement de ses pairs et suiveurs, j’en conviens tout à fait, mais il n’a été ni suffisamment réactionnaire, comme le Sudiste Faulkner, ni suffisamment furieux, comme l’impassible Burroughs – dont la physionomie de l’un évoque singulièrement celle de l’autre, cependant…