Entretien avec Arnaud Benedetti* par Martin Bernier.
Cet intéressant entretien, analyse critique des plus récents propos du Chef de l’État est paru dans FigaroVox hier, 25 août. Nous écrivons « Chef de l’État » par habitude. Mais aussitôt, nous revient à la mémoire, par analogie, la phrase de De Gaulle, à la sortie d’une entrevue d’avant-guerre, avec Léon Blum où il lui avait prêché – en vain – l’urgence d’armer le Pays : « Encore eût-il fallu qu’il y eût un Chef et qu’il y eût un État ». Entretien réalisé par Martin Bernier. Nous le livrons tel quel au jugement du lecteur.
ENTRETIEN – L’hôte de l’Elysée a jugé que le pays a devant lui «la fin de l’abondance», «la fin de l’évidence» et «la fin d’une forme d’insouciance». Un tel discours correspond peut-être à la vérité, mais son énonciation ne remplit pas les conditions indispensables pour être soutenu par les Français, argumente Arnaud Benedetti.
« Il y a bien longtemps que la société française est entrée en crise et qu’elle en est pour une grande part consciente, avec son cortège de désindustrialisation, de délocalisation, de paupérisation des classes moyennes et de prolétarisation des classes populaires. »
FIGAROVOX. – Avant le conseil des ministres ce 24 août, Emmanuel Macron a affirmé que nous nous dirigions vers «la fin de l’abondance», «la fin de l’évidence» et «la fin d’une forme d’insouciance». Quel regard portez-vous sur ces propos ?
Arnaud BENEDETTI. – Il s’agit d’une communication de dramaturgie qui nous en dit autant sur l’émetteur que sur la réalité de la situation qui est incontestablement incertaine. Le fait qu‘Emmanuel Macron répète en boucle depuis quelque temps cet élément de langage (à vrai dire depuis le 14 juillet) ne constitue pas une première dans sa rhétorique. Par le passé, à commencer par la crise sanitaire, il nous a déjà habitués à une geste visant à intensifier dans l’ordre discursif la tournure qu’il estime toujours plus historique à ses yeux des événements, comme s’il se complaisait dans un appel permanent à une confrontation avec l’histoire.
Le problème c’est que l’appel au «sang, à la sueur et aux larmes», pour être entendu, doit se fonder sur plusieurs paramètres: la légitimité ou la justesse d’une position, la rareté de l’expression, et in fine des pistes pour surmonter l’épreuve.
La justesse de la cause, c’est-à-dire l’alignement français sur la position américaine via l’Union européenne, risque sur la durée d’être remise en cause par des opinions publiques qui non seulement ne sont pas forcément prêtes à mourir pour l’Ukraine mais également à consentir à des sacrifices quotidiens pour cette dernière. L’avenir nous dira si cette communication dramatisante dont la fonctionnalité est de préparer les Français à des choix difficiles est en mesure de créer ou non les conditions d’une mobilisation, d’une adhésion, de ce fameux «effet drapeau» dont on sait par ailleurs qu’il est généralement éphémère.
La réitération permanente de ce registre, en outre, tend à démonétiser la puissance qu’on entend lui conférer. La répétition peut éroder la dimension qui se veut empreinte de gravité, du propos dans une société où la surcommunication finit par banaliser toute communication, y compris celle d’un chef de l’État dans une passe agitée.
Enfin, la perspective sacrificielle ne peut potentiellement performer que si elle est accompagnée d’un message positif. Emmanuel Macron à ce stade paraît encalminé dans une forme assez désespérante de négativité. L’effort est acceptable s’il est assorti d’un espoir, d’un gain à terme, sinon il verse dans une vision exclusivement crépusculaire ou uniquement bunkérisée du présent.
Faut-il y voir une rupture dans la communication d’un président au ton généralement plus optimiste et tourné vers l’avenir ?
La capacité à se projeter de manière optimiste, pour ne pas dire naïvement ou cyniquement irénique, constitua la marque originelle de fabrique du macronisme alors que la dominante intellectuelle de la concurrence était fortement teintée de déclinisme. Or depuis presque la crise des «gilets jaunes», a fortiori avec la pandémie, mais aussi avec la récurrence des sujets régaliens qui ramènent Emmanuel Macron à l’un de ses impensés ou mal-pensés plutôt, le président a perdu la martingale de ce qui avait pu un temps susciter dans sa démarche une forme de nouveauté et d’alternative. Il n’est plus aujourd’hui qu’un président non pas de l’espoir mais du pis-aller, et sa réélection s’est fabriquée à partir de cette cote mal taillée.
Le seul moteur de réenchantement dont il dispose opère dans une sorte de recours au tragique ou à la dimension exceptionnelle qui recouvrirait notre temps. Le bonheur postmoderne n’étant plus à l’agenda, il faut puiser dans l’âpreté des épreuves pour créer les prérequis d’une adhésion minimale. On est passé de la posture du guide vers l’avenir prometteur, à défaut d’être radieux à la vocation de protecteur par «gros temps» durant la crise sanitaire et désormais au rôle de grand prophète qui exige un effort collectif pour se sauver dans un horizon assez indéterminé.
Toute politique exige sa mythologie: Macron fut éclaireur, il ne l’est plus ; il fut protecteur, il ne l’est plus forcément ; il est une pythie maintenant, mais avec le risque d’être perçu à l’instar d’un oiseau de mauvais augure. L’antiquité nous apprend que le héraut porteur d’un message néfaste était sacrifié…
Plus globalement, la communication à laquelle recourt le chef de l’État a ceci de limité qu’elle paraît se perdre dans le commentaire, voire la contemplation d’une apocalypse à venir. Tout se passe comme si Macron II, de manière inquiétante, était fasciné par l’emballement de l’histoire, oubliant qu’on ne rentre pas dans l’histoire en jouant avec celle-ci mais en essayant de la faire en la maîtrisant par une juste analyse de la situation. Rien ne démontre à ce stade que le logiciel embarqué par Emmanuel Macron soit adapté à l’irréductibilité de l’époque.
Car toute époque, et il s’agit sans doute d’une époque au sens où Péguy l’entendait, est unique et celle-ci n’est pas la reproduction à l’identique, malgré les apparences, de la guerre froide, encore moins du second conflit mondial.
Le président n’a-t-il pas raison d’adopter ce ton grave pour préparer les Français à des lendemains difficiles ?
La structuration de l’opinion est profondément anxieuse. Nombre d’études montrent depuis plusieurs années que la proportion des Français pensant que l’avenir de leurs enfants sera plus difficile que ne le fut leur existence est désormais plus importante que celle imaginant le contraire. Donc les représentations de l’avenir sont déjà empreintes d’un fort sentiment de pessimisme, voire de dépression. Vraisemblablement l’intensité de la menace géopolitique fait peser une inquiétude d’une autre nature qui par-delà les aspects socio-économiques touche au ressort de « la guerre et de la paix », c’est-à-dire à un problème existentiel que nous autres Occidentaux de notre génération avions cru banni de notre horizon d’attente à tout jamais, même si dans le même temps cette hypothèse dramatique demeure informulée, indicible, et peu accessible à une réalité à laquelle on n’entend pas se résoudre.
Le problème consiste à savoir si cette gravité est seulement un instrument de communication pour conditionner encore une fois les opinions et si elle obéit à une forme ou non de sincérité. La difficulté avec l’expression présidentielle, c’est l’exercice consistant à cranter l’aiguille sur le curseur d’une échelle allant de l’authenticité à l’artifice. Très souvent le ressenti général accrédite le second au détriment de la première. Quelle est la part de vérité, quelle est la part de feinte dans l’expression du chef de l’État ? S’en interroger, c’est déjà expliciter un doute. Le doute accompagne constamment la réception des messages d’Emmanuel Macron. Il est devenu un médium incertain.
Récemment, il avait aussi enjoint les Français à «accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs», faisant référence aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine et des sanctions. Que penser de l’emploi de ces mots ?
Le storytelling est une subversion de l’histoire ; et c’est bien là que réside le problème. Emmanuel Macron magnifie le passé («le temps de l’abondance»), il se réfère à une sorte de mythe de l’âge d’or («l’insouciance»), il évoque un basculement («la fin des évidences»). Décortiquons: il introduit une faille spatiotemporelle dans sa narration qui détourne la réalité, la reconstruit, il opère en collant des mots, des formules sur un réel qui n’est pas celui nécessairement de l’histoire et encore moins des catégories dominantes de perceptions qui sont à l’œuvre dans les couches profondes et sédimentées de l’opinion.
Il y a bien longtemps tout d’abord que la société française est entrée en crise et qu’elle en est pour une grande part consciente, avec son cortège de désindustrialisation, de délocalisation, de paupérisation des classes moyennes et de prolétarisation des classes populaires. Les «gilets jaunes» qui se sont levés en 2018 là où la France périphérique boucle difficilement les fins de mois n’ont pas forcément le sentiment de vivre dans l’abondance. Nous ne sommes pas vraiment sortis de la prégnance d’une longue crise socio-économique depuis la fin des «Trente Glorieuses»… C’est-à-dire avant même la naissance d’Emmanuel Macron.
Quant à «la fin des évidences» il est à craindre que le chef de l’État se laisse aller à mésinterpréter sciemment une disposition présumée du peuple français en lui vendant avec une grandiloquence peu habile la défense de la liberté.
En lieu et place de la liberté il s’agit surtout de faire accepter des restrictions éventuelles, une récession qui se profile loin des prophéties de croissance délivrées par Bercy, une inflation qui a commencé à pointer le bout de son nez avant la guerre en Ukraine et qui s’est bien évidemment accrue depuis son déclenchement, et surtout, le plus probable, la fin du «quoi qu’il en coûte» en raison de la dette publique et de la pression sur les taux. Le conflit russo-ukrainien a tout du macguffin, ce prétexte Hitchcockien au développement d’un scénario… Macron en appelle au sens du sacrifice non pas pour défendre pied à pied la souveraineté mais pour décliner un agenda dicté par Washington et Bruxelles.
Pas sûr qu’il soit compris si le temps de la guerre s’étirait dans une atmosphère de «désert des tartares». Le prix à payer apparaîtra très vite pour ce qu’il est: des années de mondialisation ratée et incontrôlée. ■
* Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Comment sont morts les politiques ? – Le grand malaise du pouvoir (éditions du Cerf, novembre 2021).
C’est toujours filandreux lorsque l’ on cherche à expliquer la « pensée » de l’actuel Président .
Belle invention journalistique que cet « effet drapeau »accolé à E.Macron ! (C’est bien complaisant de reprendre cette expression .)
L’interviouvé emploie aussi cet horrible mot « storytelling » .
Pour finir , que vient faire ici le « Désert des Tartares » ( l’attente) , puisque l’on est dans la gadoue depuis un bon bout de temps ?
Quel vilain charabia !
Mais de quitte se moque t’on en parlant d’abondance!!!! L’abondance elle est du coté de tous ces élus et ministres psychopathes, sociopathes et ceux pour qui ils travaillent (Biden, le N.O.M, blackrock, vanguard) dans la lacheté,la corruption, le mensonge, la manipulation perpetuelles. Mais leur monde est bientôt finit.
Cette fois, c’est sûr, la place de macron est à l’Hôpital Sainte-Anne et non à l’Elysée.