Cette tribune a été publiée ce matin dans Le Figaro. Sur les initiatives du président Macron en Algérie, nous titrons que Jean-Marie Rouart parle d’or. Sur les amabilités très « académiques » qu’il adresse à Emmanuel Macron, son intelligence qui serait grande, ses « initiatives bienvenues sur le plan national et international » – bienvenues mais non précisées – on peut sourire. Sur la volonté de De Gaulle à la Libération de faire oublier à tout prix le temps où les Français ne s’aimaient pas, on peut s’indigner quand la France fut livrée à l’épuration et, en partie non-négligeable, au parti communiste et à ses diverses courroies de transmission. Ce qui, soit dit en passant, a coûté fort cher à la France, à divers titres, des décennies durant. Reste la critique d’Emmanuel Macron face aux questions algériennes – le vrai sujet de cette tribune – et nous ny ajouterons rien. Simplement, nous approuvons.
TRIBUNE – L’Académicien Jean-Marie Rouart juge naïve et très dangereuse la décision du chef de l’État français, qu’il a annoncée à Alger conjointement avec son homologue algérien, d’une commission mixte d’historiens pour étudier l’histoire de la colonisation française et de la guerre d’Algérie.
Quel bénéfice escompte le président de cette attitude digne des évangélistes qui viennent battre leur coulpe en public et confesser leurs fautes au milieu des fidèles ?
Il ne vient à l’idée de personne de mettre en cause la grande intelligence du président Macron. Pas plus que de lui refuser une formidable habileté dans son étourdissante conquête du pouvoir. On peut aussi lui accorder, depuis qu’il est président, des initiatives bienvenues sur le plan national et international. En revanche on reste pantois devant la conception naïve qu’il exprime de l’Histoire. Et ce qui est plus grave pour un chef d’État, du lien qui existe entre cette histoire et les grandes décisions politiques.
La dernière preuve, certainement pas la dernière, est sa décision prise à Alger de constituer une commission mixte d’historiens et de leur ouvrir les archives (quinze ans avant la date légale) qui vont du début de la colonisation à la fin de la guerre d’Algérie. Qu’un député de la Nupes, qu’un agité du bocal comme François Ruffin ou le maire de Grenoble, jette ce pavé dans la mare du haut de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, cela se conçoit. On en a vu d’autres. Mais le président de la république ! Ne voit-il donc pas la boîte de Pandore qu’il ouvre ainsi ! Quel abominable désordre, quelles souffrances, il va réveiller inutilement. Et tout cela pour rien. Pour satisfaire une naïve croyance dans les bienfaits d’une exactitude, d’une vérité, impossible à cerner en matière d’histoire.
Pourtant Emmanuel Macron n’ignore pas qu’il n’est pas le premier chef d’État français à avoir dû affronter un passé douloureux dans un pays qui a accumulé les révolutions, les guerres civiles et toutes les atrocités qui les accompagnent. Ses prédécesseurs dont il aurait été sage qu’il s’inspirât ont compris que l’intelligence politique, qui n’a rien à voir avec l’intelligence historique, et qui est même son contraire, consistait à recouvrir les plaies et les crimes de notre passé du manteau de Noé.
Bonaparte qui a accédé au pouvoir après le plus violent séisme de notre histoire, ensanglanté de crimes, de massacres et même du génocide vendéen, s’est appliqué à en effacer toutes les séquelles, les blessures et les divisions. Et pour mener à bien cette œuvre, il a décidé de fermer les yeux sur les actes les plus atroces comme ceux de Fouché et de tant d’autres qu’il a blanchis, non pas par miséricorde, mais dans l’intérêt même de la France et des Français. Était-ce un comportement original ? Bien sûr que non. Il reprenait la noble et intelligente attitude d’Henri IV proclamant le pardon général et s’attachant à guérir les blessures des guerres de religion. Modèle de conduite auquel s’attachera dans de mêmes circonstances tragiques un De Gaulle à la Libération voulant à tout prix faire oublier ce temps où les Français ne s’aimaient pas.
Les horreurs qui ont accompagné ce que l’on appelle la guerre d’Algérie de 1945 à 1962 commises de part et d’autre dans une sorte de surenchère dans la haine et les crimes de sang, sont hélas comparables avec toutes les exactions inséparables des guerres civiles. Quel peut être l’intérêt pour la France et même pour l’Algérie de fouiller dans ces charniers pour en dégager quelle responsabilité, quel coupable, et pour quel bénéfice ?
Quel bénéfice en effet escompte Emmanuel Macron de cette attitude digne des évangélistes qui viennent battre leur coulpe en public et confesser leurs fautes au milieu des fidèles ? Car ces crimes de la France, certes ils ont existé (François Mauriac, Pierre-Henri Simon, nombre d’écrivains et d’intellectuels les ont révélés et condamnés.) Mais ce que la révélation brutale de ces exactions ne montrera pas, c’est cette clé de toute compréhension historique : le contexte. Cette lumière indispensable qui certes n’excuse pas mais aide à comprendre des comportements odieux qu’ils soient personnels ou collectifs. Sinon comment expliquer l’engrenage inexorable et infernal de la guerre d’Algérie à partir des massacres de Sétif en 1945 qui ont fait 102 morts parmi les Français d’Algérie et près d’une vingtaine de mille parmi les manifestants algériens mais ont été accompagnés de part et d’autre d’atrocités que chaque parti jugeait légitime? Mais ces crimes et ces tortures infligées par les Français les mettra-t-on en parallèle, voire en correspondance directe, avec la multitude des crimes perpétrés par le FLN tant envers des Français d’Algérie que dans des règlements de comptes fratricides ? Ainsi lorsque le FLN à Melouza, au sud de la Grande Kabylie a fait exécuter trois cents villageois soupçonnés d’appartenir au MNA. Que dire du massacre des harkis près d’une centaine de mille massacrés après d’abominables tortures en contravention avec les accords d’Évian ?
Aujourd’hui les Français désorientés, mal à l’aise dans une époque minée par le woke et le relativisme, où plus rien ne tient debout ni les valeurs de la famille ni les principes d’éducation, ni même la légitimité sexuelle, serait plus enclin au besoin de souffler et de trouver des raisons de se rassembler dans un idéal commun, que de se voir offrir les nouvelles raisons de division que leur propose Emmanuel Macron.
Les Français vont devoir être une nouvelle fois rendus coupables de crimes auxquels ils n’ont pas pris part. Car croit-on que ce sont des actes louables de générosité, comme celui du général François Meyer qui a sauvé trois cents harkis d’une mort certaine qui prévaudront ? Les horreurs et les crimes les viols, les mutilations, les corps émasculés, seront plus mis en relief que les bienfaits. Déjà on reproche à ces Français d’avoir été antisémites au moment de l’affaire Dreyfus, collabos en 1940, colonialistes sans états d’âme. On va maintenant remettre le nez dans des crimes que l’armée et la police françaises ont perpétrés en accord avec les responsables politiques. Ont-ils vraiment besoin de ça ?
Les enfants de notre communauté maghrébine évaluée à près de six millions qui ont si souvent du mal à s’intégrer dans une France dont on ne cesse de dénoncer le racisme, comment vont-ils réagir au récit de ces atrocités révélées sans l’apport d’un contexte impossible à fournir ? Quels formidables éléments de propagande on donne aux prédicateurs de l’islamisme !
Quant aux Algériens eux-mêmes, quels bienfaits retireront ils de ces crimes de l’Histoire dans la perspective d’une réconciliation avec la France ? Que leur rapporteront des révélations sur les atrocités françaises, eux qui trouveront parfaitement légitimes leurs propres crimes puisqu’il s’agissait de lutter pour leur indépendance face à l’ennemi colonisateur et prédateur ?
Devant cette aporie qui défie toute logique faut-il faire intervenir la psychanalyse pour éclairer ce penchant du président Macron à faire confesser ce qui peut nuire à l’image de la France ? Qu’il soit épris de clarté et de vérité pour lui-même, grand bien lui fasse. Mais quel besoin a-t-il d’entraîner les Français dans le psychodrame d’une illusoire vérité historique ? D’une superfétatoire transparence ? Voilà qui est problématique. Non que tout mensonge soit nécessaire en histoire comme l’affirmait Napoléon : « l’histoire est un mensonge qu’on ne conteste plus »; du moins celui-ci comme chef d’État, comme homme d’action, s’est attaché à en dégager les vertus positives qui renforçaient la cohésion française. Cela apparaît simplement comme du bon sens. Quelle idée saugrenue en effet au moment où les Français voient leur pouvoir d’achat réduit à quia, qu’ils sont face à mille problèmes à affronter dans une société qui se délite, de leur infliger, à eux qui n’ont rien demandé, de supporter en prime la révélation de toutes les horreurs d’un passé qui ne serviront qu’à les rendre plus tristes et plus malheureux. Quelle ambition morbide de notre président de vouloir faire visiter aux Français le musée des horreurs de l’histoire ! ■
Grandi en Algérie et exilé en 1962, je sais deux choses:
-C’est la France qui a pacifié, construit, équipé, éduqué l’Algérie et lui a même donné son nom,
-Les crimes des « rebelles » sont sans commune mesure avec ceux qu’aurait pu commettre l’armée français (certes elle m’a tiré dessus le 19 mars 1962) ou bien les « européens (on ne disait pas français d’Algérie car nous étions tous français).
Si tout cela est remué, je crains moins les réactions d’une partie de la jeunesse qui se reconnait algérienne avant d’être française, que celles d’une grande partie de la population qui ressentira une aversion prononcée, voire une haine, envers l’Algérie et ceux qui s’en réclament, ce qui ne favorisera pas l’intégration de ceux qui la souhaitent.
Le seul bénéfice en sera une division encore plus prononcée, mais n’est-ce pas la le résultat, volens nolens, des politiques suivies depuis Jacques Chirac.
Excellente initiative. Ainsi pourra-t-on mettre en lumière le rôle décisif de l’idéologie révolutionnaire dans la colonisation. C’est du moins ce que ferait M. Macron s’il avait un peu d’audace.
Je méditais depuis longtemps d’écrire un texte sur le « Devoir d’oubli » qui devrait être celui des dirigeants. Rouart fait cela avec beaucoup plus de talent que je n’aurais pu le faire !
Et je me demande ce qu’aurait pu bien faire le Général de Gaulle en 1944, lorsque le Parti communiste (et l’Union soviétique) sortaient triomphants de la guerre. Que les maquis les plus puissants étaient ceux des FTP qui dirigeaient de véritables provinces (Guingoin en Limousin) et qui étaient puissamment armés ; quand le crypto-communiste Yves Farge était à la tête de toute la grande région lyonnaise. Le général était lui-même contesté par les vieux partis, SFIO ou radicaux…
L’épuration a été une horreur, évidemment mais s’est relativement vite calmée. Autant d’horreurs que sous la Révolution, mais moins longtemps.
Peut-être, en effet, compte-tenu des rapports de force, et de la position où il était, De Gaulle ne pouvait-il pas empêcher l’épuration. Dans ce cas, mieux vaut, à mon avis, ne pas trop insister sur sa volonté de faire oublier « à tout prix » le temps où les Français ne s’aimaient pas.
Si quelqu’un eut cette volonté, (mais, bien-sûr, tardive), ce fut Georges Pompidou qui en a parlé, au moment de l’affaire Touvier, en termes d’autorité, celle qui revient au Chef de l’Etat et au nom, justement, du « devoir d’oubli ».
Si l’on accepte de mesurer les périodes d’horreur nationale à l’aune de leur durée, je dirai que l’épuration violente a été certes plus brève que la Terreur mais qu’elle a affecté longtemps l’unité du Pays y compris sous les mandats de Georges Pompidou, François Mitterrand, et Jacques Chirac, et, en un sens, l’affecte toujours, sous les formes de l’insulte et de l’ostracisation pour qui s’écarte de l’orientation admise.
Quant au devoir d’oubli, je suis bien d’accord. Il s’impose à quiconque cherche le bien du Pays et la tranquillité citoyenne.
Aucun «devoir d’oubli», aucun «devoir de mémoire», seulement, exiger de soi l’intelligence et, si l’on se demande ce qu’il a pu en être de cecii ou de cela, aller se renseigner, chercher à se documenter, bref décarcasser un peu sa «culture». Autrement dit, faire et se montrer tout le contraire du Maqueron. Il me vient en effet à l’idée, c’est sûr, et je ne suis pas seul à qui cela vient, de contester la moindre espèce d’intelligence au simiesque gominé qui ne se réfléchit jamais ailleurs que dans les miroirs, à moins qu’il n’eût traversé la rue pour se délecter de son reflet dans la vitrine d’en face, en surimpression des formages mous à l’étalage ; je ne confonds pas non plus les fils de marionnettes au bout desquels il pantalonne avec quelque habileté que ce soit, sauf à s’étourdir, bel et bien, du pouvoir qu’il croit infantilement avoir conquis… Je laisse Rouard rester pantois, puisque cela lui chante d’avoir loisir de dire qu’il le serait.
Par ailleurs, n’oublions pas que les «historiens» patentés auxquels tout un chacun veut recourir un tantinet sont à l’Histoire les décalcomaniaques de ce que Conseil d’État et Conseil constitutionnels sont au gouvernement, quand les Académiciens se révèlent pleins de rouardise (si l’on me permet le double calembour, avec couard et roublard, d’après Rouard).
Cela me remet en mémoire la mine offusquée des journaleux lorsque un semblable du Maqueron, mais sur un plateau de variéteux à la sauce électro dégénérée, a entrepris de traiter le délétère président avec l’insulte qui lui sied mieux encore qu’un gant.
Il faudrait que cette gentaille interrompe un peu les congratulations ostentatoires qui les réunissent dans la même communion avec les sacro-saintes institutions et la politesse des caniveaux ministériels.