PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro le 27 août. Plutôt que les faits en eux-mêmes, c’est la méthode du Système pour simplement se maintenir qui intéresse ici Mathieu Bock-Côté et il a bien raison. Quant aux royalistes de si longue date habitués aux postures victimaires ou activistes ou amateuristes et à rabâcher leurs démonstrations, ils faudrait peut-être qu’ils réévaluent leur position nouvelle dans l’épuisement aujourd’hui avéré, reconnu, du Système auquel ils s’opposent héroïquement depuis si longtemps : jadis, il leur fallait prouver la supériorité de la monarchie sur la République, et montrer qu’elle était possible ; aujourd’hui la charge de la preuve est passée au camp d’en face. Prouver que ce régime peut longtemps encore « persévérer dans son être » comme on disait jadis en classe de philo, prouver qu’il pourra toujours et encore surmonter la désaffection qui l’entoure, l’incrédulité, la défiance et la fin des fins, l’indifférence des Français. Qui s’abstiennent aujourd’hui de voter à plus de 50% : une « majorité ». « Tu m’intéresses si peu, semblent-ils lui dire aujourd’hui, que tu ne nous indiffères même plus ». Les royalistes et, avec eux, tous les « anti-Système », ont peut-être la tâche prioritaire suivante qui est aussi une opportunité : sommer la République de donner les preuves de sa capacité à garantir le Bien Commun et, par voie de conséquence, les preuves de son aptitude à durer, à assumer les exigences du temps long, du temps historique. Cette sommation se justifie plus que jamais. Car le sentiment aujourd’hui dominant, c’est le doute.
CHRONIQUE – Cette polémique s’est propulsée au cœur du débat public car elle symbolise l’inversion des valeurs que le commun des mortels ressent intimement lorsqu’il pense aux grandes évolutions des dernières décennies.
… Un régime qui ne se maintient qu’en diabolisant ceux qui révèlent sa déréliction.
On comprend la colère du commun des mortels devant la découverte d’une séance de karting à Fresnes, à la fin juillet. Elle symbolise le laxisme généralement associé au système de justice, qui non seulement entrave le travail des policiers, mais semble hostile à l’idée même de répression. Sous prétexte que la prison ne devrait pas être un bagne à l’ancienne, on fait tout pour qu’elle ne ressemble plus à la prison. On plaide alors pour la réinsertion, en oubliant que celui qui a commis un crime ne doit pas seulement être mis à l’écart de la société, mais qu’il doit payer pour ses actes, et que cela relève de la morale naturelle.
Une autre question s’est posée: à qui la faute ? Qui a programmé cette activité, et quelle personne en position d’autorité l’a acceptée ? Tous se sont renvoyé la balle, les responsables politiques partant à la recherche de coupables comme s’ils n’étaient pas eux-mêmes aux affaires.
La difficulté à désigner un responsable était pourtant révélatrice : cette transformation d’une prison en camp de vacances le temps d’une activité récréative est l’expression caricaturale de la vérité intime d’un système qui ne croit plus aux vertus de la répression. Le concept de système sert trop souvent à décharger les uns et les autres de leurs responsabilités. Il permet néanmoins de voir comment une logique se déploie à travers les institutions, quels que soient les acteurs en présence. C’est ce qu’on appellera l’idéologie dominante.
Par ailleurs, cette polémique est devenue passionnante au moment où il a fallu l’étouffer médiatiquement, en discréditant ceux qui confessaient leur indignation. Et c’est naturellement en assimilant les détracteurs de cette séance de karting à l’« extrême droite » que le système médiatique a réagi. Cette formule convenue en dit beaucoup sur le système d’autodéfense d’un régime qui ne se maintient qu’en diabolisant ceux qui révèlent sa déréliction.
On connaît le scénario. Un événement surgit. Il heurte le bon sens et la raison. Il provoque la colère. Après avoir encaissé le premier choc, le système médiatique réagit en multipliant les articles ayant généralement pour titre: «La controverse X suscite de vives critiques à l’extrême droite». Dès lors, les rôles sont clairement identifiés: ceux qui participent à cette polémique ou se reconnaissent dans le malaise qu’elle suscite sont des complices ou des collaborateurs de l’«extrême droite». À tout le moins, ils en partagent la psychologie et les réflexes. Dès lors, chacun sait qu’il sera marqué de cette sale étiquette s’il insiste pour marquer son désaccord. La mécanique de l’intimidation est en place. On notera que c’est également ainsi qu’a été traitée la querelle entourant la prétention du Planning familial à accueillir les hommes « enceints ». À ce moment aussi, les contradicteurs et les sceptiques furent extrême-droitisés.
Ce moment passé viennent alors les «experts», généralement sollicités par le service public, exhibant leurs titres universitaires comme autrefois les généraux soviétiques affichaient leurs décorations et venant expliquer aux simples mortels qu’ils se trompent en voyant un scandale là où il n’y a qu’un progrès, seulement invisible pour ceux qui ne suivent pas l’évolution théorique et pratique des «sciences sociales». Les douteurs sont culturellement retardés. Ils n’ont pas compris, par exemple, que le système carcéral, pour réinsérer, doit atténuer autant que possible toute forme de contraintes dans le traitement des détenus, qu’il faudrait plutôt voir comme des pensionnaires et des exclus de la société.
De même, ils n’ont pas compris que le genre n’a plus rien à voir avec le sexe et qu’un homme peut aller voir un gynécologue comme une femme avoir un cancer du pénis. Ils n’ont pas compris qu’il n’y a jamais eu aussi peu d’immigrés en France, laquelle ne connaît aucune mutation démographique. Quel que soit le sujet, l’expert sollicité par le système médiatique pour justifier ce qu’il présente comme un progrès fonctionne presque toujours selon le schème explicatif suivant: 1. rien ne se passe ; 2. les choses se sont toujours passées ainsi ; 3. ce qui se passe ainsi est très bien ; 4. oui, les choses ont changé, mais on s’en réjouira et, de toute façon, le changement est irréversible. Le néo-lyssenkisme prospère dans l’université occidentale.
Nous en revenons à Fresnes. Cette polémique s’est propulsée au cœur du débat public car elle symbolise bien l’inversion des valeurs que le commun des mortels ressent intimement lorsqu’il pense aux grandes évolutions des dernières décennies. Il y aurait assurément des nuances à faire, car la prison n’est pas une colonie de vacances. Il n’en demeure pas moins que, sur le fond des choses, cette inversion est bien réelle et heurte à bon droit ceux qui sentent que nos sociétés, à cause d’un humanitarisme devenu fou, ont finalement plus de compassion pour les criminels que pour leurs victimes. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
On ne va pas nous faire croire que le directeur de la prison a organisé ces festivités parce que cela n’est pas la première sans avoir demandé l’autorisation au ministère!!!!!! Encore une fois les français sont pris pour des cons ouvertement sans aucun scrupule et aucune contestation parlementaire…..
La phrase de Michel Audiard est encore et toujours celle qui résume le mieux toute cette agitation.
« Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait »
Toutes ces analyses sont fort justes mais il va bien falloir proposer des solutions. Sans cela on n’en sortira jamais.