Par Vladimir Volkoff.
[Il est conseillé de se reporter à notre présentation de cette série Du Roi si l’on veut connaître les circonstances de sa création].
II. De la Reine
Une reine n’est pas une grise faisane.
Il est vrai que les reines de France, terre salique, arrivaient d’un pays étranger, ne s’acclimataient pas toujours très bien, se prenaient bientôt les pieds dans les tabourets des maîtresses du roi. Elles en pleuraient, puis elles apprenaient à en rire, condamnées pour leur part à une fidélité rarement mise en doute et à une procréation professionnelle qu’elles exerçaient à un rythme soutenu.
Pourtant, malgré le handicap de leur sexe, Anne de Russie, Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille, Marguerite de Bourgogne, Anne de Bretagne, Catherine de Médicis, Marie de Médicis, Anne d’Autriche ont tenu un rôle politique que n’a jamais joué aucune femme d’élu. C’est qu’en effet la reine n’est pas que la femme du roi; elle appartient de son propre chef à la trinité royale; si le roi est Osiris et l’héritier Orus, elle est Isis.
Pour bien marquer cela, la basilissa de Byzance était couronnée avant son mariage : elle tenait donc sa couronne de Dieu, comme le basileus, et non de son mari. En Russie, au contraire, c’était le tsar qui effleurait de sa propre couronne la tête de la tsarine avant de poser dessus la couronne qui lui était réservée. Le symbolisme est différent, mais le contact avec la première couronne, reçue des mains du métropolite, indique que c’est le couple qui accède à la souveraineté et non pas simplement un homme qui se trouve être marié.
En France, les usages étaient différents. Certaines reines furent sacrées le même jour que le roi, d’auttes le jour de leur mariage, d’autres encore à un autre moment. Au XVIIème et au XVIIIème siècle, la plupart ne le furent pas : décadence de la conception originelle de la royauté et régression, heureusement temporaire, du rôle social de la femme. En revanche, de 1115 à 1610, période où la royauté française donna le meilleur d’elle-même, neuf reines seulement ne furent pas sacrées, contre vingt-six qui le furent.
La reine de France recevait deux onctions : sur la tête et sur la poitrine. L’archevêque lui remettait, comme au roi, le sceptre et la main de justice, et la couronnait de ses mains. L’opération était solennelle et définitive, puisque Anne de Bretagne, qui avait déjà était sacrée lors de son mariage avec Charles VIII, ne le fut pas une deuxième fois quand elle épousa Louis XII. [Illustration : François II et Marie Stuart]
Comme le roi sacré est l’homme par excellence, la reine sacrée est la femme par excellence.
On a l’habitude de penser d’abord à son rôle de mère, et il est vrai que la transmission de la royauté, plutôt qu’en ligne droite allant de père en fils, comme on l’imagine trop souvent, décrit une crémaillère qui va de roi en reine et de reine en héritier. Mais la reine a d’autres emplois, et je ne pense pas aux inaugurations d’orphelinats ni au baptême des vaisseaux de guerre. En tant que femme, elle devient naturellement la dame des pensées de ses sujets, et Lancelot accomplit pour Guenièvre des exploits que le roi Arthur ne lui aurait pas inspirés. A notre époque, on imagine que la reine pourrait prendre des responsabilités politiques même en terre salique : il y aurait là la mise en oeuvre de possibilités que la royauté du temps passé ne pouvait exploiter.
Il arrive qu’une reine soit autocrate de son propre chef. Alors c’est elle qui rassemble en elle-même les principes des deux sexes et qui assure le caractère bisexué de la royauté. C’est une reine-roi, et l’expérience montre que c’est généralement un grand roi. Elisabeth Ière d’Angleterre, la reine-vierge, a mis a profit toutes les facultés androgynes de sa fonction; Catherine II de Russie, la Sémiramis du Nord, n’a pas moins bien réussi comme empereur que comme impératrice : Krasnoff, qui lui avait consacré un roman historique, disait que la Russie en était l’héroïne et Catherine le héros.
En dehors de ce cas particulier, la reine nous est garante que ce n’est pas un homme mais l’Homme intégral, masculin et féminin, qui est appelé à régner.
Les révolutionnaires français ne s’y sont pas trompés en décapitant celle que Léon Bloy appelait superbement la Chevalière de la Mort.
Marie-Antoinette n’avait jamais conseillé au bon peuple de manger des brioches au lieu de pain, elle ne s’était pas compromise dans l’affaire du collier; elle avait peut-être souri à Fersen et probablement renseigné les cours d’Europe sur les mouvements de troupes de la France révolutionnaire. Mais ce ne sont pas ces fautes qu’elle paya le 16 octobre 1793. Ce qu’elle paya, ce fut sa qualité de reine, car, en tuant le roi, on ne tuait qu’un roi : avec la reine, on tuait la royauté.
C’est qu’en effet la royauté ne réside pas dans le roi, mais dans la reine. C’est elle qui tisse le roi avec les filaments de son sang, c’est elle qui sait si l’héritier du trône est légitime, c’est elle qui assure cette continuité sans laquelle la royauté n’est rien, puisque la royauté n’est pas fille du temps, mais de la durée.
Donc, c’est à bon droit qu’une grande piété posthume entoure, dans les familles traditionnelles, la dernière reine de France. Je me rappelle ce livre qui lui était consacré et qu’un de mes amis avait apporté au lycée pour me le montrer. Avec un tendre respect, il me fit voir une poche aménagée dans la reliure : dedans, un lambeau d’une robe que Marie-Antoinette avait portée au Temple. Nous avions dix-sept ans et nous regardions ce chiffon sacré avec des larmes dans les yeux. [Série Du Roi, à suivre] ■
Vladimir Volkoff — Wikipédia.
Dernière publication le 28 mai 2021.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Un grand monsieur trop tôt disparu et qui nous manque cruellement.
Qu’aurait-il pensé de notre époque. ?
Un grand Monsieur, assurément. Qu’aurait-il pensé de notre époque ? Il était de la race des écrivains antimodernes. Dont beaucoup furent de grands auteurs. Cela donne une indication sur la réponse que l’on pourrait apporter à votre question.
Une autre pensée nous vient à l’esprit : c’est que ceux qui ont participé aux rassemblements royalistes de Provence ont eu bien de la chance d’y entendre les Volkoff, Raspail, Saint-Pierre, Boutang, Thibon et d’autres.Il n’y a plus guère d’équivalents aujourd’hui. Et c’est surtout dommage pour les jeunes. Il sauront trouver leur propre chemin.