Par Vladimir Volkoff.
[Il est conseillé de se reporter à notre présentation de cette série Du Roi si l’on veut connaître les circonstances de sa création].
Le Roi, l’éternelle solution
Hier soir, nous avons eu une veillée autour d’un feu qui nous a d’ailleurs fort agréablement réchauffés, aussi bien le corps que l’âme, nous avons eu une veillée de chansons. Ces chansons étaient dirigées par quelqu’un qui, lui aussi, a l’autorité dans le sang, fort bien chantées par des jeunes gens et des moins jeunes. Ces chansons, ce feu, cette grande fumée dissimulée, presque clandestine, dans la terre de Provence, m’ont appris des choses.
LES FANTÔMES
J’ai essayé de chanter, moi aussi, le moins faux possible, et je regardais autour de moi et je voyais presque des enfants, je voyais des jeunes gens, je voyais des personnes d’un âge mûr, je voyais des vieillards et je voyais des fantômes. Je voyais dans ces ombres qui bougeaient autour du feu les chefs de la révolution nationale russe, ces partisans blancs dont vous connaissez si bien le chant. Je voyais l’ombre de mon grand-père, qui a été l’un de ces chefs blancs, fusillé par les bolcheviks. Je voyais Dénikine. J’en voyais quelques autres qui étaient, d’une certaine manière mystérieuse, parmi nous.
Je voyais les chouans décharnés et mourants dans les fossés, dans le cadre du génocide vendéen. Je voyais le plus magnifique d’entre eux, Monsieur de Charette. Et je me disais que, si nous chantons encore Monsieur de Charette a dit, cela veut dire que Monsieur de Charette n’est pas mort. Il a, sans parler de l’immortalité chrétienne, une immortalité parmi nous. Il est présent. S’il revenait brusquement dans cette grotte de Provence, il se croirait en Vendée. Il se dirait : je suis vivant, nous sommes vivants, mon idée est vivante, nous sommes toujours là, nous sommes toujours fidèles.
Bien sûr, parmi ces fantômes, il en est un encore plus majestueux que les autres : il y avait le fantôme du roi, du Roi et de tous les rois. Ces fantômes étaient présents parce que le roi est l’éternelle solution et qu’il ne pouvait pas ne pas être là puisqu’il y avait une poignée de fidèles qui, contre toutes ces horreurs qui nous menacent, chantaient des chansons dans la nuit. Il y avait là un message d’espoir inextinguible.
Même si nous devons périr, même si nous devons être vaincus, ce sera un très grand honneur d’avoir été les derniers, non, les avant-derniers car j’ai entendu les jeunes orateurs de ce matin, et je sais que la relève est prête, d’avoir été au pire les avant-derniers porteurs de ce flambeau qui ne veut pas mourir. Ce flambeau brûle dans nos cœurs et il nous dit : le roi est l’éternelle solution.
Je veux tout de suite dire qu’il y a une objection : nous avons entendu surtout des messages tragiques et je n’ai malheureusement pas de bonne nouvelle à vous donner. Nous ne sommes pas cette année plus nombreux que nous ne l’étions les années passées. Nous sommes, il faut bien que nous en prenions conscience, une poignée de témoins.
QUE FAIRE ?
Tout à l’heure, j’ai été interviewé par une charmante journaliste de FR3 qui me disait : « Mais, Monsieur, n’avez-vous pas l’impression de prêcher dans le désert ? ». Je lui dit : « Mademoiselle, je n’ai pas du tout le sentiment de prêcher. J’ai le sentiment de témoigner et on peut témoigner dans le désert. C’est toujours au moins une satisfaction personnelle et cela peut être une utilité ». L’objection, c’est : oui, mais que va-t-on faire ?.
Je me souviens avoir parlé un jour dans une réunion fort brillante à Paris et j’essayais de montrer le caractère sacré de la royauté. Un monsieur en smoking, juste devant moi, s’agaçait beaucoup et, lorsque j’eus terminé, il me dit : « Bon, d’accord, mais le coup d’état, quand est-ce qu’on le fait ? ».
Je ne sais pas quand on fait le coup d’état. Je ne sais pas quand 95% des Français voteront pour le rétablissement de la royauté. De tout cela, je ne sais rien. Mais je sais aussi que, si la Belgique est encore une nation, c’est grâce au roi. Je crois aussi qu’en Espagne, si la guerre civile n’a pas éclaté de nouveau, c’est grâce au roi. Et je sais que, si nous avons encore un ami en Afrique du Nord et si cet ami conserve encore une paix précaire dans son pays, c’est parce que c’est un roi, le roi du Maroc.
Donc, j’accepte tout à fait l’objection selon laquelle la monarchie n’est peut-être pas pour demain en France mais je récuse totalement l’objection selon laquelle la monarchie ne serait pas moderne. Au contraire, elle me paraît extrêmement moderne.
Je voudrais vous dire que le rétablissement de la monarchie n’est pas du tout exclu en Russie où je vais souvent et je pense que je connais assez bien le problème . C’est une possibilité, ce n’est pas une promesse que je vous fais. Un autre pays, dont je parle souvent en ce moment, est la Bosnie serbe où la restauration de la dynastie des Karageorges n’est pas exclue non plus, sans parler de la Roumanie, sans parler de l’Albanie, sans parler de la Bulgarie. Tout est possible d’une certaine manière.
Nous vivons une période où la monarchie sera peut-être récusée mais peut-être prouverons-nous qu’elle est le seul obstacle possible à cette mondialisation, après l’européanisation dont nous avons tant entendu parler.
Le roi, l’éternelle solution. Les mots sont très bien choisis et je me suis dit que je vais faire un exposé en trois points : le roi – éternelle – solution. Ça va très bien avec mon éducation secondaire: avec trois points, on réussit toujours. Puis, je me suis dit : qui dit solution, dit problème, et peut-être que, plutôt que de faire un exposé un peu bateau, il vaut mieux commencer par les problèmes.
LES HOMMES ONT BESOIN D’ETRE GOUVERNÉS
Le premier problème qui se pose à toutes les sociétés des hommes, c’est que ce que les chrétiens expliquent par le récit de la chute a eu lieu et que par conséquent les hommes ne sont pas parfaits, qu’ils ne sont pas tous très gentils et qu’ils ont besoin d’être gouvernés. C’est le premier problème politique : les hommes ont besoin d’être gouvernés.
S’ils ne sont pas gouvernés, ils s’entre-mangent et celui qui a mangé le plus des autres commence à gouverner ceux qu’il n’a pas eu le temps de manger, ce qui est la loi de la jungle, ce qui est une façon de régler le problème, mais il y en a peut-être d’un peu plus civilisées et la monarchie nous apporte une de ces solutions pour régler la seule nécessité que les hommes ont besoin d’être gouvernés. Je ne dis pas que c’est la meilleure mais c’est une des solutions. Le roi est une des solutions à la nécessité qu’ont les hommes d’être gouvernés. Il y a fondamentalement deux sortes de gouvernements :
• les gouvernements paternels où la personne qui a l’autorité est donnée a priori c’est le père, ce sont les parents qui gouvernent la famille, qui gouvernent leurs enfants. C’est la structure royale, bien entendu. C’est une structure absolument fondamentale.
• les structures par contrat social.
J’ai entendu un excellent orateur, Yves-Marie Adeline, qui exprime la même chose de manière différente. Il dit qu’il n’y a que des gouvernements par institution et des gouvernements par constitution. Une constitution, c’est quand, par exemple, nous nous mettons tous d’accord pour dire que Monsieur X va nous gouverner. Il y a une institution lorsque nous recevons les tables de la loi au sommet du Mont Sinaï ou telle autre manifestation d’une autre autorité qui nous dit : « C’est Monsieur X qui va nous gouverner ». Ce sont deux structures totalement différentes, une structure paternelle héritée d’en haut et une structure d’accord entre nous. Il est bien évident que l’une et l’autre règlent plus ou moins bien ce premier problème auquel je faisais allusion qui est que les hommes ont besoin d’être gouvernés. Je pense que les structures paternelles sont mieux adaptées à la nature humaine déchue que les structures constitutionnelles mais, bien entendu, on peut en discuter.
Un autre problème, c’est que, la nature humaine est ainsi faite : il y a des forts et des faibles. Cette force et cette faiblesse, à l’époque de l’homme des cavernes, c’était simplement les costauds et les gringalets. Ce sont ensuite les féodaux et leurs serfs. Ce sont les capitalistes et les ouvriers. A notre époque, ce sont les multinationales et leurs employés. Les puissants, ce sont quelquefois les psychocrates, c’est-à-dire ceux qui manipulent tous les mass médias qui nous manipulent à leur tour. Il y aura toujours et il y a toujours eu une opposition entre les puissants et les moins puissants, les forts et les faibles. Le rôle de tout gouvernement des hommes est nécessairement de limiter quelque peu la puissance des puissants et de protéger les moins puissants contre les plus puissants.
LE ROI CONTRE LES FÉODAUX
C’est l’un des domaines où la monarchie doit vraiment recevoir de bonnes notes dans tous les pays du monde parce que les monarques ont toujours essayé de limiter les droits des féodaux, les droits des forts, les droits des riches, parce que c’était leur intérêt même, sans parler d’altruisme ou de générosité. C’était l’intérêt des monarques de s’appuyer sur la masse des faibles (les faibles sont toujours plus nombreux que les puissants).
Les rois de France ont assis leur puissance sur la petite bourgeoisie et le peuple contre les grands féodaux. Voyez Richelieu. Je pense aussi à l’histoire de Russie où Ivan le Terrible a assis son pouvoir sur le peuple contre les boyards. Je pourrais bien penser aussi à Jules César, à Auguste et on peut remonter dans la nuit des temps. Le monarque a toujours été le protecteur du faible contre le fort. Pourquoi ? Pour obtenir un certain équilibre dont lui-même tirait certains avantages. [Illustration, la bataille de Bouvines]
DROITE ET GAUCHE
Autre problème : la notion de droite et la notion de gauche. Ces expressions sont récentes. Elles ont deux cents ans à peu près. Mais l’idée qu’il y a une droite, des partis de droite, qu’il y a une vision du monde qui est de droite et une vision du monde qui est plus ou moins de gauche est éternelle. On pourrait dire que César était de gauche et que Pompée était de droite ou on pourrait dire le contraire. Mais cet équilibre a toujours existé.
J’ai essayé, à l’époque où je m’intéressais à ces idées de droite et de gauche, de définir l’esprit de droite et l’esprit de gauche. Je m’étais raccroché au mot de Gœthe, qui est généralement mal interprété : « je préfère une injustice à un désordre ». J’avais toujours pensé que les gens de droite étaient ceux qui disaient comme Gœthe qu’il vaut mieux peut-être une petite injustice qu’un grand désordre car le grand désordre va créer beaucoup d’injustices et que finalement on est perdant sur les deux tableaux. La pensée d’Eluard : « l’injustice est le seul désordre » est vraiment une pensée de gauche.
Ces idées de droite et de gauche me paraissent totalement dépassées sauf dans cette conception qu’il y a eu toujours dans tous les pays deux factions qui, plus ou moins, s’équilibraient, et qu’elles ne peuvent être définies que par rapport à quelqu’un. Être à droite signifie être à droite de quelqu’un. Être à gauche signifie être à gauche de quelqu’un. Il y a donc quelqu’un qui est au milieu et qui dit ce qu’est la droite et ce qu’est la gauche.
Rappelez-vous les paroles du prince de France disant : « Mon père, gardez-vous à droite. Mon père, gardez-vous à gauche », étaient bien entendu prophétiques puisque le roi a besoin de se garder tout autant à droite qu’à gauche et tout autant à gauche qu’à droite. Il est le seul qui puisse dépasser ces notions de droite et de gauche et qui dise : « Messieurs de droite, Messieurs de gauche, vous êtes tous mes sujets ».
LES LEÇONS DE SOLJENITSYNE
Un autre problème m’a toujours intéressé. En 1993, j’avais été invité à un événement historique qui me paraît être un des grands événements de ce siècle et dont on mesurera plus tard l’importance. C’était la venue de Soljenitsyne aux Luc-sur-Boulogne pour l’inauguration du mémorial de la Vendée. Soljenitsyne ne se déplace jamais et ne s’intéresse pas beaucoup à ce qui se passe en dehors de la Russie. Mais on l’a invité à venir aux Luc-sur-Boulogne et il a dit immédiatement oui. Il a compris qu’il n’y a pas de droite et de gauche. Il a compris qu’il y a les Blancs et tous les autres. Il a compris qu’il était invité chez les Blancs et, comme c’est un Blanc lui-même, il est venu.
Nous étions 36.000 à l’écouter sous une pluie battante et il nous a dit plusieurs choses qui m’ont paru nouvelles. Il nous a dit : « derrière chaque utopie, il y a une terreur ». Cela me paraît d’une profondeur historique remarquable. Toutes les terreurs sont là pour justifier les utopies.
Il nous a dit aussi : « Toute révolution est mauvaise ». Et puis, il nous a dit quelque chose que je savais déjà, c’est que la liberté et l’égalité sont en fonction inverse l’une de l’autre. Plus il y a de liberté, moins il y a d’égalité. Plus il y a d’égalité, moins il y a de liberté. Mais peu de gens en ont pris conscience : Soljenitsyne , moi et quelques-uns d’entre vous et puis c’est tout. Ce n’est pas très populaire que de le dire. Les gens considèrent que liberté et égalité font partie du même slogan. C’était bon d’entendre Soljenitsyne, venu des plaines russes, nous dire : liberté, égalité, fonction inverse.
Quand certains parlent d’égalité, on sent bien que, dans le meilleur des cas, ils veulent dire justice. La justice est un besoin. Nous avons besoin de liberté. Nous avons besoin de justice. A regarder l’histoire, dans cette balance continue entre le minimum souhaitable d’égalité qui est exigé par la justice et le maximum souhaitable de liberté qui est exigé par l’amour de la liberté que nous avons au fin fond de nous, la balance ne peut être tenue que par un prince non élu, par un souverain dont le rôle est justement d’être le fléau de la balance. C’est lui qui pourra équilibrer la liberté souhaitable et l’égalité ou la justice souhaitable sans faire de surenchère de l’une par rapport à l’autre et sans essayer de nous faire croire qu’elles sont conciliables.
Elles ne sont conciliables qu’à petites doses. Il nous faut une homéopathie de liberté et une homéopathie d’égalité mais pas plus. Le prince, dans sa fonction autoritaire, est celui qui, justement, peut distribuer la quantité de liberté et d’égalité convenable d’après l’état du patient. J’ai toujours été un vif partisan du service militaire qui est totalement égalitaire, où les riches et les pauvres, les illettrés et les lettrés, se retrouvent exactement devant le même parcours du combattant. Il y a des moments où un bain d’égalité est utile et il y a des moments où un bain d’égalité est bon. Le prince me paraît être celui qui peut le mieux juger de la dose de liberté ou d’égalité à administrer à un peuple à certains moments.
Il existe des forces non politiques qui sont dangereuses pour un régime élu, peut-être plus que pour un régime qui porte sa légitimité en soi : multinationales, mondialisme, toutes choses qui vont nous coiffer sans que nous nous en soyons aperçus. Que peut un régime élu ? Que peut un régime qui pense que l’économique passe d’abord ? Que peut un régime fondé sur la publicité, sur la propagande ? Que peut un régime de ce genre contre cette influence de plus en plus dramatique de l’économique anti-national ?
Pas grand chose parce que, j’ai assisté l’autre jour à une conférence d’un homme extrêmement brillant, qui démontrait que, en régime social-démocrate, (et nous vivons en régime social-démocrate), la corruption n’est pas un accident mais une nécessité. Il montrait que, dans ce genre de régime, nous ne pouvons, au bout de certaines générations, qu’avoir des élus corrompus. Que peuvent les élus corrompus contre ces pots-de-vin, contre cette surenchère de l’intérêt matériel ? Rien, tandis qu’il est bien évident qu’un régime qui ne doit rien à personne, qui en soi porte sa légitimité par une sorte de postulat absolu (au sens étymologique du terme, c’est-à-dire qui ne dépend de rien), est le seul régime qui peut résoudre le problème de l’insubordination à toutes ces méduses supranationales qui flottent autour de nous.
LE POUVOIR EST SACRÉ
Essayons d’aller un peu plus profond. Un des problèmes de tout pouvoir, c’est que quelque chose en nous, très profondément, nous dit sans nous expliquer pourquoi que tout pouvoir est d’une certaine manière sacré. Par rapport au deuxième classe, le caporal est quelque chose de sacré. Ne parlons même pas du père du régiment ou, bien entendu, du maréchal. Autrefois, on sentait très bien que, dans la fonction de maréchal par exemple, l’autorité à partir d’une certain niveau débouche dans un monde autre, dans un monde qui nous dépasse.
J’aime bien citer l’histoire de cet écrivain russe, Léontieff, qui, un jour, au milieu du XIXème siècle, avait pris un fiacre. Il avait constaté que son cocher avait insulté un agent de police en passant. Il lui dit alors : « comment, misérable, oses-tu insulter le Bon Dieu ? ». Le cocher répond qu’il n’a pas insulté le Bon Dieu mais une espèce de flic qui l’embêtait. Il lui dit alors : « Je vais t’expliquer. Que représente le flic ? Il représente le préfet de police. Que représente le préfet de police ? Il représente le tsar. Qui représente le tsar ? Il représente Dieu. En insultant le flic, tu as insulté Dieu. »
On peut prendre ça à la rigolade. On peut sentir aussi qu’il y a là un peu d’infiltration de l’autorité sacrée qui perle, qui apparaît même au niveau inférieur de l’autorité sociale. Même notre défunt président de la République éprouvait le besoin d’en jouer. Quand Monsieur Mitterrand est allé se promener au Panthéon avec des roses dans les mains et s’est isolé avec les grands morts de la République, qu’est-ce qu’il a essayé de faire comprendre au peuple ? C’est qu’’il était devenu un personnage sacré. Depuis le début de l’Histoire, on a toujours senti que l’autorité était sacrée. Pensez aux empereurs romains qui, après leur mort, accédaient à l’apothéose. On reconnaissait que, puisqu’ils étaient capables de devenir dieux après leur mort, c’est qu’il y avait quelque chose de divin en eux avant leur mort.
Lorsque nous disons que le président de la République est quelque chose de divin, c’est tout de même un peu ridicule. Mais le roi assume pleinement cette capacité d’aboutir dans un autre monde. Il assume ce caractère sacré de l’autorité par le moyen du sacre entre autres. Nous n’allons pas argumenter aujourd’hui pour savoir si le sacre du roi est un sacrement ou un sacramentel. En tout cas, c’est quelque chose de sacré et le roi assume le rôle de personnage sacré et, par là, il résout le problème de savoir s’il y a du sacré ou s’il n’y en a pas dans une autorité civile.
LE GOUVERNEMENT ET LE MAL
Enfin, un problème m’a toujours hanté, c’est que le gouvernement des hommes suppose nécessairement l’utilisation du mal. Le gouvernement des hommes suppose nécessairement un certain pacte avec le diable. On ne commande pas aux hommes sans avoir une police. Il n’y a pas de police digne de ce nom qui ne vous passe à tabac de temps en temps. On ne commande pas à une nation entière sans avoir un service de renseignements. Les services de renseignements ne sont pas entièrement faits d’enfants de chœur. Ils utilisent quelquefois des méthodes qui, soit recourant à la violence, soit recourant au mensonge, ne sont pas entièrement des méthodes angéliques. On n’est pas le roi sans avoir eu le droit de grâce. Mais le droit de grâce, c’est aussi le droit de ne pas faire grâce, c’est-à-dire le droit d’envoyer un homme pareil à vous à l’échafaud.
Finalement, on n’est pas un chef d’Etat si l’on n’a pas la possibilité de déclarer la guerre, avec ou sans l’accord d’une représentation populaire, c’est-à-dire d’emmener, de conduire des hommes à la mort, de leur demander de mourir et de leur demander de tuer. On sort ainsi du gouvernement des gens conçu comme l’administration d’une commune. Il s’agit de demander aux hommes, soit de transgresser un des premiers commandements de l’Eglise, soit de faire le sacrifice suprême. Est-ce que, vraiment, nous nous sentons à l’aise lorsque c’est un monsieur qui a été élu par 51% contre 49% des voix qui assume cette fonction ? Pour moi, non.
Je me sens plus à l’aise lorsque je sens qu’une famille a reçu cette bénédiction-malédiction, qu’elle a été mise à part, qu’elle a été sacralisée, qu’elle est à la fois divine et bouc émissaire, qu’elle est destinée à exiger cela, commander cela, qu’elle est en quelque sorte en dehors des lois, qu’elle est sa loi à elle-même. Je ne sais plus qui disait récemment que, en dehors du droit divin, rien ne l’intéresse.
C’est cela : il n’y a que le droit divin qui nous permette d’accéder en toute légitimité, en toute indiscutabilité à cette forme mystérieuse de pouvoir sur les hommes. Dans la nuit du sacre, le roi n’acquerrait pas seulement le pouvoir de guérir les écrouelles. Il acquerrait le droit et le pouvoir d’envoyer des hommes à la mort. C’est grave. Et il est inquiétant que ce droit s’obtienne par des petits bulletins déposés dans de petites boîtes.
Je voulais dire quelques mots, sur le terme éternelle contenu dans le titre Le roi, l’éternelle solution. Je pense qu’il faut l’entendre de deux manières. Pas seulement le roi est l’éternelle solution, c’est-à-dire qu’il est l’éternel recours auquel on s’adresse quand les autres recours ne marchent pas. C’est aussi deux autres choses, plus importantes.
LA TRANSMISSION DU POUVOIR
D’une part, vous avez vu que le pouvoir en soi posait des tas de problèmes mais alors la transmission du pouvoir… Comment transmet-on le pouvoir ? La monarchie le transmet par le moyen le plus simple, le plus bête possible. De même que nous transmettons la vie, il y a un monsieur et une dame qui ont des enfants auxquels le pouvoir, cette capacité mystérieuse, sacrée, mystique, est transmis. Les Grecs transmettaient le pouvoir par un système de tirage au sort pour certains magistrats. Nous, nous avons recours à l’élection.
L’ennui de l’élection, c’est qu’on élit les gens qui ont les qualités nécessaires pour se faire élire, lesquelles sont généralement complètement opposées à celles dont on a besoin pour gouverner. Pour moi, la démocratie a une sorte de faille à la base puisqu’on élit ceux qui sont capables de grimper sur une caisse à savon et de dire : votez pour moi, je suis le plus beau. Il est rare que ceux qui sont vraiment capables de gouverner soient capable de faire ça.
Cela dit, on a peut-être élu des gens brillants mais il n’y en a pas beaucoup. Dieu sait que nous avons eu dans tous les pays des rois qui étaient intelligents et d’autres qui étaient bêtes, certains qui étaient pleins de génie et d’autres qui étaient fous, certains qui étaient malades et d’autres qui étaient bien portants. Mais il me semble que la loterie héréditaire est préférable à l’élection. Les résultats sont meilleurs. Mais supposons que ce ne soit qu’une loterie, elle nous assure en tout cas de quelque chose de continu sans le moindre problème.
Dans cette espèce d’éternité biologique dans laquelle on dit que le roi ne meurt jamais en France (Le roi est mort, vive le roi), nous accédons à quelque chose de plus profond, à une véritable victoire sur la mort. Le roi ne meurt jamais. C’est le seul Français qui ne soit jamais mort. Il est toujours vivant. Dans cette continuité par un personnage, nous devenons tous d’une certaine manière immortels puisque nous nous associons à cette royauté qui le rend immortel, lui, et qui, puisqu’elle revendique son pouvoir d’ailleurs, lui donne accès à une autre éternité.
LA MONARCHIE HERMAPHRODITE
Je voudrais citer un livre admirable qui s’intitule tout simplement Le Roi de Monsieur Jean-Paul ROUX. Quand je l’ai reçu, j’ai écrit à son auteur : « Merci de m’avoir dispensé d’écrire ce livre. Toute ma vie, j’ai rêvé de l’écrire et vous l’avez écrit infiniment mieux que je n’aurais su. Maintenant, je n’ai plus besoin de faire toutes les recherches que vous avez faites tellement mieux que moi ».
C’est un livre tout à fait remarquable où Jean-Paul Roux, historien, nous montre ce que c’est que le roi dans toutes les sociétés. Le roi, pour lui, c’est, entre autres, l’axe vertical de la cité, c’est-à-dire de l’humanité. C’est l’être qui joint la terre, c’est-à-dire la cité des hommes, qui sera sorti des reins d’un monsieur et du ventre d’une dame, qui sera un homme comme moi, et qui, en plus, sera bisexué.
La monarchie est seul régime au monde qui prend en considération ce que nous dit la Bible et ce que nous dit Platon : l’homme, dans le principe, était hermaphrodite. Aucun de vous, Messieurs, n’est un homme entier. Aucune de vous, Mesdames, n’est une femme entière. Je ne suis pas un homme entier. Je ne suis qu’une moitié d’homme. Avec ma femme, nous faisons un être humain tout entier. Le roi, parce qu’il a la reine, est l’homme tout entier. Lorsque nous portons le roi au pinacle de la société, nous nous inclinons devant notre propre espèce, devant l’être humain : le roi et le reine unis pour l’éternité.
On me demande quelquefois pourquoi je suis monarchiste. Je suis royaliste parce que je pense que le royalisme est un humanisme. [Autres textes de Vladimir Volkoff à suivre] ■
Vladimir Volkoff — Wikipédia.
La galerie des rois de Juda. Notre-Dame
Dernière publication le 2 juin 2021.
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