Cet entretien particulièrement intéressant est paru dans FigaroVox, hier, 2 septembre. Il a été excellemment réalisé par . Lors de la présidentielle, puis des législatives, nous avons vu le souci populaire pour l’existence même de la nation, qui avait été courageusement réveillé par différentes personnalités dont, évidemment, Éric Zemmour, soudainement ramené à quelques recettes, sans-doute très illusoires, pour relever de quelques points le pouvoir d’achat des Français. En oubliant que l’on risquait surtout, à terme, avec (ou sans) quelques sous en plus, de n’être plus chez nous en France et, même, que la France ne soit plus la France. Construit sur ces bases, nous avons aussitôt douté de l’efficacité pour le Pays du succès électoral engrangé par le camp national. Nous verrons la suite. L’analyse de Dimitri Pavlenko est intéressante et solide, mais c’est surtout sa conclusion qui retient notre attention. Elle est ici en titre : « Le pouvoir d’achat ne peut pas être le but d’une politique » Et encore lorsque prônant le retour à « une politique de puissance », il écrit : « Il faut à nouveau penser la France en grand ! Le pouvoir d’achat ne peut pas être le but d’une politique ; il n’est que la juste récompense de choix de société forts. ». L’essentiel est dit.
ENTRETIEN – Sur fond d’inflation et de hausse des taux d’intérêts, le pouvoir d’achat est devenu la première préoccupation des Français avant même l’insécurité. Dans un essai dense et informé, le journaliste et chroniqueur, animateur de la matinale d’Europe 1, décrypte les ressorts profonds d’une crise qui révèle, selon lui, notre déclin économique, mais aussi la panne de notre modèle de société.
LE FIGARO MAGAZINE. – Dans Combien ça va nous coûter?, vous tentez de comprendre la crise du pouvoir d’achat. Celle-ci est-elle principalement liée aux conséquences du Covid et de la guerre en Ukraine où s’agit-il d’une crise beaucoup plus structurelle ?
Dimitri PAVLENKO. – C’est une vieille douleur de la société française, et elle connaît en ce moment un pic inflammatoire. Sur longue période, les statistiques révèlent clairement une cassure au début des années 1980. On voit alors la croissance du pouvoir d’achat décrocher brutalement. De 5 % par an en moyenne entre 1960 et 1979, elle tombe à seulement 1,48 % annuel en moyenne de 1980 à 2019. La meilleure année de la période pour le pouvoir d’achat (+ 4 % en 1990) n’atteint même pas le niveau de la plus mauvaise année de la période précédente. Pourquoi ce ralentissement? Tout simplement la fin des Trente Glorieuses, qui se traduit par un changement radical de modèle économique. Fini la croissance prospère pour tous ; place à la croissance austère. C’est l’avènement, dans les entreprises, des politiques de compression salariale au nom de la compétitivité, sur fond de poussée du chômage et de lutte contre l’inflation. La crise du pouvoir d’achat est en fait très largement une interminable crise des revenus. Pour la majorité, ils ne vont plus progresser que faiblement, voire stagner.
Faute d’augmenter les salaires, il ne reste que le levier des prix pour préserver les niveaux de vie. Cela explique toutes les orientations du capitalisme néolibéral depuis quarante ans: les délocalisations vers les pays à bas coût, les pressions salariales, la déréglementation du marché du travail facilitée par la désyndicalisation massive, les traités de libre-échange, l’obsession concurrentielle de l’Europe, mais aussi la constitution de gigantesques centrales d’achat dans la grande distribution, l’utilisation prioritaire des énergies fossiles abondantes et peu chères, la concurrence fiscale entre les pays, etc. Le modèle économique qui en est sorti, orienté low cost, a comprimé très efficacement nos tickets de caisse. Mais ce que le consommateur y a gagné, il sent aussi qu’il l’a perdu comme travailleur et comme citoyen.
Dans ce contexte, que pensez-vous des mesures prises par le gouvernement? Ne sont-elles pas trop court-termistes ?
Effectivement, hors revalorisations du point d’indice des fonctionnaires, des pensions et des minima sociaux qui deviennent des dépenses pérennes, les mesures du budget rectificatif voté cet été ont pour vocation à s’éteindre à la fin de l’année. Le gouvernement fait le pari que la bulle d’inflation va se dégonfler rapidement et il met le paquet sur la rentrée, faute de visibilité pour la suite. Difficile de prévoir ce qui va se passer. La vraie question, je crois, est plutôt: pourquoi un tel activisme du gouvernement pour le pouvoir d’achat, alors que l’inflation en France est la plus faible de l’UE? Tout simplement parce qu’il se sent comptable vis-à-vis des Français.
Depuis quarante ans, l’habitude est prise que l’État soutienne le niveau de vie de la population, en multipliant les emplois publics et les béquilles sociales, au prix d’un endettement faramineux. En France, et c’est unique en Europe, le pouvoir d’achat a presque valeur de droit! Comme s’il s’agissait d’un acquis social, que la puissance publique avait la charge de réassurer en cas de coup de chaud. Les interventions de l’État devraient faire baisser le sentiment d’insécurité de la population, mais c’est malheureusement le contraire qui se produit. Car le doute va croissant sur la capacité de la puissance publique à maîtriser les risques.
Mais est-ce à l’État ou aux entreprises de régler cette crise ? Une vraie hausse du pouvoir d’achat ne doit-elle pas passer par une hausse des salaires ?
Il y a évidemment un sujet salarial en France, et les entreprises ont une responsabilité. Il n’est pas normal que sur 171 branches professionnelles, 120 aient encore des échelons salariaux en dessous du smic. La pyramide salariale française est très écrasée. Un quart des actifs gagnent moins d’1,2 smic, et on entre dans le dixième des Français les mieux payés à partir de 3650 euros net mensuels. Seulement, on ne peut pas se contenter de dire que c’est la faute des entreprises qui paieraient mal. Le ralentissement de notre enrichissement collectif depuis quarante ans est le fruit d’une série de choix historiques qui nous ont progressivement relégués dans le ventre mou des classements internationaux. Dans le livre, je raconte cette histoire méconnue. Aujourd’hui, la France possède encore le 7e PIB mondial, mais nous sommes 25e en termes de PIB par habitant, et 30e mondial en PIB par habitant à parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire en tenant compte du coût de la vie dans le pays.
L’accroissement du pouvoir d’achat passe-t-il par un allongement du temps de travail ?
Vous rappelez une loi économique de base: le volume de travail d’un pays détermine sa capacité à créer de la richesse. Or, la France a déjà du mal à faire travailler tous les Français. La question est aussi de savoir s’ils sont prêts à travailler plus! Il est permis d’en douter. Voyez l’hostilité que suscite l’idée de repousser l’âge de départ en retraite. Le seul débat en matière de temps de travail à avoir percé médiatiquement ces derniers temps a concerné la réduction du temps de travail, quand le PDG de Total a annoncé réfléchir à la semaine de quatre jours. La pulsion sociale dominante, en particulier dans les jeunes générations, est plutôt à travailler moins que davantage. Le travail ne fait plus figure de mode d’épanouissement des individus. Quand l’ambition demeure présente, elle s’exprime plutôt dans l’entrepreneuriat.
Quid de la fiscalité ? Le paradoxe français est que malgré un taux de prélèvement record, nos services se paupérisent.
Nous avons un très mauvais rapport qualité/prix de notre dépense publique. La santé en absorbe près de 20 %, mais nous sommes 11e sur l’espérance de vie, en Europe, des hommes en bonne santé. L’éducation pèse 10 % de la dépense publique, mais nous sommes 23e au classement Pisa sur la qualité de l’enseignement. Nous sommes 37e sur l’efficacité de la justice, etc. Notre «modèle social» si généreux affiche de bien piètres performances! En même temps, les Français exigent son extension et une protection de plus en plus universelle. La demande de filets sociaux n’a jamais été aussi forte. L’impôt finance ainsi de 30 à 50 % des revenus des ménages les plus modestes.
Le problème est que la pression fiscale française est fortement déséquilibrée. Cela nuit au pouvoir d’achat comme à l’emploi. Sur les bas salaires, on a pris l’habitude de réduire les charges patronales pour soutenir l’emploi et la compétitivité. L’effet pervers est qu’un nombre croissant de salariés se concentrent juste au-dessus du salaire minimum. Comme il faut bien prélever ailleurs ces cotisations perdues, on les prend sur les moyens et hauts salaires, qui s’estiment mal payés. Et leurs employeurs cherchent naturellement à limiter les embauches comme les augmentations…
Un autre écueil de notre fiscalité est la concentration croissante de l’État-providence sur la grande pauvreté et les plus modestes. Cette redistribution, bien que nécessaire, mais de plus en plus sélective, a des effets délétères: elle dévalue le travail, génère artificiellement de l’égalité au bas de l’échelle sociale, nourrit la critique de l’assistanat et affaiblit le consentement à l’impôt, en particulier parmi les classes moyennes qui ne vivent ni l’aisance ni l’assistance.
L’inflation actuelle se concentre sur l’énergie. Elle s’ajoute au problème beaucoup plus ancien du prix des logements et de l’alimentation. Comment le résoudre?
Je m’attarde longuement dans le livre sur le logement, qui est au cœur de la crise du pouvoir d’achat. C’est le premier poste de dépenses des ménages, et les sacrifices budgétaires qu’il exige anéantissent parfois totalement le revenu arbitrable de millions de Français. Il faut évidemment construire plus! Surtout en zones tendues. Seulement, plus personne ne veut le faire, et la loi multiplie les obstacles et contraintes aux bâtisseurs. C’est un exemple parfait d’injonction paradoxale: l’environnement contre le pouvoir d’achat.
Quant à l’alimentation, on lit partout que les Français seraient prêts à payer plus cher pour avoir de la qualité, mais leur consommation montre exactement le contraire. Nous payons déjà nos courses alimentaires 15 % de plus que la moyenne des 27. Nos dirigeants et une partie du monde agricole refusent de voir la préférence des consommateurs pour les petits prix. Nos voisins espagnols, néerlandais ou allemands, eux, l’ont compris depuis longtemps, et voient leur vocation agricole se renforcer. La France, elle, réduit ses surfaces cultivées: 60.000 km2 en moins depuis 1960, l’équivalent de la région Grand Est! L’erreur économique se paye par un appauvrissement.
La plupart des économistes affirment que le pouvoir d’achat n’a cessé de progresser depuis vingt ans… Pourtant le sentiment des Français est tout autre. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Depuis 2000, le revenu disponible brut des Français a progressé de 60 %, pour une inflation cumulée à fin 2021 de 35 %. Le pouvoir d’achat a donc statistiquement augmenté de 25 %. Mais ce n’est qu’une moyenne, qui masque des inégalités importantes. Le passage à l’euro a aussi ancré durablement l’impression que certains en ont profité pour augmenter leurs tarifs. Par-delà les opinions sur les prix, un phénomène est incontestable: c’est la part croissante dans les budgets des dépenses préengagées. Loyers, assurances, télécoms, etc. Ces charges inévitables pesaient 12 % des revenus en 1960. C’est 32 % aujourd’hui, en moyenne. Près d’un euro gagné sur trois! Par ailleurs, quand bien même les prix progressent peu, l’offre de biens et de services ne cesse, elle, de s’étendre. Les marques s’y entendent pour susciter le désir et stimuler la demande. La stratégie de la nouveauté permanente, la montée en gamme, la personnalisation de masse sont autant de procédés efficaces pour surmonter le tassement de la progression du pouvoir d’achat. Mais le budget des Français ne suit pas cet élargissement incessant de la proposition commerciale. La frustration est donc immense, et nourrit le sentiment d’appauvrissement.
Le retour du pouvoir d’achat est-il compatible avec une société plus sobre et plus écolo ?
Le pouvoir d’achat est le pur rejeton de la société de consommation. Or, le président de la République vient de nous annoncer la fin de l’abondance… Ce qui est rare se paye toujours cher, c’est donc une sobriété forcée qui attend tous ceux qui n’en auront plus les moyens. Un consensus est en train d’émerger pour dire qu’à l’évidence, demain sera plus cher: parce qu’il y aura moins de mondialisation, qu’elle se fera de plus en plus entre amis, parce qu’aussi, pêle-mêle, la transition énergétique, le vieillissement qui va considérablement réduire la quantité de main-d’œuvre, etc. Les facteurs potentiels d’inflation future sont nombreux.
La thèse centrale de votre livre est que la crise du pouvoir d’achat est le symptôme d’une crise morale et existentielle plus profonde. La France est-elle devenue un pays de purs consommateurs et dans ces conditions sommes-nous condamnés au déclin ?
La France est mondialement connue pour son pessimisme. Les Français ont perdu confiance en l’État, et les pouvoirs publics en général. Ils se méfient les uns des autres. La majorité considère que les règles du jeu social ne sont pas les mêmes pour tous. Nous ne faisons plus masse, et la tendance est au repli sur soi. Je pense que c’est un handicap terrible. Cela nous empêche de mener l’indispensable examen de conscience qui doit nous permettre de revenir sur les rails de la prospérité, et de consentir aux sacrifices qu’implique toute politique de puissance. Il faut à nouveau penser la France en grand! Le pouvoir d’achat ne peut pas être le but d’une politique ; il n’est que la juste récompense de choix de société forts. ■
Pour le coût de la santé (celui de la maladie , en fait) , pour le coût de l’ Education (enseignement mais aussi activités « extra-scolaires »…) sont mis en rapport le pourcentage dépensé et le classement des résultats . Pour la Justice , seul figure le classement en terme d’efficacité ; pas un mot sur le peu qui est dépensé ; il est vrai que la Justice , en France , est le « parent pauvre du budget ; pourquoi cet oubli , cette mise sous le boisseau ? Tout ce passe comme s’il y avait un consensus , aussi bien à gauche qu’ à droite (en dépit des rodomontades de cette droite -tolérée- sur le sujet de la sécurité lequel ne peut être traité sans un bon fonctionnement de la Justice , activité régalienne au demeurant) .
Pour ce qui est des années d’activité qu’il faudrait gagner , rien sur les retards artificiels de l’entrée dans la vie professionnelle de jeunes gens afin d’ avoir 80 pour cent de bacheliers , des « Bac + 5 » de n’importe quoi .
Bien entendu , rien non plus sur le fait que passé la soixantaine , l’état n’est plus celui de la jeunesse , ce qui n’est ignoré ni des salariés ni des employeurs .