Cet entretien – conduit par Pierre Builly sous le nom de plume de Pierre Lambot – est paru dans Je Suis Français, mensuel papier, n°59 de décembre 1982. Il vient clore ici la série Du roi de Vladimir Volkoff, que JSF a publiée ces jours derniers. Sept textes qui ont d’abord été des discours prononcés aux Baux de Provence. Nous publions cet entretien en trois parties, ce mercredi, puis ces jeudi et vendredi.
JE SUIS FRANÇAIS : Vladimir Volkoff, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Vladimir VOLKOFF : Je suis né en 1932, à Paris, de parents russes émigrés en 1917. J’ai fait des études littéraires, j’ai une licence de Lettres obtenue en Sorbonne, et un doctorat de philosophie, plus exactement d’Esthétique, de l’Université de Liège. J’ai un peu enseigné, puis fait cinq ans d’armée, en Algérie. A mon retour d’Algérie, au tout début de 1962, j’ai fait des traductions de livres pour enfants et, jugeant la France un peu étouffante à cette époque, je suis parti pour une espèce de tour du monde — quelques mois en Espagne, quelques mois au Canada —; enfin je me suis fixé pour une quinzaine d’années aux Etats-Unis, où j’ai enseigné. Depuis cinq ans, je ne fais plus qu’écrire.
J.S.F. : Quel est votre itinéraire politique ?
V.V. : Je n’en ai pas. Je refuse entièrement de prendre mes sentiments pour des opinions. Je crois que la politique nécessite une compétence qui m’échappe totalement et qui m’ennuie. Mais je suis, bien évidemment, de tradition, de famille et, d’une certaine manière, de conviction, attaché au régime monarchique.
J.S.F. : Vous avez fait vos premières armes à « Amitiés Françaises Universitaires », le mensuel des étudiants d’Action française.
V.V. : J’ai écrit dans « A.F.U. ». J’ai fait partie du premier groupe qui a fondé ce journal, je me suis battu avec les communistes… Churchill dit de la Démocratie que c’est le plus mauvais des régimes, exception faite de tous les autres. J’aurais tendance à dire la même chose, mais pour la Monarchie. Maintenant, ce que la Monarchie signifie à l’heure actuelle, dans quelle mesure elle est réalisable, dans quelle mesure elle correspond à quelque chose, je ne le sais pas. J’y suis attaché, c’est tout.
J.S.F. : Votre engagement à l’A.F., vos bagarres en Sorbonne étaient donc plus particulièrement faits de sentiment que de réflexion. Pourtant, vous avez sûrement lu Maurras ?
V.V.: Je ne l’ai pas beaucoup lu, bien qu’à l’époque où j’ai milité je me sois occupé de politique. Il y avait eu la scission de la « Nation Française », une des innombrables scissions du mouvement royaliste français, et j’étais resté à « Aspects de la France », avec Pierre Debray (j’ai fréquenté Boutang plus tard, à mon retour d’Algérie). À l’époque, j’allais à l’Institut de Politique Nationale, l’I.P.N., qui se réunissait une fois par semaine à la salle des Sociétés Savantes, je suivais les conférences… J’ai même essayé de lire Marx… Mais enfin, très rapidement, j’ai découvert que la politique ne m’intéressait pas.
J.S.F. : Dans « Le retournement », vous écrivez que Rouges et Blancs sont irréconciliables. Et vous êtes sans conteste un Blanc, ne serait-ce que par vos origines familiales.
V.V. : Oui, mais pas seulement pour ça. Je le suis aussi parce que je vois l’énormité du mensonge communiste ; je suis très dostoïevskien et ce n’est pas vraiment l’aspect politique — ou économique — du communisme qui m’intéresse : on peut concevoir de mettre en commun la propriété des moyens de production : je ne crois pas que ça marche très bien, mais enfin ce n’est pas impensable. En fait, c’est l’aspect métaphysique ou religieux qui compte, l’entreprise d’athéisme militant que Dostoïevski avait prévue, c’est la possession antéchristique ; c’est en cela que je reconnais dans les communistes mes ennemis.
J.S.F.: Votre filiation russe, votre nationalité française ne vous posent-elles pas de problèmes ? Etes-vous Français en Russie et Russe en France ?
V.V. : Je crois que je suis aussi pleinement russe qu’on peut l’être sans avoir jamais mis les pieds en Russie et aussi pleinement français qu’on peut l’être sans avoir une goutte de sang français dans les veines. Ce n’est évidemment pas très confortable, c’est même assez déchirant, mais finalement on s’y habitue et on trouve à cette situation une certaine richesse.
J.S.F. : Votre long séjour aux Etats-Unis a-t-il introduit une nouvelle composante dans votre personnalité ?
V.V. : Non, je ne crois pas avoir été influencé par les Etats-Unis. Une autre influence que j’ai ressentie, c’est celle de la littérature anglaise, que j’aime beaucoup et que j’ai beaucoup lue. Mais je ne vois pas d’influence américaine.
J.S.F. : Pourtant, le premier volume des « Humeurs de la mer », « Olduvaï » se passe aux Etats-Unis et vous y parlez notamment du racisme ; mais il est vrai que vos personnages sont des Français et que le thème du racisme n’est pas le plus important.
V.V.: Je suis en train d’écrire un recueil de nouvelles qui mettent en scène des Américains ; j’essaye de voir les Américains de l’intérieur, ce qui m’est très difficile, malgré les quinze ans passés là-bas. Ce recueil sera probablement, avec certains aspects de « Olduvaï », tout ce que-l’Amérique m’aura donné littérairement.
J.S.F. : Revenons donc à la Russie, qui vous intéresse manifestement plus ; l’Union Soviétique est-elle le pays du communisme, tout entier tendu vers le mal, ou demeure-t-elle la Russie éternelle ? Les deux, sans doute, un peu…
V.V. : Tout est ambigu et compliqué. Le spiritualisme russe reste très profond, soit qu’il demeure dans le sein de l’Eglise Orthodoxe – il y en a même deux, l’officielle et celle des catacombes – soit qu’il se soit dévoyé en communisme culte de Lénine, culte des reliques de Lénine. Il y a certainement une grande faim spirituelle que les Russes essayent de combler par des lectures ; c’est le peuple russe qui lit le plus au monde. Mais je crois aussi — et c’est là que nous redécouvrons le communisme ennemi — qu’il y a eu une influence très profonde exercée sur la conscience et sur l’inconscient des Russes par ce régime fondé sur le mensonge. A ce sujet je vous renvoie au dernier livre de Zinoviev, qui n’est pas encore paru en français, qui s’appelle « Homo sovieticus » qui fait percevoir la transformation presque biologique des Russes par le communisme.
J.S.F. : Lorsqu’on baptise « nouveaux tsars » les maîtres actuels du Kremlin, ça vous fait bondir ?
V.V. : Oui, ça me paraît complètement bouffon. Les tsars étaient des monarques de droit divin. Le Prince était responsable devant Dieu, un peu à la manière du Roi de France… ça n’a rien à voir avec les Soviets ! ■ (À suivre)
Propos recueillis par Pierre Lambot