Par Michel MICHEL.
Michel MICHEL a répondu à la question posée par Marianne : « Au fait , c’est quoi être républicain ? », à sa manière, à notre manière. Le texte n’ayant pas été publié, nous corrigeons cette erreur en vous le présentant sur notre site. (NDLR : En l’occurrence, le site de L’Action Française)
La République dans le monde se présente comme un mode procédural pour désigner les dirigeants ; mais en France, c’est surtout une idéologie voire comme l’établissait Vincent Peillon, une religion qu’il est recommandé de pratiquer dans la vie politique, même si on n’est pas croyant.
Ceux qui affirment que la France ne peut se réduire au régime républicain ; comme Zemmour qui conclue ses discours par « Vive la République et surtout vive la France ! » sont plus que suspects puisqu’ils osent insinuer que l’on peut distinguer les deux concepts… L’appel aux républicains est une machine à fabriquer de l’exclusion en opposant ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas : les Girondins, les Vendéens, les fédéralistes de Lyon ou de Toulon, les chouans de Bretagne ou de Normandie, les émigrés, les légitimistes, les calotins, les ligues, Vichy (après coup), les moscoutaires, les partisans de l’Algérie Française, les « extrémistes », les « gilets jaunes », etc. Pour les cours d’instruction civique, la République se présente comme la chose publique, commune à tous, mais dans la mythologie française, elle présuppose que certains sont exclus de « l’arc républicain ». « Être républicain » est toujours l’expression d’un double discours.
POURQUOI ?
En France, depuis sa fondation, l’identité de la République se découpe toujours sur un arrière-fond de guerre civile. La guerre civile est l’origine de toutes nos Républiques ; c’est pourquoi l’appel à la République est le plus souvent un appel à l’ostracisme, à l’exclusion. La plupart des hymnes nationaux vantent la patrie maternelle, la « Marseillaise », elle, évoque une lutte contre la tyrannie et fait le vœu « qu’un sang impur abreuve nos sillons ». Le sang de qui ? Ce n’est pas trop précisé pour pouvoir s’appliquer en fonction des circonstances. Il y a ceux avec qui on joue (les « adversaires ») et ceux qui menacent le jeu (les « ennemis ») ; et l’ennemi (comme le diable) rôde toujours, c’est constitutif de la République.
Dans l’iconographie républicaine, Marianne est représentée en mouvement enjambant une barricade. Il y a un bon côté et un mauvais côté de la barricade ; le monde, le temps et l’espace sont clivés.
Le temps est clivé : le mal, c’est le retour au passé, ce qui suppose une adhésion au mythe du Progrès linéaire. Quand quelqu’un s’oppose à mes propositions, il suffit de le soupçonner de vouloir « revenir en arrière » pour le déqualifier et de prétendre aller « vers l’avenir » pour être qualifié. C’est évidemment une construction mythique : en réalité, tout le monde est contemporain ; les antimodernes sont des modernes comme les autres, mais qui voudraient autre chose que les autres. Ce n’est d’ailleurs pas de n’importe quel passé dont il faut s’émanciper car les républicains feront volontiers référence aux Spartiates, à Spartacus ou à Brutus. L’Histoire passée n’est pas homogène et l’ombre accompagne nécessairement la lumière. Il y a des « heures sombres », des périodes « d’obscurantisme » et des temps d’émancipation. Dans cette mythologie, la Chrétienté fut par excellence le comble de l’obscurantisme, l’apothéose de la Reine de la nuit et au contraire, les salons du 18e siècle sont qualifiés de « Lumières ». C’est dans ce cadre qu’on inventa au 19e les légendes noires des oubliettes, des ceintures de chasteté ou de la chasse aux sorcières (phénomène essentiellement « moderne »). Que les historiens contestent ces légendes, ils n’en seront que plus suspects.
L’espace est aussi qualifié : se proclamer « républicain » c’est prétendre se situer sur le bon côté de la barricade, du bon côté du manche, c’est affirmer son droit à la bonne soupe ; c’est prendre une posture légitime pour utiliser toutes les armes institutionnelles et symboliques contre les ennemis de la République.
Le plus souvent sont républicains : le centre « qui a vocation à gouverner » ou aussi les élites parisiennes ou encore le parti autoproclamé « avant-garde » (matrice du léninisme). Le « peuple », c’est quasi exclusivement Paris ; la périphérie est structurellement « extrémiste ». La Province ne doit que se soumettre et toute agitation (par exemple les « bonnets rouges » en Bretagne) sera considérée comme factieuse. Ce n’est pas d’abord une question de majorité (la « racaille » de Paris et les clubs sont ultra minoritaires) mais de légitimité du positionnement. La « France de la périphérie » (cf. Christophe Guilluy) doit rester en déshérence…
Bien moins que l’étranger, l’exclu nécessaire, « l’ennemi » est celui qui ne partage pas les « principes républicains ». La République se prétend universelle, les « droits de l’Homme » (les Tables de la Loi) ne sont pas plus faits pour les Français que pour tout homme, c’est pourquoi, « tout homme a deux patries, la sienne et puis la France » (républicaine bien sûr). Cette prétention « universaliste » date de la Sorbonne où Paris fixait la doxa pour toute la Chrétienté, mais aujourd’hui elle est la manifestation du plus naïf des ethnocentrismes. Pour l’idéologue républicain, ce n’est pas contre l’occupation allemande qu’il fallait rétrospectivement résister, mais contre le « fascisme ».
Quels sont ces « grands principes républicains » ? On a le plus grand mal à les définir. Des abstractions qui conviennent bien au rationalisme cartésien qui préfère disserter sur la géométrie que sur la réalité gluante, et réduire le vivant à la mécanique. Des mots-valises des plus équivoques (liberté, égalité, laïcité) que chacun remplira à sa guise, non avec des concepts mais avec des émotions. Quand l’émotion disparaît, il ne reste plus qu’une langue de bois plus ou moins grandiloquente. On invoque les « valeurs de la République » mais on se garde bien de les définir. Ou alors on tente de raccrocher à la légitimité républicaine les dernières « libérations » du moment (faire inscrire dans la Constitution le droit à l’IVG, les droits LGBT+, etc.).
Comme l’évoquait François-Athanase de Charrette, chef des Armées Catholiques et Royales, la France républicaine n’est pas exactement la France :
« Notre Patrie à nous, c’est nos villages, nos autels, nos tombeaux, tout ce que nos pères ont aimé avant nous. Notre Patrie, c’est notre Foi, notre terre, notre Roi… Mais leur Patrie à eux, qu’est-ce que c’est ? … Pour eux, la Patrie semble n’être qu’une idée ; pour nous elle est une terre. Ils l’ont dans le cerveau ; nous l’avons sous les pieds… » ■
Maître de conférence en sociologie
Dernier ouvrage paru …
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Le seul commentaire que puisse appeler un tel texte est qu’il n’y en pas le moindre à tenter!
Pourtant, je me hasarde à déclarer non pas mon «adhésion à» ces propos, mais ma COMMUNION AVEC…
Michel Michel a su mettre la si passionnante intelligence sociologique, à laquelle il a été universitairement formé, à l’école de l’intelligence intérieure de la Tradition, et ce, sans avoir jamais négligé l’esprit de sa foi et l’essentiel de la prière.
Je dis que c’est un homme admirable.
Vive Dieu, donc !… Vive Dieu, la France et le Roi.
Magnifique, merci Michel Michel..
Toujours la séparation entre ceux qui sont de quelque part et ceux qui sont de nulle part, illusion de « citoyens du monde » , de « gouvernance mondiale » alors que déjà à l’échelle de l’Europe cela ne marche pas et que la grande Simone Weil avait vu qu’il est indispensable à l’Homme de s’enraciner.
Un texte remarquable. Michel Michel, d’une certaine façon, rejoint les idées de Jean de Viguerie sur les deux patries : une France concrète d’une part, un pays abstrait (la République) d’autre part, la seconde se nourrissant de la première comme un parasite.