Par Bernard Lugan.
Si la colonisation appartient à un passé révolu, donc au domaine de l’Histoire, ses terribles conséquences, dont l’immigration, et le changement de nature de nos sociétés conditionnent non pas seulement notre futur, mais plus encore notre survie.
Face à la déferlante humaine venue majoritairement de nos anciennes colonies et qui fait que la France est aujourd’hui devenue « la colonie de ses colonies », la solution préconisée par la « gauche » aussi bien que par la « droite », est très exactement celle qui échoua hier au sud de la Méditerranée quand nous y étions présents : l’assimilation-intégration.
Est-il donc possible d’être plus oublieux des leçons de l’histoire ? D’ailleurs, jusqu’à quel niveau peut-on imaginer pouvoir intégrer ou assimiler sans perdre sa propre substance, sans subir une mortelle acculturation ?
Dans ce numéro de l’Afrique Réelle, je publie un document peu connu. Daté du 1er décembre 1870, au lendemain donc de la défaite française face à la Prusse, il fut écrit de la main de Mgr Lavigerie à l’intention d’Isaac Crémieux, alors en charge des affaires algériennes. Le prélat y fait cause commune avec le farouche républicain laïc qu’était Crémieux car tous deux voulaient l’Algérie française. Les deux hommes se trouvèrent donc naturellement alliés pour détruire les Bureaux arabes, cette élite de l’armée française qui avait réussi la pacification de l’Algérie avec peu de moyens, pratiquant la politique du prestige et du respect, à l’image de ce que, à l’inspiration de Lyautey, feront plus tard au Maroc, les Affaires Indigènes.
Or, Mgr Lavigerie et Crémieux considéraient que les Bureaux arabes étaient un obstacle à la colonisation terrienne, protecteurs qu’ils étaient de l’indigène contre la rapacité d’un certain colonat affamé de terre. Crémieux dénonçait en plus leur peu de zèle républicain.
A l’opposé de Mgr Lavigerie et de Crémieux, le modèle colonial proposé par Lyautey reposait sur le réel. Lyautey ne voulait pas changer l’homme, car il n’avait pas pour but de faire croire aux petits Ait Serouchen ou aux petits Ait Adidou que leurs ancêtres étaient les Gaulois. Ils en avaient d’ailleurs d’aussi glorieux et d’aussi anciens. La vision coloniale de Lyautey présentait deux caractéristiques principales :
1. La colonisation n’était pas éternelle car les colonies étaient à la France, mais n’étaient pas pour autant la France.
2. Elle n’impliquait ni assimilation, ni intégration, ces pertes de substance vive pour les uns comme pour les autres. Homme de terrain, il avait observé que les peuples de l’Empire étaient « autres », et que ce qui était bon pour nous ne l’était pas forcément pour eux.
L’histoire a donné raison à Lyautey contre Lavigerie et Crémieux. Quant aux « gaullomaniaques » de droite, ils ont semble-t-il oublié que de Gaulle définissait l’intégration comme « un danger pour les Blancs, une arnaque pour les autres ».[1] ■
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Un excellent article. J’en tire un constat et une question. Le constat : nous n’avons aucun intérêt à défendre la colonisation républicaine. La question : Quid de nos territoires d’Outre-Mer (Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Polynésie, Guyane…) ?
La France est une exception dans le monde : elle n’est pas d’abord « ethnique ». Sur une base gauloise, elle s’est mâtinée d’apports latins, germains, langue d’Oc et langues d’Oïl, Flamands, Corses, Basques et Bretons. Ce qui en fait l’unité c’est une Histoire commune, une façon particulière d’incarner la Chrétienté, et surtout l’œuvre d’art séculaire de la Maison capétienne. En France, la culture n’est pas (ou peu) préalable à l’Etat, c’est le politique qui a modelé la culture de la nation française.
Naïvement, depuis la révolution, les Français ont pensé le monde sur le modèle de la nation française (elle-même réduite, faute de souverain, à quelques « grands principes » abstraits).
Mais la réalité sociale, dans le monde reste essentiellement ethnique c’est à dire liée aux communautés organiques (familiales, claniques, tribales) dont l’histoire propre à ces modèles charnels détermine une culture particulière. Aucune ne saurait prétendre à l’Universalité.
Quelques religions ont prétendu au nom de la Transcendance, à former des communautés trans-ethniques : le bouddhisme, l’islam, le communisme et bien sûr, le christianisme, particulièrement sous sa modalité catholique (c’est-à-dire universelle). Le libéralisme techno-capitaliste prétend aujourd’hui imposer un « Ordre Mondial », le chaos n’en sera que pire : la réalité de la diversité des cultures humaines ne peut être ignorée sans réaction identitaire.
Les ethnies ont toujours réussi à se maintenir, même au sein de ces théocraties : la Perse se maintient à travers le chiisme et le communisme de Cuba n’est pas celui de l’Albanie.
La colonisation à l’anglaise, que nous considérions comme égoïste et dédaigneuse se révèle plus réaliste parce qu’elle ne cherche pas à modifier les identités indigènes ; alors que le jacobinisme français a voulu exporter partout son modèle « national » provoquant des rejets « organiques ». La France, héritière de la fonction normative de la Sorbonne au sein de la Chrétienté, a un penchant pathologique à produire des idéologies qu’elle croit « généreuses »… Sachons avoir l’Empirisme (Organisateur) de nous soumettre à la diversité du réel.
Nous sommes nationalistes français, parce que telle est notre identité historique, nous ne sommes pas des « pan-nationalistes »… Il y a des cités, des empires, des tribus… et quelques nations. Ce sont plutôt des exceptions…
En te lisant, cher Michel, je crois me retrouver à l’automne 1963, lorsque je t’écoutais dans le vieux et grand local du 4 square des Postes à Grenoble diriger tes cercles d’études.
Ni toi, ni moi n’avons changé en presque soixante ans ; c’est une merveilleuse certitude.
Voilà ce que je disais lors des cérémonies de naturalisation que je présidais :
« Et tout cela est très bien, parce que c’est ainsi que la France s’est faite : au contraire de beaucoup d’autres, notre pays s’est constitué, hors de toute référence à une race, à une ethnie, à une langue ou même à un territoire national. La France s’est constituée autour de l’État, dans une démarche obstinée, ambitieuse et volontaire, accomplie par les Rois d’abord et, depuis deux siècles, par la République. L’État a su fédérer au sein de la Nation des peuples très divers, pour en faire la France. »
Nonobstant les précautions oratoires, n’est-ce pas la même chose ?